• - 1856 - Exécution capitale 30 juillet 1856

     

    EXECUTION CAPITALE A GRAULHET
    le mercredi 30 juillet 1856 - 8 h
    Place du Foirail (Jourdain)

    l'unique exécution capitale à Graulhet

    - Exécution capitale 30 juillet 1856

    - Exécution capitale 30 juillet 1856

    Meurtre d'un jeune garçon dans la nuit
    du 29 au 30 juillet 1855

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    Pour la première fois le détail des arrêts de jurisprudence et le récit de l'exécution capitale publiés dans le journal :

    - Exécution capitale

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    On retrouve dans le détail de ses comptes-rendus les noms des accusés et des témoins parfois orthographiés de façon différente, il en est de même pour les noms du personnel judiciaire et des avocats. On découvrira de nombreux noms de lieux de Graulhet que nous pouvons tous connaître : les différents cafés : Café Le Tivoli, Bonnet etc...des lieu-dit : Le Louat (certainement le Loubat) , la place du Foirail (Jourdain aujourd'hui) mais également des choses étonnantes : le travail des enfants/adolescents et des lieux d'aisances peu communes que je vous laisse découvrir !

    LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 31/12/1855

     
    COUR D'ASSISES DU TARN (Albi). Présidence de M. Sacase. Audiences des 21, 22 et 23 décembre. ASSASSINAT.— DOUBLE CONDAMNATION A MORT.

    Deux jeunes gens prennent place sur le banc des accusés l’un, Pierre Camboulives, né à Saint Gaudens, garçon roulier à Toulouse, est âgé de vingt cinq ans l’autre, Joseph Parayre, dit François, né à Graulhet, domestique chez Galinier, briquetier à Graulhet, est âgé seulement de dix-huit ans.

    M. Jourdanet, procureur impérial, occupe le fauteuil du ministère public.

    Me Canet et Gil sont au banc de la défense ; le premier pour Camboulives, le second pour Parayre.

    Dans la salle se presse une foule considérable attirée par la gravité et l’intérêt de cette affaire.

    L’acte d'accusation expose ainsi les faits : Le 29 juillet dernier, François Galinier, âgé de 10 ans, partit de Graulhet, un peu avant minuit, pour se rendre à Carmaux, où son père l’envoyait acheter de la houille; il portait 50 francs dans une bourse en cuir et une montre en cuivre, que lui avait prêtée l’accusé Parayre, domestique de sa famille ; il conduisait une voiture à deux colliers et était accompagné d’un chien de garde habitué à suivre l’attelage.

    Le lendemain, au point du jour, cet enfant fut trouvé mort sur sa charrette, à 4 kilomètres de Graulhet. Les chevaux ne sentant plus de guide, s’étaient arrêtés à un endroit appelé les Barrottes, le chien était auprès d’eux et prenait une attitude menaçante quand on approchait de la voiture.

    Le commissaire de police, informé de cet événement, se transporta sur les lieux, à cinq heures du matin ; il constata que le jeune Galinier avait été étranglé avec une corde faisant partie de l’attelage et qui entourait encore le cou de la victime. Les 50 francs, la montre, la bourse de cuir qui les contenait avaient été volés ; la bourse fut trouvée vide et déchirée sur la route près du pont d’Agros, à deux kilomètres de la ville, dans un endroit isolé c’était là sans doute que le crime avait été commis.

    Dans la soirée du même jour, le procureur impérial et le juge d’instruction de Lavaur, s’étant à leur tour rendus sur les lieux, fires procéder à l'examen et à l’autopsie du cadavre et commencèrent une information.

    Le rapport médico-légal ne laisse pas la moindre incertitude sur la cause de la mort de François Galinier. La corde, fortement nouée autour du cou, y avait formé plusieurs plaies contuses, une grande quantité d’écume blanche, un peu sanguinolente, recouvrait la bouche et l’extrémité du nez; tous les vaisseaux du crâne, les veines jugulaires et les poumons étaient injectés d’un sang noir, on voyait des ecchymoses à la partie supérieure de la poitrine et au bas de la mâchoire; des écorchures et des excoriations existaient aussi sur le ventre et à l’une des jambes.

    De tous ces faits les hommes de l’art concluent que le jeune Galinier a succombé à une asphyxie par strangulation, et que cette strangulation est le résultat d’un crime. Ils ajoutent que l’état du cadavre, et cette circonstance que des brins de paille étaient engagés entre la corde et le cou de l’enfant, leur paraissent démontrer qu’il a été tué pendant qu’il reposait sur un fagot de paille placé au fond de la charrette, et qu’il n’a pas opposé une grande résistance. Le fagot de paille était d’ailleurs tout en désordre, et rien n’indiquait que la lutte entre la victime et ses agresseurs se fût passée sur la route.

    Les observations faites par les médecins, jointes à celles des magistrats instructeurs, permettent d’affirmer, que les coupables étaient au nombre de deux. En dehors des planches qui ferment la charrette par derrière, on remarquait plusieurs empreintes de clous produites par des souliers fortement appuyés; une empreinte demi circulaire et très prononcée, produite par un talon de soulier ferré ou de botte, avait occasionné à la partie supérieure de la poitrine l’ecchymose constatée par le rapport médico-légal ; celle qui existait au menton paraissait avoir été faite par la pointe de ce soulier ou de cette botte; tout porte donc à croire que les malfaiteurs étaient montés sur la charrette, l’un par-devant, l’autre par-derrière.

    Pendant que l’un tenait la victime, l’autre avait dû lui passer la corde autour du cou, et tandis qu’il lui étreignait du pied la poitrine et la mâchoire, pour accomplir en peu d’instants l’œuvre de la strangulation; si le chien, dont personne, n’avait entendu les aboiements n’avait pas défendu son maître, c’est qu’il était familier avec l’un des coupables. Comme cela a été dit plus haut, Galinier (François) avait quitté Graulhet un peu avant minuit. C’est entre minuit et une heure qu’il reçut la mort et qu’il fut volé. En effet, le sieur Gaston étant passé dans cet intervalle au lieu des Barrottes, y remarqua la charrette arrêtée sur la route vers une heure un quart ou une heure vingt minutes, le sieur Bonnet la voyait aussi au même endroit, où elle se trouvait encore, au jour naissant, lorsque la sieur Gaston, repassant sur la route, s’aperçut le premier de la mort du jeune Galinier.

    Les premiers actes de l’information n’amenèrent aucun résultat, pour la découverte des auteurs du crime mais le 31 juillet, les soupçons les plus graves commencèrent à se fixer sur Pierre Camboulives et s’étendirent bientôt sur Pierre Parayre.

    Camboulives, domestique du sieur Bonnet, commissionnaire de roulage de Toulouse à Lavaur et à Graulhet, arrivé dans cette dernière ville le 29 juillet au matin, avait passé chez Galinier père une partie de l'après-midi, et s’y était trouvé avec Parayre, son domestique, qu’il connaissait depuis longtemps. Il avait appris, dans ce moment que Galinier devait faire partir son fils, entre onze heures et minuit, pour aller acheter du charbon à Carmaux, qu’il devait lui donner de l’argent pour cet achat, et que l’enfant devait faire le voyage seul.

    Vers six heures et demie du soir, Camboulives avait quitté la maison de Galinier, en disant qu’il allait à son auberge, chez le sieur Cagneul, au faubourg Saint-Jean. Il s’y était, en effet, rendu ; il y avait soupé, était sorti aussitôt après, et n’était rentré que fort tard, pour se coucher, car ou ne l’avait pas entendu dans la maison.

    De son côté, Parayre, qui ne sortait pas le soir, avait demandé à son maître, ce jour-là, la permission de s’absenter, en lui disant mensongèrement qu’une personne l’attendait dans une maison de la ville. Il était sorti à sept heures ou huit, et bien que Galinier lui eût recommandé ne revenir le plus tôt possible, on ne l’avait revu qu’après minuit.

    Eu outre, la moralité de l’un et de l’autre était suspecte, car on avait déjà eu des actes d’infidélité à leur reprocher. Enfin, il était certain que le chien dont Galinier (François) était accompagné avait suivi plusieurs fois Parayre à Albi, et le connaissait parfaitement.

    Camboulives et Parayre furent, en conséquence, mis en arrestation.

    On les appela immédiatement à rendre compte de leur temps, depuis leur sortie de la maison Galinier jusqu’à une heure du matin, et voici les explications qu’ils fournirent à cet égard :

    Camboulives prétendit qu’après avoir recherché aux cafés Azémar et Maury un sieur Fabre qui était venu le demander chez Cagneul, il était allé vers neuf heures au café Bonnet, où il était resté avec le sieur Moulis et quelques autres jusqu’à onze heures, heure à laquelle on ferme les lieux publics à Graulhet; il était sorti de ce café avec Moulis, qui se retira chez lui. De son côté, il s’était dirigé alors vers le champ de foire, sous la promenade du Château, pour y satisfaire un besoin.

    Pendant qu’il était là, il avait vu passer dans le faubourg Laval, qui longe le champ de foire, une charrette attelée de deux chevaux, avec lanterne allumée. Ayant joint cette charrette au bout du pont Saint-Jean, il avait reconnu que c’était celle de Galinier (François). Ils avaient marché et causé ensemble jusqu’à l’auberge Cagneul, où il avait quitté le jeune Galinier, et était rentré pour se coucher, il ajouta qu’il était en ce moment minuit qu'il avait trouvé la femme Cagneul et son fils cadet dans la cuisine de l’auberge qui ce dernier était monté avec lui au premier étage pour se coucher, que la femme Cagneul, après avoir pris la chandelle de sa fille qui se couchait l’avait accompagné, lui Camboulives, dans sa chambre et avait même fait la couverture de son lit.

    Parayre dit à son tour avoir passé une grande partie de la soirée avec le sieur Marcel Saul, qu’il aurait rencontré en sortant de chez son maître. Ils allèrent ensemble au café du Midi, ou ils restèrent jusqu'à huit heures et demie environ, ils se promenèrent ensuite du côté de Saint-Projet et sur la place du Château, et vinrent de là au bal de Tivoli, où ils passèrent environ une heure. Il n’était pas encore dix heures lorsqu’ils en sortirent. Ils voulurent se rendre au café Bonnet, mais ils n’y arrivèrent pas, parce qu’on leur dit qu’on n’y laissait pas entrer. Ils retournèrent ensuite sur la place du Château où, après quelques instants, il dit à Saul: Si nous trouvions Camboulives, nous lui ferions payer le café; je vais faire un tour pour voir si je le trouve.

    Quittant alors son compagnon, qui lui dit de retourner au bal Tivoli, il s’engagea lui-même dans la rue qui aboutit au pont Saint-Jean, alla jusqu’à ce pont, et n’ayant pas aperçu Camboulives, revint au bal Tivoli, où il trouva le sieur Déloustal. Il était dans ce moment environ dix heures et demie; il sortit du bal, seul, vers onze heures, passa près d’un quart d’heure près la promenade du Château, descendit dans un trou, sous cette promenade, pour y satisfaire un besoin, et rentra ensuite chez Galinier, après s’être reposé un instant sur la paille, dans la remise, et alla au four rejoindre son maître et la fille de ce dernier. Celle-ci, à laquelle il demanda quelle heure il était, lui dit que minuit avait sonné depuis peu ; en effet, minuit et demi sonna quelque temps après à l’horloge. Parayre dit encore que, pendant qu’il se trouvait sur le champ de foire, il n’avait pas vu passer la charrette de François Galinier, et qu’il ne l’avait pas non plus rencontré en retournant chez son maître.

    Ce récit des accusés a été contredit de la manière la plus formelle par divers témoins, sur plusieurs points importants eux-mêmes l’ont contredit dans les conversations qu’ils ont eues les jours qui ont suivi leur crime.

    Ainsi le sieur Moulis n’est allé au café Bonnet que sur les dix heures; il y a vu Camboulives, il en est sorti vers onze heures moins un quart, mais non avec cet accusé, et il ne sait dans quel moment celui-ci aurait lui-même quitté ce café.

    Le sieur Rouffiac a vu entrer Camboulives dans ce même café vers dix heures, l’accusé resta assis non loin de lui, quelques minutes seulement, et disparut ensuite.

    Vers dix heures et demie, le sieur Blatgé le vit arriver au café Azémar avec deux autres individus, en ressortir dix minutes après.

    Cagneul, sa femme et leur fils démentent aussi la déclaration de Camboulives relative à ce qui se serait passé à sa rentrée dans leur auberge. Ce n’est que le lendemain qu’ils ont su qu’il couchait chez eux. Ordinairement il ne dépassait pas onze heures. Ils étaient tous couchés lorsqu’il rentra, le dernier d’entre eux, le fils aîné, s’était mis au lit à dix heures et demie, et le fils cadet dès neuf heures; Camboulives dut éviter en rentrant tout espèce de bruit, car ce fut la première fois qu’aucun d’eux ne l’entendit, bien qu’il fût obligé, pour aller à sa chambre, de traverser la cuisine où se trouve le lit des époux Cagneul, de monter un escalier en bois qui passe au-dessus de leur alcôve, et de passer encore dans la chambre du plus jeune de leurs fils.

    Au surplus, dès le 30 juillet et quelques heures après le crime, Camboulives commençait à se mettre en contradiction, par ses propos, avec ce qu’il a dit sur l’emploi de son temps au magistrat instructeur. A cinq heures du matin, le sieur Bruyère (Jean) à qui il avait donné rendez-vous à quatre heures pour l’aider à décharger sa voiture, le trouve encore endormi, il le réveille et lui apprend qu’on a trouvé, aux Barottes un homme mort sur sa charrette. Ils descendent avec Philippe Cagneul, et lorsqu’ils sont dans la rue l’accusé leur dit : je parie que c’est le fils de Galinier. Hier au soir, quand il partait, je l’ai accompagné sur la route d’Albi jusqu’à l’embranchement de Saint-Mémy, après le pont d’Agros et en le quittant, je lui ai donné deux pipes de tabac.

    Le sieur Isnard l’entend tenir ce propos quelques instants après.

    Bientôt, changeant de version, il dit au commissaire de police qui passait sur la route: j’étais hier au soir sur le devant de ma remise, à minuit il n’y a que Galinier (François) qui soit passé avec sa charrette, et quelque temps après le petit courrier de Lavaur à Albi.

    Le même jour, vers dix heures du matin, il dit au sieur Carivenc : Hier au soir, vers minuit, j’étais sur le pont Saint-Jean, lorsque Galinier passa avec sa charrette ; comme il n’avait pas sa lanterne allumée, le commissaire de police et le brigadier de gendarmerie voulaient lui dresser procès-verbal. Un instant après, oubliant sans doute ce qu’il venait dire à Carivenc, il lui dit qu’il avait rencontré Galinier à un endroit appelé le Louat, et qui se trouve environ à 200 mètres des dernières maisons de Saint-Jean.

    A ces déclarations diverses et si rapprochées, un soupçon traversa l’esprit du sieur Carivenc aussi dit-il à Camboulives qu’il pouvait savoir quelque chose sur cette affaire.

    A trois heures du soir, l’accusé reproduit à peu près, dans une conversation avec le sieur Gau, la dernière version qu’il a faite à Carivenc

    Sur les six heures, il s’arrête, en retournant à Toulouse, à la briqueterie du sieur Pierre Mauriès, près de Briatexte là, revenant à ses premiers dires de la matinée du même jour, où perce une partie de la vérité, il les entoure d’allégations mensongères pour mieux détourner les soupçons qui pèsent déjà sur lui, et il s’exprime ainsi, en présence du briquetier et des sieurs Bru et Gairal .

    Hier au soir, vers minuit, j’ai rencontré Galinier fils, qui partait pour Albi ; nous allâmes prendre tous les deux une tasse de café au café Bonnet, qui resta ouvert toute la nuit, à cause de la fête des chapeliers. En sortant de ce café, je dis à Galinier : je vais t’accompagner jusqu'à ma remise, dans le faubourg Saint-Jean. Dans le parcours, nous rencontrâmes le commissaire de police et les gendarmes qui nous laissèrent passer sans nous adresser la parole. Arrivés à mon écurie, le fils Galinier m’engagea à l’accompagner plus loin. Sur son désir, je l’accompagnai jusqu’au chemin de Saint-Mémy là j’ai donné du tabac à Galinier qui monta sur sa charrette, et lorsque je rentrai chez Cagneul à une heure du matin, je rencontrai deux gendarmes qui faisaient leur ronde; nous entrâmes ensemble chez Cagneul, nous prîmes un verre de vin, et puis j’allai me coucher.

    C’est encore le même récit, mais avec quelques variantes et de nouveaux détails non moins mensongers, qu’il fit à peu d’instants après, en traversant Briatexte, à la femme Saurel, et aux sieurs Eugène Bruger et Moulet.

    Parayre tombe de son côté dans de nombreuses contradictions, soit avec les témoins, suit avec lui-même.

    (Avec les témoins).— Marcel Saul, qu’il prétendait avoir quitté sur la place du Château, vers dix heures, a déclaré que c’était une heure auparavant. Ce témoin ajoute que Parayre ne lui dit pas en le quittant: « Je vais voir si je trouve Camboulives et il nous paiera du café » mais qu’il s’exprima ainsi qu’il suit : Attends-moi là, je vais descendre à Saint-Jean pour parler à Camboulives, et je vais te rejoindre.

    Saul le vit en effet prendre la direction du pont Saint-Jean, il rentra lui-même au bal Tivoli et y resta jusqu’à dix heures sans revoir reparaître l’accusé. Le sieur Déloustal donne également un démenti à Parayre, en déclarant qu’il a quitté le bal à neuf heures, et qu’en conséquence ce dernier n’a pu l’y voir, comme il le prétend, sur les dix heures et demie; c’est vers huit heures et demie, que Déloustal avait aperçu l’accusé dans cet établissement, en compagnie de Marcel Saul. Jean Saul, qui a passé toute la soirée au bal Tivoli, n’y a vu Parayre qu’un peu avant neuf heures, et affirma de plus que ce dernier ne s’y trouvait pas à onze heures au moment où le bal s’est fermé.

    Le sieur Isnard fait la même déclaration ; puis, il ajoute que, vers dix heures et à dix minutes d’intervalle, il a vu deux fois Parayre se promenant seul, les bras croisés à quelques mètres de la porte du café Bonnet.

    Galinier père ne peut préciser le temps qui s’est écoulé entre le départ de son fils et le retour de son domestique à la maison, sa femme ne s’est couchée qu’environ trois quarts d’heure après le départ de François Galinier, et Parayre n’était pas encore rentré en ce moment ; Victoire Galinier leur fille, croit qu’il était une heure du matin lorsque l’accusé est revenu.

    Peu d’instants avant l’arrivée de ce dernier, l’horloge avait sonné un coup et il sembla à cette fille entendre un autre coup peu de temps après. Elle dit encore que ce fut seulement le lendemain du crime que Parayre prétendit s’être couché sur un fagot de paille, dans la remise, avant de rejoindre son maître au jour.

    Avec lui-même. — Le 31 juillet, Parayre disait au sieur Blatgé que le 29, à onze heures du soir, il était au café Bonnet le 3 août, il déclarait au sieur Jousine, tantôt qu’en se retirant, vers minuit, chez Galinier, il venait du bal du café Bonnet, tantôt qu’il venait au contraire du bal Tivoli.

    Le 5 août, il fait au sieur Louis Mauriés, aubergiste, à Poujoulet, le récit suivant : Dans cette soirée, celle du crime, j’étais au café à Graulhet je me retirai du café avec Camboulives que j’allai accompagner à une demi-heure de la ville. Là, nous nous quittâmes, j’allai chez mon maître où j’arrivai entre dix heures et demie et onze heures. Je me couchai immédiatement sur une botte de paille, entre dix heures et dix heures et demie, la fille Galinier vint m’engager, de la part de son père, à me lever et à aller l’aider aux travaux de la briqueterie. Je me levai, en effet, et à peine étais-je debout, que j’entendis sonner une demie qui devait être l’indication do onze heures et demie ou minuit et demi. L’assassinat de Galinier a eu lieu vers minuit. Je ne puis donc y avoir participé, attendu que la fille de mon maître attestera qu’elle est venue me faire lever vers cette heure.

    On a pu voir par ce qui précède que ce récit était complètement inexact sur ce dernier point.

    Camboulives et Parayre, qui ont soutenu dans leurs interrogatoires ne pas s’être vus dans la soirée du 29 juillet, depuis leur sortie de la maison Galinier, avaient donc, d’après l’aveu échappé à Parayre, au milieu de ses allégations mensongères, passé une partie de la soirée ensemble après être allés au café, ils étaient aussi allés ensemble à une certaine distance de la ville. Déjà, d’ailleurs, d’autres circonstances concouraient avant cet aveu à démontrer ces faits importants, et précisaient même d’une manière positive le dernier de ces faits, par le moment où il a eu lieu, qu'il se lie de la manière la plus étroite à la perpétuation du crime. Et d’abord, Camboulives et Parayre avaient dû se voir dans la soirée. En effet, vers neuf heures, Parayre quitte Déloustal eu disant qu’il va parler à Camboulives.

    En supposant qu’il n’ait pas trouvé son coaccusé, il l’a vu sans doute à la sortie de celui-ci du café Bonnet, car, suivant Isnard, il était, un peu après dix heures, devant ce café où se trouvait alors Camboulives, qui, d’après Rouffiac, en est sorti dans le même moment.

    A dix heures et demie, on a vu entrer Camboulives au café Azémar avec deux autres individus. Parayre n’était-il pas l’un d’entre eux ? De plus, de l’aveu des accusés, ils se sont trouvés l’un et l’autre, à onze heures, sous la promenade du Château pour y satisfaire un besoin.

    Il y a trois fosses à peu de distance les unes des autres, dans l’endroit ou ils disent s’être arrêtés. Parayre était dans la seconde, et Camboulives dans la troisième; il est impossible qu’ils ne se soient pas vus en ce moment. Que sont-ils devenus depuis onze heures jusqu’au moment où Parayre est entré chez son maître et Camboulives à son auberge ? Que l’on prenne les déclarations des témoins ou celles des accusés pour fixer l’heure de leur retour, ils ne peuvent dans aucun cas rendre compte d’une manière satisfaisante de l'emploi de leur temps.

    Eu effet, Camboulives est obligé de convenir qu’il est resté de onze, heures à minuit sur le champ de foire, et que c’est à cette dernière heure qu’il a vu passer Galinier (François). Parayre, qui dit n'être resté qu’un quart d’heure au même endroit, aurait mis près d’une heure pour rentrer chez Galinier, trajet pour lequel il ne fallait que cinq minutes.

    Mais les dépositions du sieur Calmés et de la femme Soulet viennent encore mieux prouver que les accusés se sont réunis dans la soirée du 29 juillet. Il résulte, en effet, de ces déclarations que Camboulives et Parayre étaient ensemble à minuit, qu’ils épiaient dans le faubourg Laval le passage de la voiture du jeune Galinier et qu’ils ont suivi cette voiture lorsqu’elle était engagée sur le pont Saint-Jean. Calmés, dont la maison est située dans le faubourg Laval, en face du champ de foire, rapporte qu’étant à sa fenêtre un instant avant minuit, il a vu passer la charrette de François Galinier, allant vers le pont Saint-Jean, qu’il l’a vue tourner ce pont, et qu’en ce moment il a aperçu, au milieu de la rue, à sept ou nuit mètres de son habitation, deux individus qui prirent d’un pas accéléré la même direction. La taille de ces deux hommes, leur costume, leur démarche ne laissait aucun doute sur leur identité. C’étaient Camboulives et Parayre.

    Une expérience faite dans la maison d’arrêt par le juge d’instruction, imprime à ce fait le caractère le plus sérieux de vérité. Calmés, placé à une fenêtre des cellules du premier étage, a vu passer dans le préau, à une distance à peu près égale, les deux accusés vêtus comme ils l’étaient le 29 juillet, et il a dit que ces individus étaient absolument les mêmes que ceux qu’il avait aperçus ce jour-là, sous sa croisée que ce, qui augmente sa conviction à cet égard, c’étaient non-seulement leur costume et leur taille identiques, mais encore la démarche et le bruit qu’ils faisaient sur le pavé avec leurs bottes eu leurs souliers.

    La femme Soulet étant sortie vers l’heure indiquée par Calmés, et se trouvant à l’angle du champ de foire, au-dessous de la côte du Château, a vu de là, deux individus qui, après s’être blottis dans une encoignure en face du pont Saint-Jean jusqu’au passage de la charrette de Galinier, suivirent cette voiture. Cette femme ne peut préciser quelle était la coiffure de Parayre, mais sur toutes les autres particularités du costume des accusés et sur leur taille elle fournit les mêmes renseignements que Calmés.

    Entre minuit et une heure, le sieur Gaston rencontra sur la route avant d’arriver aux Barrottes, et par conséquent non loin du pont d’Agros, deux individus qui se dirigeaient vers Graulhet, et c’est précisément vers une heure que les accusés rentrèrent, l’un chez son maître, l’autre à son auberge. Ce fut peu de temps après cette rencontre que Gaston aperçut pour la première fois la charrette de Galinier arrêtée sur la route aux Barrottes. L’instruction a complété les preuves résultant de tous les faits qui précèdent par d’autres qu’elle puise principalement dans la conduite des accusés, le lendemain du crime et pendant les quelques jours qui ont précédé leur arrestation.

    On connaît déjà le propos tenu par Camboulives à Jean Bruyère et à Philippe Cagneul, le 30 juillet, à cinq heures du matin. Bruyère lui avait dit seulement qu’on avait trouvé un homme mort sur sa charrette, et Camboulives répondit : je parie que c’est le fils à Galinier. Un instant après, comme le docteur Bonnet et le commissaire de police passaient devant l’auberge de Cagneul, Camboulives dit à ce dernier : C’est un grand malheur qui est arrivé cette nuit, ou a tué le fils à Galinier. Le commissaire de police fut tellement surpris de ces paroles, qu’il lui répondit : Comment le savez-vous ? Bruyère et Isnard se mettent eu route avec Camboulives pour aller voir le cadavre. En arrivant au pont d’Agros, on leur apprend que la charrette est aux Barrottes, et Camboulives s’écrie: Je le croyais mort ici puis il reprend avec Bruyère la route de Graulhet. Ils n’ont rien appris sur la cause de la mort de Galinier et cependant, Camboulives dit à Bruyère, à leur arrivée : Ah ! mon Dieu si l’on peut découvrir qui l’a fait, on ne lui en fera jamais assez.

    L’accusé part à trois heures pour Lavaur; à Briatexte, au-delà, il rencontre plusieurs personnes qui lui demandent des détails sur les événements de la nuit, et il leur fait alors les récits qui ont été rapportés plus haut. Son extrême agitation, son air égaré, pendant ces conversations, frappent ses auditeurs et leur font concevoir des soupçons contre lui.

    Les yeux, a dit l’un d’eux, lui sortaient de la tête. On ne l’avait jamais vu eu pareil état ; aussi disait-on, autour de lui : Cet homme parle beaucoup trop, il se fera prendre.

    En même temps, il tenait des propos qui indiquaient la connaissance des détails du crime et, par suite, la participation qu'il y avait prise: il disait au sieur Eugène Bruyère que ceux qui avaient commis l’assassinat, devaient être des connaissances ou des habitués de la maison, puisque Galinier fils était accompagné d’un chien qui se serait défait de deux hommes ; au sieur Robert, en lui parlant de la victime : On lui a mis les genoux sur la poitrine et on l’a étranglé avec une corde ; au sieur Papaïx: Le pauvre enfant, à minuit nous étions ensemble, et à une heure il était mort ; enfin, à un autre témoin , que, sans doute, l’assassinat avait eu lieu vers minuit et demi.

    Le 2 août, à son retour de Toulouse, il rencontra près de Briatexte le sieur Bosc et lui demanda si l’on n’avait arrêté personne à l’occasion de la mort de Galinier, le témoin lui répond négativement ; l’accusé lui parla alors avec beaucoup d’agitation de cette affaire, il lui dit qu’il vient de voir passer le commissaire de police de Graulhet, qui lui a demandé son nom. Dieu me d..., tu comprends si j’ai voulu le lui dire, ajouta-t-il. Il va et vient, entre dans le grand panier de sa charrette en sort aussitôt, il prend une bouteille et va se faire donner de l’eau dans une métairie voisine, il verse sans en donner à Bosc qui lui en a demandé. Il jette la bouteille dans le panier comme pour la casser, la roue lui brise le bout de son fouet, il achève de le détruire en le plaçant sous cette roue, et il s'écrie : Voilà le dernier que j’achète.

    Les préoccupations qui assiègent Parayre ne sont pas moins grandes et se traduisent par des propos ou des faits tout aussi significatifs.

    Le 30 juillet, dès quatre heures du matin, il fait à Galinier père cette étrange question: Où pensez-vous que soit votre fils maintenant ? Il doit bien regarder la montre que je lui ai prêtée.

    Il n’a pas réclamé le prix de cette montre. Vers les six heures du matin, il se rend avec les filles Galinier sur le lieu du crime. Avant d’y arriver, et sans avoir encore rien vu, il éprouve une défaillance sur la route, on le dépose sur un faix de paille, on lui donne des soins et on le ramène à Graulhet.

    Pendant qu’il était sur le faix de paille, la demoiselle Austry, fille du commissaire de police, remarque qu’il a sur la joue droite des traces d’égratignures toutes récentes et qu’on y voit encore l’empreinte de plusieurs ongles. Il a cherché à faire croire qu’il s’était fait ces égratignures lorsqu’il était tombé sur la route; mais il n’y avait, à l’endroit où eut lieu cette syncope, ni ronces, ni autre chose qui pût les produire. Plus tard, d’ailleurs, changeant de version, il a prétendu se les être faite- en se laissant tomber lorsqu'il allait boire dans un ruisseau. Ces égratignures provenaient évidemment de la résistance qu’avait opposée le jeune Galinier à ses agresseurs.

    À son retour des Barrottes, Parayre se trouvait dans la plus grande agitation, il allait, il revenait, il s’asseyait un luttant; se relevait aussitôt. Il se frappait la tête à plusieurs reprises, eu disant : Ah ! Dieu me d...! La femme Marty lui demanda si c’était sa montre qu’il regrettait : Ah bah ! la montre, lui répondit-il.

    Le 3 août, le sieur Auriol le rencontre revenant de Carmaux, l’accusé lui demanda si l’on a arrêté quelqu’un : On a arrêté Camboulives, répond Auriol, et l’on prétend que l’on va arrêter... Parayre ne le laisse pas achever, ses traits s’altèrent, et vivement impressionné, il reprend sa route sans rien dire.

    Le même jour, et plus tard, il demande à d’autres témoins si des arrestations ont été faites, et tous ont déclaré qu’il avait l’air égaré dans les conversations qu’ils eurent avec lui. — Comme Camboulives, il fixa l’heure du crime : C’est à minuit ou minuit et demi, dit-il aux sieurs Viguier et Rougé, qu’il a eu lieu.

    Le 30 juillet, pendant que l’on faisait l’autopsie du cadavre de Galinier, il dit au sieur Artous : Il faut que celui qu’il l’a fait soit bien bête, je suis sûr que c’est la corde de la charrette qu’il a autour du cou et même elle est coupée.

    Galinier (Martin), lui faisant connaître, le 1er août, que Camboulives a dit à Briatexte, avoir pris le café avec François Galinier, dans la soirée du 29 juillet, et l’avoir accompagné pendant une partie de la route, Parayre lui répond : Camboulives est une bête de parler ainsi; si je le rencontre, je lui ferai des reproches.

    Enfin huit jours après le crime, et alors qu’il peut déjà espérer ne pas être poursuivi, il change d’attitude et dit à Victoire Galinier qui l’a surpris chantant dans la maison et qui lui fait remarquer que cela n’est pas convenable après le malheur qui est arrivé : Cela ne me fait rien à moi. Telles sont les preuves nombreuses qui résultent de la procédure et qui ne laissent aucun doute sur la culpabilité de Camboulives et Parayre.

    Les débats ont rempli plusieurs audiences sans donner lieu à aucun incident important.

    Plus de soixante témoins ont été entendus. Les accusés aux charges élevées contre eux, n’ont cessé d’opposer des dénégations absolues.

    L’accusation soutenue par M. le procureur impérial a été énergiquement combattue par Me Canet et Gil.

    Après le résumé de M. le président, le jury est entré dans la salle de ses délibérations d’où il a rapporté un verdict qui, en écartant la préméditation, déclare Parayre et Camboulives coupables de meurtre et de vol, avec cette circonstance que le meurtre a précédé, accompagné ou suivi le vol. Le verdict est muet sur les circonstances atténuantes.

    M. le Président a donné lecture de l’arrêt de la Cour qui condamne les deux accusés à la peine de mort.

    En attendant prononcer cet arrêt, Parayre et Camboulives sont restés calmes et impassibles. Ils ont été reconduits dans la prison au, milieu d’une foule fortement émue par le dénouement de ce drame qui, pendant trois jours, avait excité le plus vif intérêt.

    D’après le Journal du Tarn, le condamné Parayre aurait fait, dès le soir même de sa condamnation, des révélations complètes, dont la conséquence serait de faire peser sur lui seul tout le poids du crime et de faire ressortir l’innocence de Camboulives :

    Parayre aurait déclaré, dit ce journal, que Camboulives n’était pour rien dans le crime commis qu’il était lui le seul assassin. Depuis quelque temps, une cause bien futile en apparence avait jeté dans sa pensée des germes de jalousie et des projets de vengeance. Parayre, domestique dans la maison Galinier, avait été pendant longtemps chargé, par son maître, des voyages à Carmaux que nécessitait l’exploitation de la briqueterie, il se plaisait à ces voyages, il était heureux de la confiance qui lui était témoignée.

    Mais le fils Galinier, quoique bien jeune encore, semblait devoir le remplacer dans ce service, et plusieurs fois déjà il s’était rendu à Carmaux. Parayre fut irrité par ce changement dans ses habitudes ; avec la violence de sou caractère, ses passions les plus mauvaises furent soulevées, sa haine et sa jalousie se traduisirent en projets d’homicide.

    Le 29 juillet ou soir était fixé pour le départ de Galinier fils, ce malheureux enfant se met en route à onze heures et demie. Parayre a vu les apprêts du voyage, il se rend sur la route et attend caché dans un champ de millet, le passage du fils de son maître.

    Enfin, la charrette paraît, Parayre se présente au jeune Galinier : Ah ! te voilà dit celui-ci, tu m’accompagneras quelques instants ? En effet, ils marchent ensemble bientôt Parayre monte sur la charrette, le moment est venu où il pourra accomplir ses funestes projets. Il se couche, il se cache pour ne pas être aperçu par les personnes qui passent sur la route ; Galinier monte à son tour. — Eh bien, dit-il, tu le vois, je vais à Carmaux ; c’est moi qui, à l’avenir, ferai toujours ce voyage; pour toi, c’est fini. Ces paroles activent la résolution de Parayre, il se précipite sur Galinier, le saisit au cou qu’il serre de ses deux mains, d’une constitution faible, l’enfant ne peut lutter contre son agresseur; sous cette étreinte terrible, il ne tarda pas à perdre connaissance, sans mouvement, il respire encore, l’assassin détache une corde de la charrette, la passe au cou de sa victime la serre fortement, de ses genoux, de ses deux pieds, il presse, il écrase la poitrine, Galinier est bien mort. Parayre alors abandonne le cadavre sur la charrette, il s’enfuit.

    Mais bientôt il réfléchit qu’il détournera plus sûrement les soupçons en faisant croire à un assassinat par des voleurs; il revient sur ses pas, remonte sur la charrette, enlève la bourse en cuir et la montre que portait le jeune Galinier. Avant de rentrer à Graulhet, en passant sur le pont, il jette la montre dans la rivière, va ensuite cacher l’argent dans un pré. Quelques heures après le crime est découvert.

    Tels seraient les aveux de Parayre ; il ajoute que, deux jours après le crime et en revenant de Carmaux, où le lendemain même il avait été charger du charbon craignant que l’argent caché avec précipitation ne fut découvert, il fut le prendre là où il l’avait déposé, sa pensée était de le jeter dans la rivière mais la présence de quelques personnes l’en empêcha, il fut alors le cacher dans un lieu qu’il désigne, et dont il trace même le plan. Sur ces indications, l’argent a été trouvé le lendemain par les gendarmes envoyés par la justice.

    Je suis le seul assassin, disait Parayre, j’ai bien mérité la mort, mais mourir si jeune ! Si mes aveux et mon repentir pouvaient sauver ma tête, je serais trop heureux !... Camboulives est innocent... je ne puis expliquer l’accusation et sa condamnation à mort à présent que j'ai parlé, je me sens soulagé d’un poids énorme qui m oppressait.

    Camboulives, qui, assure-t-on, ignore encore les révélations de Parayre, conserve le calme et le sang froid qui ne l’ont pas un instant abandonné pendant les débats et se montre d'une résignation extrême, en protestant toujours de son innocence, il ne peut attribuer sa mise en accusation qu’à des jactances imprudentes qui l’ont compromis, et qu’il n’osa d’abord rétracter et sa condamnation qu’à des erreurs ou des oublis de la part de quelques témoins.

    Tels sont les bruits que recueille avidement la curiosité publique.

    Notre correspondant nous écrit que Parayre n’a pas tardé à modifier ces déclarations. Il résulterait de ses aveux que non seulement son coaccusé est coupable mais qu’il est le principal auteur du crime et que c’est à son instigation que Parayre l’a aidé à étrangler le jeune et malheureux Galinier, fils de son maître. D’après les bruits qui circulent et que tout fait présumer exacts Camboulives voulait épouser la sœur de la victime et entrer en qualité de gendre chez Galinier père mais comme ce dernier s’y opposait destinant son fils à continuer son état de chauffournier. Camboulives aurait prémédité de se défaire de son futur beau-frère et aurait déterminé Parayre à l’aider, sous la promesse qu’il le garderait comme valet et peut-être même le ferait entrer dans la famille Galinier à son tour comme mari de la seconde fille de Galinier.

    Il résulterait aussi des mêmes bruits que tous les deux auraient coopéré au crime et du reste, il paraîtrait, d’après l’état du cadavre et le genre d’assassinat auquel on a eu recours, qu’il est à peu près impossible qu’un seul homme ait pu le commettre, et à plus forte raison Parayre à peine âgé de deux ou trois ans de plus que le malheureux Galinier fils. Cette invraisemblable n’aurait pas peu contribué à entraîner Parayre à confesser la vérité tout entière.

    LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 29/05/1856

    JURIDICTION CRIMINELLE.
    COUR D’ASSISES DE LA HAUTE-GARONNE (Toulouse). Présidence de M. de Guer.

    Audience du 21 mai - ASSASSINAT. — FAUX TÉMOIGNAGE. — RENVOI APRÈS CASSATION.

    Un public nombreux est venu assister aux débats de cette affaire qui a eu un retentissement considérable et dont nous avons fait connaître les principales péripéties ; chacun veut avoir le dernier mot de ce drame émouvant qui, après s’être déroulé devant la Cour d’assises du Tarn, vient recevoir ici, entouré de nouvelles complications, un dénouement solennel.

    Ainsi que nos lecteurs peuvent se le rappeler, dans la nuit du 29 au 30 juillet 1855, François Galinié avait été assassiné sur la route de Graulhet à Carmaux; l’instruction désigna comme auteurs de ce crime Camboulives et Parayre, et l'un et l’autre furent condamnés à la peine capitale par arrêt de la Cour d'assises du Tarn, le 23 décembre dernier.

    Cet arrêt a été cassé pour vice de forme par la Cour suprême, et les deux accusés ont été renvoyés devant la Cour d’assises de la Haute-Garonne. Mais aujourd’hui un autre accusé s’assied à côté des deux principaux, c'est la sœur de la victime, inculpée de complicité dans l’assassinat de son frère et de faux témoignage. Les révélations de Parayre ont amené ce résultat.

    Après que la condamnation à mort fut prononcée contre lui, Parayre demanda à faire des révélations : il dit qu’il était seul coupable. Cet aveu produisit une profonde sensation ; mais bientôt Parayre revint sur cette déclaration ; il reconnut qu’il ne l’avait faite que pour essayer de se sauver.

    Camboulives lui avait dit pendant les débats, et au moment où ils se trouvaient réunis dans une même cellule : si nous sommes condamnés à mort, il faut que l’un de nous déclare que l’autre est innocent. Parayre, à cause de sa jeunesse, avait plus de chance d’obtenir sa grâce; il fut convenu que ce serait lui qui ferait cette déclaration. Camboulives lui fit d' ailleurs des promesses brillantes.

    Parayre, soustrait à l’influence de son coaccusé, avoua alors qu’il avait commis le crime de concert avec Camboulives; les détails qu’il dévoila ne laissèrent pas de doute sur la sincérité de cet aveu ; il indiqua en même temps les motifs du crime, et il signala à ce sujet des faits qui établissaient la complicité de Victoire Galinié.

    Camboulives, en effet, voulait devenir l’associé et le gendre de Galinié père, et il fit croire à Parayre qu’il pourrait espérer une fille de la maison mais ces projets trouvaient un obstacle dans la personne de Galinié fils, on résolut de s’en débarrasser. Cette résolution aurait été arrêtée par Camboulives et Parayre en présence de Victoire Galinié, qui aurait donné son adhésion.

    C’est à raison de ces faits, que les trois accusés comparaissent devant la Cour d’assises. Leur attitude à l’audience ne trahit de leur part aucune émotion ; Parayre seul paraît abattu ; il cache avec soin son visage au public. Camboulives affecte une grande tranquillité, il promène avec assurance ses regards autour de lui. Victoire Galinié semble oublier, par sa tenue peu convenable, la position grave qui lui est faite par l’accusation. Chez aucun d’eux la physionomie ne présente rien de bien saillant : Camboulives a une certaine dureté dans les traits, tout sur sa figure révèle un caractère énergique et résolu ; on lit sur le visage de Parayre l’indice d’une nature inculte et grossière quant à Victoire Galinié, son œil vif et pénétrant dénote une intelligence des plus actives.

    M. le procureur général Gastambide occupe le siège du ministère public; il est assisté de Maître Cassagne, avocat général.

    Au banc de la défense sont assis Me Canet du Barreau d’Albi, défenseur de Camboulives ; Me Depeyre, défenseur de Parayre, et Me Astrié (Ernest), défenseur de Victoire Galinié.

    Le greffier donne lecture de l’acte d’accusation et des autres pièces.

    M. le président procède aux questions d’usage, et il ajoute en s’adressant aux accusés :

    Il résulta des pièces dont vous venez d’entendre la lecture que vous êtes accusés d’avoir, vous, Camboulives et Parayre, dans la nuit du 29 au 30 juillet dernier, commis un homicide volontaire avec préméditation sur la personne du jeune Galinié, d’avoir exécuté ce crime, avec cette circonstance qu’il a été précédé, accompagné ou suivi de la soustraction frauduleuse d’une certaine somme d’argent et d’une montre dont était porteur Galinié, soustraction commise sur un chemin public pendant la nuit, à l’aide de violences et en réunion de plusieurs personnes, vous, Victoire Galinié, vous êtes accusée de vous être rendue complice de cet assassinat, en provoquant Camboulives et Parayre par des machinations et des artifices coupables; accusée en outre d’avoir, aux audiences des 21 et 22 décembre 1855 de la Cour d’assises du Tarn, où les autres accusés étaient prévenus de l’assassinat de votre frère, commis un faux témoignage : 1° en taisant que ces derniers s’étaient entretenus devant vous, dans la remise de votre père, du projet de frapper votre frère ; 2° en déclarant devant la Cour d’assises que Parayre avait l'habitude d’égratigner les boutons de sa figure, et que les traces d’excoriations qu’on avait remarquées provenaient de là ; tandis que vous saviez parfaitement que ces excoriations étaient produites par les égratignures faites par votre frère au moment où il se débattait contre les étreintes de ses assassins ; 3° en laissant ignorer cette circonstance que Parayre était arrivé en proie à une grande agitation, en disant au contraire que vous n’aviez remarqué rien d’extraordinaire dans son maintien, alors cependant qu’il vous avait fait la confidence de sa coopération dans le meurtre de votre frère.

    M. le président résume brièvement les faits qui servent de base à l’accusation.

    Le plan des lieux qui ont été le théâtre du crime est mis sous les yeux de MM. les jurés.

    L’audition des témoins commence. Auguste Gaston, tanneur à Graulhet, se rendait, le 29 juillet, à sou champ; il traversa la route d’Albi. Près du pont d’A gros, il rencontra deux individus, vers dix heures du matin; peu d'instants après il vit une charrette arrêtée. Quand il repassa, il trouva encore la même charrette, il crut d’abord que le routier était ivre, il y avait près de la charrette un chien noir qui grogna quand il s’approcha. Il trouva dans la charrette un cadavre étendu, il remarqua que la figure était couverte d’écume son opinion fut que la victime avait été étranglée, il alla aussitôt avertir la police. Quand il vint sur les lieux avec la police, il remarqua l'empreinte des roues de la charrette sur la banquette du pont d’Agros; les traces de ces roues indiquaient que la charrette décrivait dans sa marche des sinuosités.

    Sur l’interpellation de Me Canot, le témoin déclare qu'il ne se rappelle pas s’il a dit aux premières personnes qu'il rencontra comment la charrette était attelée, mais il le dit au commissaire de police.

    M. Augry, commissaire de police à Graulhet. Le 29 juillet, il était avec deux gendarmes sur une place de Graulhet vers minuit et demi ; il alla en se promenant avec eux jusqu’au faubourg Laval, il aperçut de là une charrette sur la route. Un des gendarmes remarqua que cette charrette n’était pas munie de lanterne; comme il faisait clair de lune, M. le commissaire de police empêcha que l’on allât dresser procès-verbal. Tous reconnurent la charrette de Galinié son chien la suivait. Le lendemain, le nommé Gaston vint déclarer qu’il avait trouvé arrêtée sur la route une charrette, sur laquelle était un homme qui avait été assassiné.

    Le témoin procéda à des investigations, Camboulives, qu’il rencontra, lui dit : C’est ce pauvre Galinié qui a été assassiné; je le sais, parce que j’étais hier à minuit devant ma remise, et que je l’ai vu passer. Arrive sur le lieu où la charrette était arrêtée, M. le commissaire de police voulut s’en approcher; le chien se précipita sur lui; il fallut user d’expédients pour se préserver de ses attaques; les chevaux furent dételés, et le chien les ayant suivis, il fut possible de visiter la charrette; on y trouva le malheureux Galinié qui était étendu. Au moment où le docteur Bonnet constatait l’état du cadavre, un homme arriva près de la charrette, courant à toute vitesse, et tomba à la renverse, lorsqu’il fut arrivé. M. Bonnet lui prodigua ses soins; il se remit bientôt : c’était Parayre.

    Après cet incident, un témoin rapporta une bourse qu’il avait trouvée sur la route: M. le commissaire de police se transporta sur le pont d’Agros ; les empreintes qui existaient sur cette partie de la route indiquaient que le crime avait été commis là, pendant trois jours, rien ne vint révéler quels en étaient les auteurs.

    Des soupçons se portèrent sur Camboulives, il fut bientôt constaté qu’il avait tenu certains propos compromettants ; le témoin le fit mander près de lui ; Camboulives convint qu’il avait accompagné Galinié pendant une partie de son voyage. Une lettre anonyme confirma les premiers soupçons ; Camboulives fut dès lors arrêté et conduit à la prison de Lavaur. A Lavaur, M. le commissaire de police apprit de M. Bonnet, tanneur de cette ville, que Parayre n’était pas étranger au crime.

    Parayre fut appelé : sa figure était couverte d’égratignures très fortes ; il expliqua ces égratignures en disant qu’il était dans l'habitude de déchirer ses boutons. Galinié père, dans la maison duquel était M. le commissaire de police, s’écria alors ; « Je réponds de Parayre, mon domestique ; ce n’est pas chez moi que vous trouverez le coupable. » M. le commissaire de police n’en persista pas moins dans ses soupçons contre Parayre, des renseignements nombreux vinrent bientôt lui apprendre qu’il ne s’était pas trompé. Les deux accusés furent interrogés ; des témoins furent entendus ; Victoire Galinié fut aussitôt entendue ; les réponses de cette fille, faites avec peu d’assurance, étaient exactement les mêmes que celles de Parayre; il y avait évidemment entre eux un concert coupable pour déguiser la vérité.

    La fille Galinié conteste ce dernier fait; on lui donne lecture de ses interrogatoires. M. le président lui fait remarquer qu’elle en est convenue : – Je vous dis que non répond-elle avec énergie.

    Camboulives est interrogé sur ce fait révélé par lu témoin qu’il aurait dit : Je sais que c’est Galinié, je l’ai vu passer devant ma remise. Il nie qu’il ait vu passer Galinié; il dit qu’il a tenu ce propos, parce que M. le commissaire lui avait déjà décrit l’attelage de la charrette, et qu’il a reconnu ainsi que ce devait être Galinié.

    D. Mais comment avez-vous déclaré à M. le commissaire de police que voua aviez vu passer Galinié ? — R. C’était une manière de blaguer.

    Camboulives dit qu’il était couché au moment où Galinié est passé sur la route, il est allé se mettre au lit à onze heures et demie du soir; il raconte les détails de son coucher.

    D. Vous savez que les témoins vous ont donné un démenti formel ?- R. Que voulez-vous que j’y fasse ? J’ai dit la vérité.

    D. Vous avez dit au juge d’instruction que la charrette était éclairée ; avant, vous avez dit qu’elle ne l’était pas, comment expliquez-vous cette contradiction ? — R. J’avais entendu dire à dix heures du matin que l’on avait voulu faire un procès-verbal à Galinié parce qu’il n’avait pas de lanterne à la charrette. Ce que j’ai dit au juge d’instruction n’avait pas de portée.

    M. le commissaire de police déclare qu’il n’a parlé à personne avant midi de sa conversation avec les gendarmes.

    Camboulives ne peut pas désigner la personne qui lui aurait parlé du procès-verbal que l’on voulait dresser contre Galinié.

    M. le commissaire de police déclare en terminant que Galinié père pourrait, s’il le voulait, dire toute la vérité.

    M. le président adresse à Parayre des questions relativement aux faits qui viennent d’être signalés.

    D. À quelle heure êtes-vous rentré? — R. À une heure et demie ; je trouvai Victoire Galinié; elle me demanda si j’avais rencontré Camboulives, je lui dis que oui ; elle me demanda encore si nous avions fait ce que Camboulives avait dit, je lui répondis affirmativement; alors elle me dit : Il faut prendre garde que cela ne se sache.—Personne ne le saura, répliquai-je, si tu tiens le secret et si tu dis que je suis rentré à minuit.

    M le président. — Fille Galinié, vous voyez ; Parayre vous a recommandé de dire qu’il était rentré à minuit ? - R. (Avec véhémence.) Il ne m’a pas parlé de ça.

    D. Lui avez-vous demandé s’il n’avait pas vu Camboulives? — R. Non, encore non.

    M. le Président donne lecture de la déposition dans laquelle la fille Galinié est convenue de ces faits et il ajoute : Vous voyez bien que vous l’avez dit ? — R. Je vous dis que non.

    M. le président, à Parayre. — Vous affirmez qu’elle l’a dit ? — R. Oui, elle l’a reconnu devant la Cour d’assises à Albi.

    Victoire Galinié persiste dans ses dénégations. Parayre ajoute ; Victoire Galinié me dit encore : Tu as des égratignures sur la figure, cela te décèlera ; je lui dis alors de déclarer que j’étais dans l’habitude de m’écorcher les boutons.

    D. Ces égratignures avaient été faites par qui ? — R. Par le fils Galinié.

    D. Racontez comment s’est passée la scène du meurtre? — R. Je suis sorti à sept heures du soir pour ne rentrer qu’à une heure et demie ; j’allais d’abord au café, et je me rendis ensuite au rendez-vous convenu avec Camboulives ; je le trouvai à dix heures et demie ou onze heures sur la place du Château ; il venait du café Bonnet ; il me dit après m’avoir reproché d’arriver bien tard : Galinié est-il parti ? — Je ne le sais pas, répondis-je. — Il faut pourtant le savoir.—Je ne me soucie pas d’y aller, ajoutai-je mais alors il me dit. : Tu n’es pas un homme de parole ; il faut faire ce que nous avons dit; si tu ne le fais pas, tu t’en plaindras; il me dit encore ; Sois tranquille, je réponds de tout, Je me décidai alors à le suivre, et nous allâmes attendre Galinié.

    D. Où allâtes-vous pour l’attendre ?—R. Dans un champ de millet ; la charrette passa bientôt; j’y montai dessus en disant à Galinié que j’allais l’accompagner ; il ne me répondit rien. Je me plaçai au milieu de lu charrette. En entrant dans la ville du Graulhet, j’aperçus des gendarmes avec le commissaire de police, je me cachai promptement avec un petit manteau ; Galinié marchait ; il trouva sur le pont Saint-Jean quelqu’un avec qui il parla quelque temps, mais que je ne reconnus pas. Camboulives nous rejoignit bientôt il monta sur la charrette, et il dit a Galinié de monter ; il lui dit même de se coucher sur la charrette, en ajoutant : Il faut que tu te reposes, nous mènerons le cheval avec le domestique. Alors Galinié se coucha sur la paille qui était dans la charrette, la tête placée du côté des chevaux. Au pont d’Agros, Camboulives lui mit le genou sur le ventre. Prends-le, me dit-il; je le saisis aussitôt au cou, et c’est alors que je reçus des égratignures. Comme le chien aboyait, Camboulives me dit: Descends, caresse le chien, je me charge de l’affaire. Pendant ce temps, Camboulives l’acheva.

    1). Camboulives s’était-il servi d’une corde? — R. Je ne l’ai pas vu au moment où il exécutait le meurtre.

    D. Êtes-vous remonté sur la charrette ? — R. Oui, j’allai prendre le fouet ; alors Camboulives fouilla dans les vitement de Galinié, il prit la bourse et la montre qu’il avait sur lui, il descendit; je fouettai les chevaux qui partirent suivis du chien. Nous nous arrêtâmes dans un fossé ; Camboulives éventra la bourse et en jeta les débris au loin ; après cela, Camboulives, qui me disait sans cesse. Prends courage, n’aie pas peur, me remit une partie de l’argent et la montre qui m’appartenait et que j’avais prêtée à Galinié pour faire son voyage ; il me recommanda de jeter cette montre en passant au pont Saint-Jean ; et il ajouta : Pars le premier ; il ne faut pas qu’on nous voie ensemble. J'allais a lors à la maison Galinié, et c’est là que j’eus avec la fille Galinié la conversation que j’ai déjà rapportée.

    M. le président, s'adressant à Camboulives. — Ce que vient de raconter Parayre est-il vrai ? — R. Non, je ne l’ai pas vu du tout, je ne l’ai rencontré qu’à six heures du soir chez Galinié le père, je l’y trouvai avec Victoire Galinié et ses deux frères, mais je ne me rappelle pas ce que je lui ai dit.

    Parayre, que l’on amène au milieu de l’enceinte pour qu’il puisse être plus facilement entendu de MM. les jurés, décrit ainsi les faits de cette scène : J’étais occupé à charger du charbon avec Victoire. Galinié ; son frère, arriva bientôt, et il me demanda ma montre pour faire son voyage : Camboulives arriva à son tour; il donna du tabac à Galinié, et il lui demanda l’heure de son départ; Galinié alla alors au lit; Camboulives et la fille Galinié causaient près de la charrette; Camboulives me dit alors : Viens nous avons quelque chose à te dire; tu ne sais pas ce dont il s’agit? — Non, dis-je. — Eh bien, il s’agit de tuer Galinié. — Il ne m’a rien fait, repris-je.—Sois tranquille, ajouta Camboulives, je, te récompenserai. Il m’embarrasse, il m’empêche de faire mes affaires mais sois sans crainte, on ne le saura pas ; Victoire Galinié en est contente. Alors cette dernière s'écrie : Non, je ne veux être la cause de rien; et Camboulives lui dit : Tu ne seras la cause de rien, mais il faut le faire, il faut le faire.

    Victoire Galinié et Camboulives nient énergiquement ces faits.

    Parayre donne encore des détails sur deux conversations qu’il a eues avec Camboulives au mois d’avril et au mois de mai, dans lesquelles ce dernier le préparait au crime qu’il devait exécuter plus tard.

    Camboulives oppose comme toujours une dénégation formelle.

    D’après Parayre, Camboulives lui aurait dit dans la remise de Galinié père : « Je sais que le roulier Linas n’ira pas à Carmaux avec Galinié fils ; Galinié, de son côté, ne veut pas aller avec d’autres rouliers ; le moment est donc favorable; il faut agir. » Camboulives avait dû savoir que Linas était allé annoncer, en effet, chez Galinié qu’il ne pouvait pas raccompagner.

    Camboulives reconnaît qu’il a été parlé de Linas à ce moment, mais il soutient que c’est Galinié fils qui en a parlé, en disant à Parayre : « Vas voir si Linas peut venir avec moi ? » La fille Galinié appuie cette version.

    M. le commissaire de police parle des relations qui existaient entre Camboulives et Victoire Galinié.

    Cette dernière dit qu’elle a connu Camboulives, mais qu’elle ne l’a pas fréquenté. Cette déclaration se trouve en contradiction avec une de ses dépositions ; M. le président le lui fait remarquer ; elle persiste.

    M. Bonnet, médecin à Graulhet, fut chargé d’aller constater l’état du cadavre; il rencontra Camboulives qui lui dit que c’était le fils Galinié qui avait été tué. En visitant la charrette, il trouva une corde autour du cou du cadavre; il donna ses soins à Parayre, qui était tombé en syncope près de la charrette. Le cadavre était étendu, le cou et la poitrine découverts, la face était tuméfiée ; la bouche couverte d’écume ; sur la poitrine et la figure étaient de fortes empreintes ; le cou portait des traces de strangulation. L’autopsie a constaté que la strangulation avait été la cause de la mort. Le témoin a vu les trois filles Galinié en pleurs ; il n’a pas entendu dire que Victoire se soit trouvée mal ; il n’a pas su, avant le crime, que cette fille eût des relations avec Camboulives; il rapporte un bruit public qui accusait Camboulives de la mort d’un nommé Soni.

    Mouriès a trouvé les débris de la bourse près le pont d’Agros; il a remarqué les empreintes des roues sur la banquette de ce pont.

    M. Blens, juge de paix, est entendu. Les détails qu’il fournit ne font que confirmer ceux qui ont été donnés par le médecin. Il en est de même de la déposition de Raynal, gendarme, qui reproduit les faits signalés par M. le commissaire de police.

    Bertrand Rocher, de Graulhet, a vu Parayre tomber en syncope; ce dernier disait : J’ai quelque chose sur le cœur, que je ne puis pas dire.

    Valat cordonnier, a rencontré Parayre qui lui a demandé ce qu’on disait du crime et qui on en accusait; il remarqua les égratignures; Parayre les expliqua eu disant qu’il s'était fait mal en tombant.

    Galinié l’oncle de l’accusée, dépose que Parayre lui a dit qu’il était allé chercher Camboulives, qu’il avait quitté un maçon à onze heures et demie et qu’il était rentré à minuit.

    Roudié maçon à Graulhet. — Le 1er août, il a eu une conversation avec les époux Galinié, qui lui a donné l’idée qu’on soupçonnait surtout Parayre; ils disaient qu’ils croyaient avoir une canaille dans la maison. On ne savait pas à quelle heure Parayre était rentré. Galinié père disait que Camboulives était capable de tout ; que Parayre avait demandé la permission le dimanche soir de s’absenter en disant qu’il avait des affaires et qu’il serait possible qu’il rentrât tard. Le témoin constate qu’il paraissait que les parents de la victime croyaient que Camboulives et Parayre étaient les coupables. Il pense que la fille Galinié n’a pu ignorer le crime ; elle paraissait être la maîtresse de Parayre ou de Camboulives. La famille Galinié hésitait à faire la dénonciation . Camboulives invité à souper le dimanche au soir par Galinié, aurait dit qu’il n’avait pas le temps, qu’il devait partir. Il ne se rappelle pas si Galinié lui a dit que Camboulives avait déclaré qu’il allait à Briatexte.

    Victoire Marty de Graulhet, dépose que, le 30 juillet dernier, elle faisait la lessive près de la maison Galinié. Elle apprit des membres de la famille Galinié que le jeune François avait été assassiné. On disait que les assassins devaient connaître le chien qui accompagnait la charrette. Dans la journée, le témoin a vu Parayre se frappant la tète, en proie à une grande agitation ; il avait l’air préoccupé. A l’enterrement du fils Galinié, auquel assistait Parayre, le témoin dit à son mari : Il est bien pénible de voir le bourreau accompagner sa victime à la dernière demeure. Le témoin a rencontré Parayre sur la route de Carmaux, et ce, dernier lui demandait si on avait découvert quelque chose relativement au crime; le témoin répondit qu'on avait arrêté un des auteurs. N’a-t-on pas arrêté l’autre ? dit Parayre. Il paraissait inquiet et embarrassé.

    Bruyère, de Graulhet. — Le témoin est le portefaix de Camboulives. Il dépose que Camboulives est arrivé le 29 juillet dernier, à neuf heures du matin, à Graulhet, qu’il ne l’a revu ce jour-là qu’à huit heures du soir. Le lendemain il est allé réveiller Camboulives, et comme ce dernier ne lui a pas répondu de suite, il est sorti et une femme lui a dit qu’on avait trouvé un homme mort sur la route d’Albi ; un témoin lui confirma la même nouvelle. Alors il alla trouver Camboulives et lui annonça cotte nouvelle. Ce dernier voulut aller voir le cadavre et il dit au témoin : Je parie que c’est le fils Galinié, je lui ai donné du tabac hier soir. Arrivés tous les deux au pont d’Agros, Camboulives ne voulut pas aller plus loin, et après s’être retourné, il dit au témoin que la guillotine serait une peine trop douce pour les auteurs de cet assassinat.

    Camboulives soutient aux débats que, lorsqu’il a tenu les deux propos rapporté dans la déposition de Bruyère, il lui avait été impossible de savoir quel était l’individu qu’on avait trouvé mort, et si cette mort était le résultat d’un crime. Camboulives a dit au témoin qu’il allait passer la soirée quelquefois chez Galinié, qui avait des filles charmantes.

    Camboulives, interpellé sur ce dernier propos, répond, comme d’habitude, que c’était une blague

    A cinq heures et demie, l’audience est levée et la continuation en est renvoyée à demain.

    LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 30/05/1856

    COUR D’ASSISES DE LA HAUTE-GARONNE (Toulouse).

    Présidence de M. de Guer - Audiences des 22, 23 et 24 mai – ASSASSINAT – FAUX TÉMOIGNAGE. — RENVOI APRÈS CASSATION - DOUBLE CONDAMNATION A MORT.

    À l’audience du 22, après quelques dépositions qui ne révèlent aucun fait nouveau, Parayre reproduit ses aveux. Il reconnaît qu’il est monté sur la charrette après la première scène, et qu’il a déposé son pied sur la poitrine de Galinié ; il lui semblait que le corps de la victime remuait encore.

    Parayre ajoute en terminant : Je ne comprends pas comment Camboulives persiste à vouloir me compromettre ; je ne comprends pas pourquoi il cherche à perdre un enfant comme moi ; lui qui est cause de tout, comment ose t-il me donner un démenti !

    Une altercation très vive s’engage à ce sujet entre Camboulives et Parayre.

    – Comment as-tu le courage de me donner un démenti, à un pauvre enfant comme moi ? s’écrie Parayre.

    - Tu oses dire cela ? répond Camboulives, canaille ! — Tu es un malheureux de vouloir me perdre, réplique Parayre.

    – Brigand ! s’écrie Camboulives, tu m’accuses parce que tu te vois perdu.

    Victoire Galinié, interrogée de nouveau sur les faits révélés par Parayre, persiste dans ses dénégations : Jamais, dit-elle, Parayre ne m’a rien donné à connaître; seulement il m’a dit souvent des choses malhonnêtes que je n’ai pas voulu répéter à Albi.

    Parayre raconte les circonstances qui l’ont amené à faire ses révélations. C’est sur les instances de Camboulives qu’il se décida à déclarer qu’il était seul coupable; il ne peut préciser à quel moment des débats qui eurent lieu devant la Cour d’assises du Tarn, Camboulives provoqua sa détermination.

    Ce dernier lui disait : Nous allons être condamnés à mort, il faut que l’un de nous soit sauvé; et pour cela, il faut que l’autre consente à s’accuser lui-même; mais je suis trop vieux, on ne me ferait pas grâce si j’étais condamné; il faut donc dire que c’est toi qui as commis l’assassinat; tu seras condamné, mais à cause de ton jeune âge on te fera grâce. Tu iras à Cayenne, et là je t’enverrais de l’argent. Parayre ajoute : Après ma condamnation, mon défenseur vint me trouver et me dit : Mon garçon, tu n’as qu’un moyen de te sauver, c’est de dire la vérité; l’Empereur aura égard à ta jeunesse et pourra te faire grâce. C’est alors que je déclarai que j’étais seul l’auteur du crime; plus tard, je réfléchis, et cédant aux exhortations de l’aumônier qui venait me voir fréquemment, je revins sur ma déclaration, et je dis alors la vérité.

    Les dépositions des témoins ont rempli le reste de cette audience qui a été levée à cinq heures et demie.

    Au commencement de l’audience du 23, un détenu de la maison d’arrêt de Gaillac dépose que Camboulives, qui a passé quelques jours dans cette prison, lui a fait écrire une lettre anonyme adressée au Parquet de cette ville, afin d’écarter tout soupçon de sa personne. Dans cette lettre, dictée par Camboulives, il était dit : C’est Parayre et un autre individu que Camboulives qui ont exécuté le meurtre, et Camboulives les a rencontrés au moment où ils allaient commettre ce crime. » Cette lettre n’a pas été retrouvée.

    La déclaration de ce témoin produit une grande sensation dans l’auditoire.

    Camboulives, interpellé par M. le président, finit par avouer qu’il a dicté cette lettre.

    Après avoir entendu cet aveu accablant, Me Canet, fortement ému, demande que l’audience soit suspendue pendant quelques instants pour qu’il puisse conférer avec Camboulives. À la reprise de l’audience. M. le président demande à Camboulives s’il n’a rien à révéler. Il répond négativement.

    Demyre, cultivateur, rapporte que, trois jours après le crime, la fille Galinié lui a dit qu’elle devait se marier avec Camboulives, elle ajouta, en parlant de ce dernier, qu’il s'était vanté d’avoir « sablé » son premier amant.

    Victoire Galinié nie ces propos. M. le président constate que, dans une déposition écrite, elle a déclaré que son premier amant avait été sablé, en disant seulement qu’elle ignorait de qui elle tenait ce fait.

    Cécile Bessières, épouse d’Antoine Cols, sage-femme, dépose que Victoire lui a dit : Camboulives a sablé mon dernier amant.

    Elisabeth Marquiés rapporte qu'un individu lui a dit qu’il tenait de Victoire Galinié que Camboulives avait sablé son dernier amant. | Cette déposition n’a pas été notifiée dans la procédure; M. le procureur général offre d’en donner immédiatement une copie aux défenseurs; ceux-ci déclarent qu’ils n’en ont pas besoin pour le moment. Cette copie leur est néanmoins présentée, et la Cour donne acte de cette remise.

    Joseph Jouy fils - Victoire Galinié le menaça, dans une circonstance, de lui donner une volée, cette menace ne reçut jamais d’exécution.

    Victoire Galinié nie le propos rapporté par le témoin.

    M. Gravelle, gardien en chef de la prison de Toulouse, est entendu à titre de simple renseignement. Il rapporte que le père de Camboulives étant venu visiter son fils à la prison, ce dernier lui dit que si les Galinié déposaient contre lui, et qu'il ne fut condamné qu’aux travaux forcés, il tâcherait de s’échapper pour aller les tuer.

    Après quelques autres dépositions sans intérêt, l’audience est levée.

    Dans la nuit qui a suivi cette audience, Camboulives a fait appeler M. le président des Assises.

    Le 24 dès neuf heures et demie, la foule se presse à toutes les issues. Un petit nombre d’élus pénètre avec peine dans l’enceinte réservée ; la tribune est promptement garnie ; les avocats en robe arrivent grand nombre ; plusieurs sont obligés de s’asseoir sur les gradins placés au-dessous des sièges des membres de la Cour ; lorsque la porte extérieure est ouverte, la salle est bientôt remplie. On remarque dans enceinte réservée plusieurs groupes animés qui parlent des révélations faites dans la nuit par Camboulives; cette nouvelle circule bientôt dans l’auditoire et excite une vive émotion; l’émotion redouble quand les accusés sont introduits ; tous les regards se portent sur Camboulives ; il parait livré à une grande agitation ; à peine assis, il cache ses pleurs en couvrant sa figure avec son mouchoir. L’attitude des deux autres accusés est toujours la même.

    A dix heures, la Cour prend séance. M président, s’adressant à Camboulives. — Camboulives vous m’avez fait appeler hier à la prison; dites à MM. les jurés quelles sont les révélations que vous m’avez confiées ?

    Camboulives commence sa réponse avec quelque hésitation ; sa voix, affaiblie par l'émotion à laquelle il est en proie, est à peine perceptible.

    Il raconte d’abord les détails de plusieurs entrevues qu’il a eues avec Victoire Galinié, et il ajoute :

    Un jour elle me dit : Quand est-ce que tu te maries ?—Je n’en ai pas le temps, lui répondis-je. Elle me dit : Il faut te marier avec ma sœur ? — Je ne la connais pas, lui dis je.—Je te la ferai connaître, répliqua-t-elle. Quelque temps après, je rencontrai Victoire avec Parayre dans la marnière; nous causâmes pendant quelques instants ; il ne fut question de rien. Le soir, je trouvai encore Victoire, qui me parla de faire tous ensemble un repas, le dimanche suivant. Je ne me rendis pas chez elle ce jour-là. Quelques jours plus tard, elle me trouva, et me dit : Tu n’es pas venu ? —Non, lui dis-je. Elle ajouta : Quand est-ce que tu te maries avec Françoise ? moi, je veux me marier avec Parayre. — Et l’enfant ? (François Galinié) lui dis je. Elle me répondit : Nous le tuerons ?

    Le 29 juillet, j’allai chez Galinié, je causai quelques instants avec les filles, je visitai la briqueterie. Parayre vint ; nous descendîmes à la remise. Le fils Galinié arriva à son tour, il me demanda une cigarette; je la lui donnai; il la fuma et puis se coucha. Je causai avec Parayre et Victoire ; Parayre alla chercher de l'eau et revint bientôt. Victoire parla de son frère : Nous ne trouverons jamais un moment plus favorable, me dit-elle, que ce soir. — Pourquoi ? lui dis-je. — parce que Linas a dit qu’il ne pouvait pas l’accompagner ; il est sûr qu’il ira seul à Carmaux. Je lui répondis : Je ne te conseille pas de faire cette affaire. Et je m’en allai à six heures du soir.

    Après cette heure-là, je rentrai à la maison Cagneuil ; là on me dit que Fabre me demandait ; j’allai le rechercher, mais je ne le trouvais point ; je me rendis alors au café Bonnet, j’y restai jusqu’à onze heures un quart ; j’allai ensuite trouver Parayre au lieu qui avait été fixé ; nous nous dirigeâmes près de la route, et, sur le pont d’Agros, nous avons tué et étranglé ce pauvre misérable.

    D. Votre récit est incomplet. Précisez davantage les détails. Comment la scène du meurtre s’est-elle passée ? — R. C'est Parayre qui se précipita sur Galinié ; il le saisit au cou, l’étreignit fortement ; il lui passa ensuite une corde autour du cou et il l’étrangla ; en tenant le corps soulevé au moyen de la corde, il le retourna sur la charrette ; c’est aussi Parayre qui prit l’argent; en descendant de sur la charrette son pied sur la figure du malheureux. Après cette scène, nous retournâmes à Graulhet Parayre rentra dans la maison Galinié; je rentrai, de mon côté chez les Cagneuil.

    D. A quelle heure êtes-vous rentré ? — R-A heure du matin; je montai l’escalier qui conduit à ma chambre pieds nus.

    D. Quel est le rôle que vous avez ions l’exécution du crime? — R. Je tenais Galinié par les pieds

    D. Vous n’avez pas suffisamment expliqué comment le complot avait été formé entre vous et Parayre. R. Après que Victoire eut donné l’idée du meurtre nous convînmes avec Parayre que nous irions attendre Galinié, et que l’assassinat aurait lieu sur le pont d’Agros.

    Camboulives déclare, en terminant que ce que Parayre a raconté, relativement aux déclarations par lui faites après la condamnation prononcée par la Cour d’assises du Tarn, est parfaitement exact.

    M. le président, s’adressant ensuite à Parayre – Parayre, vous venez d’entendre les révélations de Camboulives ; est-ce que les faits se sont passés ? — R. Non Monsieur le président. Camboulives ne dit pas la vérité. *

    Parayre se tourne alors vers Camboulives et lui dit avec force : Déclare enfin la vérité; je ne te demande pas autre chose; comment peux-tu dire que c’est moi qui ai tout fait ? N est ce pas toi qui as organisé l’exécution du crime ? N’est-ce pas toi qui m’as dit dans la remise : Il faut le faire, il faut le faire ! Malheureux c’est toi qui m’as perdu ! Hier, tu disais que tu déclarerais la vérité, et cependant tu ne la disais pas; eh bien aujourd’hui répare ta faute ; achève de dire la vérité allons, malheureux, dis une fois toute la vérité. '

    Camboulives. — Tout ce que j’ai raconté est vrai. M. le président. — Fille Galinié, vous venez d'entendre ce que dit Camboulives?—R. Ce n'est pas vrai

    D. Camboulives, défendez-vous. — R. Sans elle le crime n’aurait jamais été exécuté. (Sensation.)

    Victoire Galinié s’emporte contre Camboulives. D. Quel intérêt voulez-vous que ces deux hommes aient eu à commettre le meurtre?—R Tout ce que je sais c’est que ce n’est pas pour moi. Je suis innocente devant la justice comme devant Dieu.

    M. le président. — Dieu sait encore mieux que la justice ce que vous avez fait. — R. Si Dieu pouvait me juger, je ne serais pas ici.

    Camboulives est interpellé encore sur quelques détails qu’il a omis;

    D. Qui a pris l'argent dont Galinié était porteur ? — R. C’est Parayre.

    D. Comment cela s’est-il passé ? — R. Parayre est monté seul par le derrière de la charrette; il a pris l’argent et la montre ; j’étais sur le devant et je voyais faire; en descendant, il a mis le pied sur la figure de Galinié. C’est Parayre qui a ôté l’argent de la bourse, il a dit que cet argent servirait à louer des musiciens pour la fête de Saint-Pierre. (Mouvement dans l’auditoire.) Parayre me dit en nous retirant : Nous ne risquons rien, parce que Victoire dira que je suis rentré à minuit un quart, et que le chien sera empoisonné.

    D. Parayre, qu’avez-vous à dire sur ces révélations ? — R. Tout cela est faux; comme il ment ! Il ne sait pas ce qu’il dit; je pense qu’il se décidera à dire le vérité.

    D. Camboulives, vous ne dites pas toute la vérité; faites un effort encore et ne déguisez plus rien.

    Camboulives ne fait aucune réponse; Parayre l’interpelle vivement : Je serais heureux, lui dit-il, de te voir dire la vérité ; tu sais bien que tu m’as perdu, tu sais que tu as abusé de ma jeunesse, de mon inexpérience et de ma faiblesse. Eh bien ! je te pardonne mais au nom du ciel, dis la vérité; songe que tu es devant la justice!

    Camboulives persiste dans ses déclarations. Un juré demande si Camboulives, en rapportant un propos tenu par Victoire Galinié au sujet de son frère, a dit : On le tuera, ou nous le tuerons; il ajoute qu’il fallait savoir laquelle des deux expressions avait été prononcée, parce que l’une était différente de l’autre.

    Me Astrié se lève aussitôt pour demander acte à la Cour des paroles qui viennent d’être prononcées.

    M. le procureur général se borne à faire remarquer que la Cour doit apprécier si ces paroles renferment la manifestation d’une opinion.

    La Cour, après avoir délibéré, déclare qu’il n’y a pas lieu de donner acte.

    Camboulives est encore interrogé. D. C'est vous qui avez dit à la fille Galinié : Et l’enfant ? À quoi elle répondit : Nous le tuerons? — B Oui, je crois qu’elle disait cela en plaisantant; dans la remise, elle me dit qu’elle voulait se marier avec Parayre ; mais c’était encore là une manière de plaisanter elle ne voulait pas l’épouser.

    D. C’était donc vous qu’elle voulait épouser ? — . Peut-être qu’oui…

    D. Fille Galinié, vous voyez les charges qui s accumulent sur votre tête, il n’y a plus que vous qui n’ayez pas avoué ; réfléchissez à votre position. – J’ai dit la vérité; je ne fais aucun cas de ce qu’ils peuvent déclarer, car qui a trahi mon frère m’a trahie.

    D. Vous n’avez donc tenu aucun des propos qui viennent d’être rapportés ? — R. Non, ce n’est pas vrai. Je ne crains pas leurs accusations; je n’ai rien à me reprocher; je ne regrette qu’une chose, c’est le déshonneur que je cause à ma famille, et je désire vraiment avoir la force de le supporter avec résignation ; mais pour être innocente, je le suis.

    Parayre est interpellé sur les propos qui aurait été tenu par Victoire Galinié.

    R. Victoire n’a jamais dit, en parlant de son frère « Nous le tuerons. » C’est Camboulives qui a parlé de le tuer ; et elle répondit «  Si mon père le savait, Dieu m’en préserve ! — Personne ne le saura, dit Camboulives ; cela s’est vu d’autres fois. »

    M. le Président fait un dernier appel à Camboulives et à Victoire Galinié pour les engager à dire la vérité : ils persistent dans leurs dires respectifs

    Après ces dramatiques incidents, M. le procureur général se lève et prend la parole, soutient énergiquement l’accusation et demande au jury une répression sévère

    Me Canet prend ensuite la parole dans l’intérêt de Camboulives ; Me Depeyre présente la défense de Parayre. Les deux avocats sollicitent, en faveur des accusés le bénéfice des circonstances atténuantes.

    Me Astrié plaide pour Victoire Galinié et s’attache à combattre les charges de l’accusation.

    L’audience est levée à six heures pour être reprise à huit.

    La Cour rentre en séance à huit heures et demie. M le Procureur général réplique aux défenseurs. Me Astrié répond à M. le procureur général.

    Après ces répliques M. le Président résume ces longs et saisissants débats.

    Le jury entre dans la salle des délibérations à minuit et demi. À ce moment l’affluence devient de plus en plus considérable ; des groupes de curieux circulent sur la place du Palais attendant patiemment la solution qui va être donnée à ce drame émouvant qui occupe exclusivement, depuis plusieurs jours, l’attention publique

    A deux heures du matin seulement, on annonce que le jury est rentré, la foule fait irruption dans la salle, le calme s’établit avec peine ; la parole est donnée au chef du jury; au milieu d’un silence religieux, il donne connaissance du verdict par lequel le jury a répondu affirmativement sur toutes les questions qui concernent Camboulives et Parayre sans admission des circonstances atténuantes; et quant à la fille Galinié, négativement sur la question de complicité, affirmativement sur la question de faux témoignage, sans circonstances atténuantes.

    Camboulives et Parayre sont condamnés à la peine de mort et Victoire Galinié à douze ans de travaux forcés.

    L’exécution doit avoir lieu sur la place de Graulhet.

    LE DROIT 20/01/1856

    ALBI - On se rappelle la double condamnation à mort prononcée vers la fin de décembre dernier par la Cour d’assises du Tarn, contre les nommés Parayré et Camboulives pour assassinat sur la personne du jeune Galinier, de Graulhet ; on se rappelle également que le soir même du jour où fut rendu l’arrêt, Parayé annonça l’intention de faire des révélations et que, mis en présence des magistrats, il se déclara le seul auteur du crime en affirmant la complète innocence de Camboulives ; puis, qu’il se rétracta quelque temps après et restitua à Camboulives son véritable rôle dans ce lugubre drame, celui d’instigateur et de principal auteur de l’assassinat. «D’après les bruits qui circulent et que tout fait présumer être exact nous disait notre correspondant Camboulives voulait épouser la sœur de la victime et entrer en qualité de gendre chez Galinier père, comme ce dernier s’y opposait, destinant son fils à continuer son état de chauffournier Camboulives aurait prémédité de se défaire de son futur beau-frère, et aurait déterminé Parayré à l’aider sous la promesse qu’il le garderait comme valet, et peut-être même qu’il le ferait entrer dans la famille Galinier son tour comme mari de la seconde fille de Galinier. »

    Cette affaire, déjà si fertile en péripéties et en émotions diverses, parait devoir se compliquer encore d’un nouvel incident. On nous écrit en effet que par suite d’autres révélations faites par l’un des condamnés, une des sœurs de la victime se trouverait compromise. Ces révélations ont paru assez graves pour que la Cour de Toulouse évoquât l’instruction de l’affaire. Le 15 de ce mois, M. le conseiller Prévost délégué à cet effet par la Cour, et M l’avocat général Charrins se sont transportés à Graulhet où leur arrivée a produit la plus profonde sensation.

    Parayré sera grâcié le 3 août 1856 et Victoire libérée en 1864

     

     LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 31/12/1855


    Exécution capitale

    On nous écrit de Graulhet, le 30 juillet : « Il y a un an aujourd’hui, un crime effrayant venait attrister cette ville. Un jeune homme de seize ans avait été étranglé pendant la nuit, et on ramenait, dans sa charrette, le cadavre à peine refroidi de François Galinier.

    Le drame judiciaire commençait. La justice cherchait les coupables, bientôt elle les désignait. La Cour d’Assises d’Albi, et enfin celle de Toulouse, constataient le crime et infligeaient la punition.

    Aujourd’hui, jour anniversaire du crime, l’un des coupables a subi sa peine. L’échafaud vient de se dresser pour Jean-Pierre Camboulives, condamné à mort le 25 mai dernier par la Cour d’Assises de la Haute-Garonne.

    La fatale nouvelle est arrivée hier à Craulhet. Elle y a causé une impression profonde. La fête des chapeliers, qui dure ordinairement trois jours, avait commencé dimanche. Elle a été interrompue, et une morne tristesse a succédé aux chants joyeux.

    Ce matin, un grand nombre d’étrangers arrivait à la ville et encombrait les hôtels. On venait de Lavaur, d’Albi et de tous les pays environnants. Les voitures succédaient aux voitures, les piétons envahissaient les rues. L’autorité avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre. Un peloton de vingt-cinq gendarmes à cheval, formé des brigades d’Albi, de Graulhet, de Gaillac, de Saint-Paul et de Lavaur, commandées par le lieutenant de Lavaur; un détachement de 66 hommes du 19e de ligne, venus d’Albi sous la conduite d'un capitaine et d’un lieutenant, devaient assurer la circulation et maintenir la multitude. M. le maire, M. le commissaire de police de Graulhet, M. le juge de paix de Briatexte, assistés des gardes champêtres de la commune, s’étaient entendus avec les autorités militaires pour concourir au même but.

    Pendant toute la journée d’hier, le crime commis au pont d'Agros, dans la nuit du 29 au 30 juillet, servait de texte aux conversations. Plusieurs personnes ont voulu visiter les lieux témoins du crime, et le suivre pour ainsi dire pas à pas, depuis la marnière où il a été conçu, jusqu’au pont d’Agros ou il a été commis. Il a fallu une hardiesse bien rare pour commettre un assassinat pendant une belle nuit d’été, sur une grande route fréquentée par des rouliers et des cultivateurs, dans un endroit entouré de métairies, dont la plus proche n’est guère qu’à une centaine de mètres.

    On visitait aussi la maison de la femme Cagneulle, chez laquelle Camboulives était logé, et dont la déposition a produit tant d’effets aux débats.

    Le lieu de l’exécution était le foirail de Graulhet, vaste place irrégulière, bordée de trois côtés par des sycomores et bornée par une muraille naturelle qui s’élève à pic, à environ quarante mètres de hauteur. En haut se trouve une terrasse derrière laquelle s’étend la partie haute de la ville.

    A dix heures du soir, l’exécuteur de Toulouse, assisté de deux aides, venus l'un d'Albi, l’autre de Rodez et de deux ouvriers charpentiers requis par l’autorité municipale, commençait à dresser l’échafaud. Un poste de fantassins repoussait les curieux et les tenait à distance. À la lueur rougeâtre des torches de résine, ces hommes, occupés à ce lugubre travail, parlant à voix basse, tantôt perdus dans l’ombre de la nuit, tantôt rendus visibles par les reflets de la flamme cette masse noire qui s’élevait pieu à peu et comme d’elle-même, frappaient l'imagination et donnaient un aspect sinistre à la grande place de Graulhet.

    Le condamné devait partir hier soir de Toulouse ; on avait annoncé son arrivée pour six heures du matin. A six heures moins un quart, les gendarmes apparaissaient au bout de la longue avenue d’ormes séculaires qui conduit à Graulhet. A six heures, l'escorte mettait pied à terre devant la caserne de la gendarmerie.

    Camboulives était dans une citadine de Toulouse, dont on avait gratté le numéro. Deux gendarmes de la brigade de Toulouse étaient dans la voiture. M. l’abbé Ratier aumônier des prisons, dont le zèle pieux n’a pas cessé de soutenir le condamné, était assis à côté de lui.

    En face de la mort, Camboulives était calme et résigné. On lui avait annoncé la veille, à six heures du soir, le rejet de son pourvoi et l’heure de l’exécution. Il était monté en voiture sachant très bien qu’il allait au supplice. Il n’avait montré ni exaltation ni abattement. Au bas-fond de Girou, avant d'arriver à Verfeil, il avait prié un gendarme de fermer les carreaux de la voiture, disant que la fraîcheur de la nuit pouvait lui donner un coup d’air.

    A Verfeil, il avait bu quelques gorgées d’eau-de-vie et demandé des cigares. Il avait fumé tranquillement pendant la plus grande partie de la route. Un quart de lieue avant Briatexte, il montra une briqueterie aux gendarmes, et leur dit en soupirant : « C’est la maison de mon père. »

    Arrivé à Graulhet, on le conduisit dans une salle basse au rez-de-chaussée de la caserne de la gendarmerie. Un lit de camp, une cruche d’eau, un peu de paille et deux chaises formaient tout le mobilier de cette cellule. C’est là qu’il est demeuré pendant les deux heures qui ont précédé sa mort, s’entretenant avec le prêtre, baisant le crucifie et exprimant le plus sincère repentir.

    Le garde-champêtre Pélissier, qui a contribué à son arrestation et qui le connaissait de longue date, est entré un moment dans la cellule pour lui offrir un peu d'eau-de-vie, Camboulives l’a reconnu et lui a dit en patois: Ah! mon pauvre Pélissier, tu vois combien je suis malheureux! donne-moi la main - Pélissier lui a tendu la main.—Dis à mes amis et à mes voisins que je me repens qu’ils prient pour moi !

    A sept heures et demie, l’exécuteur est arrivé ; un huissier, commis à cet effet par M. le. Procureur impérial de Lavaur a lu l’extrait de l’arrêt de condamnation, et a fait remettre le condamné à l’exécuteur, qui a procédé à la toilette.

    Soutenu par les aides de l’exécuteur, Camboulives a marché jusqu’à la voiture. Il y est monté avec son confesseur. En ce moment, le condamné a montré le même courage. Seulement, sa figure était plus pâle et il paraissait un peu plus faible.

    Les stores de la voiture étaient abaissés. Le condamné a pu arriver au pied de l’échafaud sans être en butte à la curiosité de la foule. Quand il a vu l’instrument du supplice, il a baissé la tête et s’est mis à pleurer. On l’a porté au pied de l’escalier, qu’il a monté d’un pas chancelant, toujours soutenu par les deux aides, M. l’aumônier est monté sur l'échafaud en même temps que lui. Camboulives s’est mis à genoux et le prêtre a fait un signe. Aussitôt la foule est devenue muette, et le prêtre a exhorté les assistants à dire une prière pour le condamné qui se repentait de son crime et qui leur demandait pardon. Une émotion profonde a accueilli les paroles de l'aumônier, les officiers ont, incliné leurs épées, les soldats se sont penchés sur leurs fusils, plusieurs personnes se sont mises à genoux. C’était un silence effrayant et solennel.

    Camboulives s’était relevé. M. l’aumônier est descendu, et aussitôt les exécuteurs se sont emparés du patient. L’opération avait été commencée au premier coup de huit heures; au moment où le huitième coup sonnait, la justice humaine a été satisfaite. M. l'aumônier s’est rendu immédiatement à l’église de Graulhet, où il a célébré une messe basse pour le repos de l’âme du supplicié.

    Deux heures après, l’échafaud était démonté, et la place demeurait vide. L’ordre le plus parfait a été maintenu pendant les préparatifs et pendant l’exécution. Cette scène terrible d’expiation laissera de profonds souvenirs dans tout le département.

     

     


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