• - L'accident de car de Février 1973

     

    - L'accident de car de Février 1973

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    EXECUTION CAPITALE A GRAULHET
    le mercredi 30 juillet 1856 - 8 h
    Place du Foirail (Jourdain)

    l'unique exécution capitale à Graulhet

    - Exécution capitale 30 juillet 1856

    - Exécution capitale 30 juillet 1856

    Meurtre d'un jeune garçon dans la nuit
    du 29 au 30 juillet 1855

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    Pour la première fois le détail des arrêts de jurisprudence et le récit de l'exécution capitale publiés dans le journal :

    - Exécution capitale

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    On retrouve dans le détail de ses comptes-rendus les noms des accusés et des témoins parfois orthographiés de façon différente, il en est de même pour les noms du personnel judiciaire et des avocats. On découvrira de nombreux noms de lieux de Graulhet que nous pouvons tous connaître : les différents cafés : Café Le Tivoli, Bonnet etc...des lieu-dit : Le Louat (certainement le Loubat) , la place du Foirail (Jourdain aujourd'hui) mais également des choses étonnantes : le travail des enfants/adolescents et des lieux d'aisances peu communes que je vous laisse découvrir !

    LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 31/12/1855

     
    COUR D'ASSISES DU TARN (Albi). Présidence de M. Sacase. Audiences des 21, 22 et 23 décembre. ASSASSINAT.— DOUBLE CONDAMNATION A MORT.

    Deux jeunes gens prennent place sur le banc des accusés l’un, Pierre Camboulives, né à Saint Gaudens, garçon roulier à Toulouse, est âgé de vingt cinq ans l’autre, Joseph Parayre, dit François, né à Graulhet, domestique chez Galinier, briquetier à Graulhet, est âgé seulement de dix-huit ans.

    M. Jourdanet, procureur impérial, occupe le fauteuil du ministère public.

    Me Canet et Gil sont au banc de la défense ; le premier pour Camboulives, le second pour Parayre.

    Dans la salle se presse une foule considérable attirée par la gravité et l’intérêt de cette affaire.

    L’acte d'accusation expose ainsi les faits : Le 29 juillet dernier, François Galinier, âgé de 10 ans, partit de Graulhet, un peu avant minuit, pour se rendre à Carmaux, où son père l’envoyait acheter de la houille; il portait 50 francs dans une bourse en cuir et une montre en cuivre, que lui avait prêtée l’accusé Parayre, domestique de sa famille ; il conduisait une voiture à deux colliers et était accompagné d’un chien de garde habitué à suivre l’attelage.

    Le lendemain, au point du jour, cet enfant fut trouvé mort sur sa charrette, à 4 kilomètres de Graulhet. Les chevaux ne sentant plus de guide, s’étaient arrêtés à un endroit appelé les Barrottes, le chien était auprès d’eux et prenait une attitude menaçante quand on approchait de la voiture.

    Le commissaire de police, informé de cet événement, se transporta sur les lieux, à cinq heures du matin ; il constata que le jeune Galinier avait été étranglé avec une corde faisant partie de l’attelage et qui entourait encore le cou de la victime. Les 50 francs, la montre, la bourse de cuir qui les contenait avaient été volés ; la bourse fut trouvée vide et déchirée sur la route près du pont d’Agros, à deux kilomètres de la ville, dans un endroit isolé c’était là sans doute que le crime avait été commis.

    Dans la soirée du même jour, le procureur impérial et le juge d’instruction de Lavaur, s’étant à leur tour rendus sur les lieux, fires procéder à l'examen et à l’autopsie du cadavre et commencèrent une information.

    Le rapport médico-légal ne laisse pas la moindre incertitude sur la cause de la mort de François Galinier. La corde, fortement nouée autour du cou, y avait formé plusieurs plaies contuses, une grande quantité d’écume blanche, un peu sanguinolente, recouvrait la bouche et l’extrémité du nez; tous les vaisseaux du crâne, les veines jugulaires et les poumons étaient injectés d’un sang noir, on voyait des ecchymoses à la partie supérieure de la poitrine et au bas de la mâchoire; des écorchures et des excoriations existaient aussi sur le ventre et à l’une des jambes.

    De tous ces faits les hommes de l’art concluent que le jeune Galinier a succombé à une asphyxie par strangulation, et que cette strangulation est le résultat d’un crime. Ils ajoutent que l’état du cadavre, et cette circonstance que des brins de paille étaient engagés entre la corde et le cou de l’enfant, leur paraissent démontrer qu’il a été tué pendant qu’il reposait sur un fagot de paille placé au fond de la charrette, et qu’il n’a pas opposé une grande résistance. Le fagot de paille était d’ailleurs tout en désordre, et rien n’indiquait que la lutte entre la victime et ses agresseurs se fût passée sur la route.

    Les observations faites par les médecins, jointes à celles des magistrats instructeurs, permettent d’affirmer, que les coupables étaient au nombre de deux. En dehors des planches qui ferment la charrette par derrière, on remarquait plusieurs empreintes de clous produites par des souliers fortement appuyés; une empreinte demi circulaire et très prononcée, produite par un talon de soulier ferré ou de botte, avait occasionné à la partie supérieure de la poitrine l’ecchymose constatée par le rapport médico-légal ; celle qui existait au menton paraissait avoir été faite par la pointe de ce soulier ou de cette botte; tout porte donc à croire que les malfaiteurs étaient montés sur la charrette, l’un par-devant, l’autre par-derrière.

    Pendant que l’un tenait la victime, l’autre avait dû lui passer la corde autour du cou, et tandis qu’il lui étreignait du pied la poitrine et la mâchoire, pour accomplir en peu d’instants l’œuvre de la strangulation; si le chien, dont personne, n’avait entendu les aboiements n’avait pas défendu son maître, c’est qu’il était familier avec l’un des coupables. Comme cela a été dit plus haut, Galinier (François) avait quitté Graulhet un peu avant minuit. C’est entre minuit et une heure qu’il reçut la mort et qu’il fut volé. En effet, le sieur Gaston étant passé dans cet intervalle au lieu des Barrottes, y remarqua la charrette arrêtée sur la route vers une heure un quart ou une heure vingt minutes, le sieur Bonnet la voyait aussi au même endroit, où elle se trouvait encore, au jour naissant, lorsque la sieur Gaston, repassant sur la route, s’aperçut le premier de la mort du jeune Galinier.

    Les premiers actes de l’information n’amenèrent aucun résultat, pour la découverte des auteurs du crime mais le 31 juillet, les soupçons les plus graves commencèrent à se fixer sur Pierre Camboulives et s’étendirent bientôt sur Pierre Parayre.

    Camboulives, domestique du sieur Bonnet, commissionnaire de roulage de Toulouse à Lavaur et à Graulhet, arrivé dans cette dernière ville le 29 juillet au matin, avait passé chez Galinier père une partie de l'après-midi, et s’y était trouvé avec Parayre, son domestique, qu’il connaissait depuis longtemps. Il avait appris, dans ce moment que Galinier devait faire partir son fils, entre onze heures et minuit, pour aller acheter du charbon à Carmaux, qu’il devait lui donner de l’argent pour cet achat, et que l’enfant devait faire le voyage seul.

    Vers six heures et demie du soir, Camboulives avait quitté la maison de Galinier, en disant qu’il allait à son auberge, chez le sieur Cagneul, au faubourg Saint-Jean. Il s’y était, en effet, rendu ; il y avait soupé, était sorti aussitôt après, et n’était rentré que fort tard, pour se coucher, car ou ne l’avait pas entendu dans la maison.

    De son côté, Parayre, qui ne sortait pas le soir, avait demandé à son maître, ce jour-là, la permission de s’absenter, en lui disant mensongèrement qu’une personne l’attendait dans une maison de la ville. Il était sorti à sept heures ou huit, et bien que Galinier lui eût recommandé ne revenir le plus tôt possible, on ne l’avait revu qu’après minuit.

    Eu outre, la moralité de l’un et de l’autre était suspecte, car on avait déjà eu des actes d’infidélité à leur reprocher. Enfin, il était certain que le chien dont Galinier (François) était accompagné avait suivi plusieurs fois Parayre à Albi, et le connaissait parfaitement.

    Camboulives et Parayre furent, en conséquence, mis en arrestation.

    On les appela immédiatement à rendre compte de leur temps, depuis leur sortie de la maison Galinier jusqu’à une heure du matin, et voici les explications qu’ils fournirent à cet égard :

    Camboulives prétendit qu’après avoir recherché aux cafés Azémar et Maury un sieur Fabre qui était venu le demander chez Cagneul, il était allé vers neuf heures au café Bonnet, où il était resté avec le sieur Moulis et quelques autres jusqu’à onze heures, heure à laquelle on ferme les lieux publics à Graulhet; il était sorti de ce café avec Moulis, qui se retira chez lui. De son côté, il s’était dirigé alors vers le champ de foire, sous la promenade du Château, pour y satisfaire un besoin.

    Pendant qu’il était là, il avait vu passer dans le faubourg Laval, qui longe le champ de foire, une charrette attelée de deux chevaux, avec lanterne allumée. Ayant joint cette charrette au bout du pont Saint-Jean, il avait reconnu que c’était celle de Galinier (François). Ils avaient marché et causé ensemble jusqu’à l’auberge Cagneul, où il avait quitté le jeune Galinier, et était rentré pour se coucher, il ajouta qu’il était en ce moment minuit qu'il avait trouvé la femme Cagneul et son fils cadet dans la cuisine de l’auberge qui ce dernier était monté avec lui au premier étage pour se coucher, que la femme Cagneul, après avoir pris la chandelle de sa fille qui se couchait l’avait accompagné, lui Camboulives, dans sa chambre et avait même fait la couverture de son lit.

    Parayre dit à son tour avoir passé une grande partie de la soirée avec le sieur Marcel Saul, qu’il aurait rencontré en sortant de chez son maître. Ils allèrent ensemble au café du Midi, ou ils restèrent jusqu'à huit heures et demie environ, ils se promenèrent ensuite du côté de Saint-Projet et sur la place du Château, et vinrent de là au bal de Tivoli, où ils passèrent environ une heure. Il n’était pas encore dix heures lorsqu’ils en sortirent. Ils voulurent se rendre au café Bonnet, mais ils n’y arrivèrent pas, parce qu’on leur dit qu’on n’y laissait pas entrer. Ils retournèrent ensuite sur la place du Château où, après quelques instants, il dit à Saul: Si nous trouvions Camboulives, nous lui ferions payer le café; je vais faire un tour pour voir si je le trouve.

    Quittant alors son compagnon, qui lui dit de retourner au bal Tivoli, il s’engagea lui-même dans la rue qui aboutit au pont Saint-Jean, alla jusqu’à ce pont, et n’ayant pas aperçu Camboulives, revint au bal Tivoli, où il trouva le sieur Déloustal. Il était dans ce moment environ dix heures et demie; il sortit du bal, seul, vers onze heures, passa près d’un quart d’heure près la promenade du Château, descendit dans un trou, sous cette promenade, pour y satisfaire un besoin, et rentra ensuite chez Galinier, après s’être reposé un instant sur la paille, dans la remise, et alla au four rejoindre son maître et la fille de ce dernier. Celle-ci, à laquelle il demanda quelle heure il était, lui dit que minuit avait sonné depuis peu ; en effet, minuit et demi sonna quelque temps après à l’horloge. Parayre dit encore que, pendant qu’il se trouvait sur le champ de foire, il n’avait pas vu passer la charrette de François Galinier, et qu’il ne l’avait pas non plus rencontré en retournant chez son maître.

    Ce récit des accusés a été contredit de la manière la plus formelle par divers témoins, sur plusieurs points importants eux-mêmes l’ont contredit dans les conversations qu’ils ont eues les jours qui ont suivi leur crime.

    Ainsi le sieur Moulis n’est allé au café Bonnet que sur les dix heures; il y a vu Camboulives, il en est sorti vers onze heures moins un quart, mais non avec cet accusé, et il ne sait dans quel moment celui-ci aurait lui-même quitté ce café.

    Le sieur Rouffiac a vu entrer Camboulives dans ce même café vers dix heures, l’accusé resta assis non loin de lui, quelques minutes seulement, et disparut ensuite.

    Vers dix heures et demie, le sieur Blatgé le vit arriver au café Azémar avec deux autres individus, en ressortir dix minutes après.

    Cagneul, sa femme et leur fils démentent aussi la déclaration de Camboulives relative à ce qui se serait passé à sa rentrée dans leur auberge. Ce n’est que le lendemain qu’ils ont su qu’il couchait chez eux. Ordinairement il ne dépassait pas onze heures. Ils étaient tous couchés lorsqu’il rentra, le dernier d’entre eux, le fils aîné, s’était mis au lit à dix heures et demie, et le fils cadet dès neuf heures; Camboulives dut éviter en rentrant tout espèce de bruit, car ce fut la première fois qu’aucun d’eux ne l’entendit, bien qu’il fût obligé, pour aller à sa chambre, de traverser la cuisine où se trouve le lit des époux Cagneul, de monter un escalier en bois qui passe au-dessus de leur alcôve, et de passer encore dans la chambre du plus jeune de leurs fils.

    Au surplus, dès le 30 juillet et quelques heures après le crime, Camboulives commençait à se mettre en contradiction, par ses propos, avec ce qu’il a dit sur l’emploi de son temps au magistrat instructeur. A cinq heures du matin, le sieur Bruyère (Jean) à qui il avait donné rendez-vous à quatre heures pour l’aider à décharger sa voiture, le trouve encore endormi, il le réveille et lui apprend qu’on a trouvé, aux Barottes un homme mort sur sa charrette. Ils descendent avec Philippe Cagneul, et lorsqu’ils sont dans la rue l’accusé leur dit : je parie que c’est le fils de Galinier. Hier au soir, quand il partait, je l’ai accompagné sur la route d’Albi jusqu’à l’embranchement de Saint-Mémy, après le pont d’Agros et en le quittant, je lui ai donné deux pipes de tabac.

    Le sieur Isnard l’entend tenir ce propos quelques instants après.

    Bientôt, changeant de version, il dit au commissaire de police qui passait sur la route: j’étais hier au soir sur le devant de ma remise, à minuit il n’y a que Galinier (François) qui soit passé avec sa charrette, et quelque temps après le petit courrier de Lavaur à Albi.

    Le même jour, vers dix heures du matin, il dit au sieur Carivenc : Hier au soir, vers minuit, j’étais sur le pont Saint-Jean, lorsque Galinier passa avec sa charrette ; comme il n’avait pas sa lanterne allumée, le commissaire de police et le brigadier de gendarmerie voulaient lui dresser procès-verbal. Un instant après, oubliant sans doute ce qu’il venait dire à Carivenc, il lui dit qu’il avait rencontré Galinier à un endroit appelé le Louat, et qui se trouve environ à 200 mètres des dernières maisons de Saint-Jean.

    A ces déclarations diverses et si rapprochées, un soupçon traversa l’esprit du sieur Carivenc aussi dit-il à Camboulives qu’il pouvait savoir quelque chose sur cette affaire.

    A trois heures du soir, l’accusé reproduit à peu près, dans une conversation avec le sieur Gau, la dernière version qu’il a faite à Carivenc

    Sur les six heures, il s’arrête, en retournant à Toulouse, à la briqueterie du sieur Pierre Mauriès, près de Briatexte là, revenant à ses premiers dires de la matinée du même jour, où perce une partie de la vérité, il les entoure d’allégations mensongères pour mieux détourner les soupçons qui pèsent déjà sur lui, et il s’exprime ainsi, en présence du briquetier et des sieurs Bru et Gairal .

    Hier au soir, vers minuit, j’ai rencontré Galinier fils, qui partait pour Albi ; nous allâmes prendre tous les deux une tasse de café au café Bonnet, qui resta ouvert toute la nuit, à cause de la fête des chapeliers. En sortant de ce café, je dis à Galinier : je vais t’accompagner jusqu'à ma remise, dans le faubourg Saint-Jean. Dans le parcours, nous rencontrâmes le commissaire de police et les gendarmes qui nous laissèrent passer sans nous adresser la parole. Arrivés à mon écurie, le fils Galinier m’engagea à l’accompagner plus loin. Sur son désir, je l’accompagnai jusqu’au chemin de Saint-Mémy là j’ai donné du tabac à Galinier qui monta sur sa charrette, et lorsque je rentrai chez Cagneul à une heure du matin, je rencontrai deux gendarmes qui faisaient leur ronde; nous entrâmes ensemble chez Cagneul, nous prîmes un verre de vin, et puis j’allai me coucher.

    C’est encore le même récit, mais avec quelques variantes et de nouveaux détails non moins mensongers, qu’il fit à peu d’instants après, en traversant Briatexte, à la femme Saurel, et aux sieurs Eugène Bruger et Moulet.

    Parayre tombe de son côté dans de nombreuses contradictions, soit avec les témoins, suit avec lui-même.

    (Avec les témoins).— Marcel Saul, qu’il prétendait avoir quitté sur la place du Château, vers dix heures, a déclaré que c’était une heure auparavant. Ce témoin ajoute que Parayre ne lui dit pas en le quittant: « Je vais voir si je trouve Camboulives et il nous paiera du café » mais qu’il s’exprima ainsi qu’il suit : Attends-moi là, je vais descendre à Saint-Jean pour parler à Camboulives, et je vais te rejoindre.

    Saul le vit en effet prendre la direction du pont Saint-Jean, il rentra lui-même au bal Tivoli et y resta jusqu’à dix heures sans revoir reparaître l’accusé. Le sieur Déloustal donne également un démenti à Parayre, en déclarant qu’il a quitté le bal à neuf heures, et qu’en conséquence ce dernier n’a pu l’y voir, comme il le prétend, sur les dix heures et demie; c’est vers huit heures et demie, que Déloustal avait aperçu l’accusé dans cet établissement, en compagnie de Marcel Saul. Jean Saul, qui a passé toute la soirée au bal Tivoli, n’y a vu Parayre qu’un peu avant neuf heures, et affirma de plus que ce dernier ne s’y trouvait pas à onze heures au moment où le bal s’est fermé.

    Le sieur Isnard fait la même déclaration ; puis, il ajoute que, vers dix heures et à dix minutes d’intervalle, il a vu deux fois Parayre se promenant seul, les bras croisés à quelques mètres de la porte du café Bonnet.

    Galinier père ne peut préciser le temps qui s’est écoulé entre le départ de son fils et le retour de son domestique à la maison, sa femme ne s’est couchée qu’environ trois quarts d’heure après le départ de François Galinier, et Parayre n’était pas encore rentré en ce moment ; Victoire Galinier leur fille, croit qu’il était une heure du matin lorsque l’accusé est revenu.

    Peu d’instants avant l’arrivée de ce dernier, l’horloge avait sonné un coup et il sembla à cette fille entendre un autre coup peu de temps après. Elle dit encore que ce fut seulement le lendemain du crime que Parayre prétendit s’être couché sur un fagot de paille, dans la remise, avant de rejoindre son maître au jour.

    Avec lui-même. — Le 31 juillet, Parayre disait au sieur Blatgé que le 29, à onze heures du soir, il était au café Bonnet le 3 août, il déclarait au sieur Jousine, tantôt qu’en se retirant, vers minuit, chez Galinier, il venait du bal du café Bonnet, tantôt qu’il venait au contraire du bal Tivoli.

    Le 5 août, il fait au sieur Louis Mauriés, aubergiste, à Poujoulet, le récit suivant : Dans cette soirée, celle du crime, j’étais au café à Graulhet je me retirai du café avec Camboulives que j’allai accompagner à une demi-heure de la ville. Là, nous nous quittâmes, j’allai chez mon maître où j’arrivai entre dix heures et demie et onze heures. Je me couchai immédiatement sur une botte de paille, entre dix heures et dix heures et demie, la fille Galinier vint m’engager, de la part de son père, à me lever et à aller l’aider aux travaux de la briqueterie. Je me levai, en effet, et à peine étais-je debout, que j’entendis sonner une demie qui devait être l’indication do onze heures et demie ou minuit et demi. L’assassinat de Galinier a eu lieu vers minuit. Je ne puis donc y avoir participé, attendu que la fille de mon maître attestera qu’elle est venue me faire lever vers cette heure.

    On a pu voir par ce qui précède que ce récit était complètement inexact sur ce dernier point.

    Camboulives et Parayre, qui ont soutenu dans leurs interrogatoires ne pas s’être vus dans la soirée du 29 juillet, depuis leur sortie de la maison Galinier, avaient donc, d’après l’aveu échappé à Parayre, au milieu de ses allégations mensongères, passé une partie de la soirée ensemble après être allés au café, ils étaient aussi allés ensemble à une certaine distance de la ville. Déjà, d’ailleurs, d’autres circonstances concouraient avant cet aveu à démontrer ces faits importants, et précisaient même d’une manière positive le dernier de ces faits, par le moment où il a eu lieu, qu'il se lie de la manière la plus étroite à la perpétuation du crime. Et d’abord, Camboulives et Parayre avaient dû se voir dans la soirée. En effet, vers neuf heures, Parayre quitte Déloustal eu disant qu’il va parler à Camboulives.

    En supposant qu’il n’ait pas trouvé son coaccusé, il l’a vu sans doute à la sortie de celui-ci du café Bonnet, car, suivant Isnard, il était, un peu après dix heures, devant ce café où se trouvait alors Camboulives, qui, d’après Rouffiac, en est sorti dans le même moment.

    A dix heures et demie, on a vu entrer Camboulives au café Azémar avec deux autres individus. Parayre n’était-il pas l’un d’entre eux ? De plus, de l’aveu des accusés, ils se sont trouvés l’un et l’autre, à onze heures, sous la promenade du Château pour y satisfaire un besoin.

    Il y a trois fosses à peu de distance les unes des autres, dans l’endroit ou ils disent s’être arrêtés. Parayre était dans la seconde, et Camboulives dans la troisième; il est impossible qu’ils ne se soient pas vus en ce moment. Que sont-ils devenus depuis onze heures jusqu’au moment où Parayre est entré chez son maître et Camboulives à son auberge ? Que l’on prenne les déclarations des témoins ou celles des accusés pour fixer l’heure de leur retour, ils ne peuvent dans aucun cas rendre compte d’une manière satisfaisante de l'emploi de leur temps.

    Eu effet, Camboulives est obligé de convenir qu’il est resté de onze, heures à minuit sur le champ de foire, et que c’est à cette dernière heure qu’il a vu passer Galinier (François). Parayre, qui dit n'être resté qu’un quart d’heure au même endroit, aurait mis près d’une heure pour rentrer chez Galinier, trajet pour lequel il ne fallait que cinq minutes.

    Mais les dépositions du sieur Calmés et de la femme Soulet viennent encore mieux prouver que les accusés se sont réunis dans la soirée du 29 juillet. Il résulte, en effet, de ces déclarations que Camboulives et Parayre étaient ensemble à minuit, qu’ils épiaient dans le faubourg Laval le passage de la voiture du jeune Galinier et qu’ils ont suivi cette voiture lorsqu’elle était engagée sur le pont Saint-Jean. Calmés, dont la maison est située dans le faubourg Laval, en face du champ de foire, rapporte qu’étant à sa fenêtre un instant avant minuit, il a vu passer la charrette de François Galinier, allant vers le pont Saint-Jean, qu’il l’a vue tourner ce pont, et qu’en ce moment il a aperçu, au milieu de la rue, à sept ou nuit mètres de son habitation, deux individus qui prirent d’un pas accéléré la même direction. La taille de ces deux hommes, leur costume, leur démarche ne laissait aucun doute sur leur identité. C’étaient Camboulives et Parayre.

    Une expérience faite dans la maison d’arrêt par le juge d’instruction, imprime à ce fait le caractère le plus sérieux de vérité. Calmés, placé à une fenêtre des cellules du premier étage, a vu passer dans le préau, à une distance à peu près égale, les deux accusés vêtus comme ils l’étaient le 29 juillet, et il a dit que ces individus étaient absolument les mêmes que ceux qu’il avait aperçus ce jour-là, sous sa croisée que ce, qui augmente sa conviction à cet égard, c’étaient non-seulement leur costume et leur taille identiques, mais encore la démarche et le bruit qu’ils faisaient sur le pavé avec leurs bottes eu leurs souliers.

    La femme Soulet étant sortie vers l’heure indiquée par Calmés, et se trouvant à l’angle du champ de foire, au-dessous de la côte du Château, a vu de là, deux individus qui, après s’être blottis dans une encoignure en face du pont Saint-Jean jusqu’au passage de la charrette de Galinier, suivirent cette voiture. Cette femme ne peut préciser quelle était la coiffure de Parayre, mais sur toutes les autres particularités du costume des accusés et sur leur taille elle fournit les mêmes renseignements que Calmés.

    Entre minuit et une heure, le sieur Gaston rencontra sur la route avant d’arriver aux Barrottes, et par conséquent non loin du pont d’Agros, deux individus qui se dirigeaient vers Graulhet, et c’est précisément vers une heure que les accusés rentrèrent, l’un chez son maître, l’autre à son auberge. Ce fut peu de temps après cette rencontre que Gaston aperçut pour la première fois la charrette de Galinier arrêtée sur la route aux Barrottes. L’instruction a complété les preuves résultant de tous les faits qui précèdent par d’autres qu’elle puise principalement dans la conduite des accusés, le lendemain du crime et pendant les quelques jours qui ont précédé leur arrestation.

    On connaît déjà le propos tenu par Camboulives à Jean Bruyère et à Philippe Cagneul, le 30 juillet, à cinq heures du matin. Bruyère lui avait dit seulement qu’on avait trouvé un homme mort sur sa charrette, et Camboulives répondit : je parie que c’est le fils à Galinier. Un instant après, comme le docteur Bonnet et le commissaire de police passaient devant l’auberge de Cagneul, Camboulives dit à ce dernier : C’est un grand malheur qui est arrivé cette nuit, ou a tué le fils à Galinier. Le commissaire de police fut tellement surpris de ces paroles, qu’il lui répondit : Comment le savez-vous ? Bruyère et Isnard se mettent eu route avec Camboulives pour aller voir le cadavre. En arrivant au pont d’Agros, on leur apprend que la charrette est aux Barrottes, et Camboulives s’écrie: Je le croyais mort ici puis il reprend avec Bruyère la route de Graulhet. Ils n’ont rien appris sur la cause de la mort de Galinier et cependant, Camboulives dit à Bruyère, à leur arrivée : Ah ! mon Dieu si l’on peut découvrir qui l’a fait, on ne lui en fera jamais assez.

    L’accusé part à trois heures pour Lavaur; à Briatexte, au-delà, il rencontre plusieurs personnes qui lui demandent des détails sur les événements de la nuit, et il leur fait alors les récits qui ont été rapportés plus haut. Son extrême agitation, son air égaré, pendant ces conversations, frappent ses auditeurs et leur font concevoir des soupçons contre lui.

    Les yeux, a dit l’un d’eux, lui sortaient de la tête. On ne l’avait jamais vu eu pareil état ; aussi disait-on, autour de lui : Cet homme parle beaucoup trop, il se fera prendre.

    En même temps, il tenait des propos qui indiquaient la connaissance des détails du crime et, par suite, la participation qu'il y avait prise: il disait au sieur Eugène Bruyère que ceux qui avaient commis l’assassinat, devaient être des connaissances ou des habitués de la maison, puisque Galinier fils était accompagné d’un chien qui se serait défait de deux hommes ; au sieur Robert, en lui parlant de la victime : On lui a mis les genoux sur la poitrine et on l’a étranglé avec une corde ; au sieur Papaïx: Le pauvre enfant, à minuit nous étions ensemble, et à une heure il était mort ; enfin, à un autre témoin , que, sans doute, l’assassinat avait eu lieu vers minuit et demi.

    Le 2 août, à son retour de Toulouse, il rencontra près de Briatexte le sieur Bosc et lui demanda si l’on n’avait arrêté personne à l’occasion de la mort de Galinier, le témoin lui répond négativement ; l’accusé lui parla alors avec beaucoup d’agitation de cette affaire, il lui dit qu’il vient de voir passer le commissaire de police de Graulhet, qui lui a demandé son nom. Dieu me d..., tu comprends si j’ai voulu le lui dire, ajouta-t-il. Il va et vient, entre dans le grand panier de sa charrette en sort aussitôt, il prend une bouteille et va se faire donner de l’eau dans une métairie voisine, il verse sans en donner à Bosc qui lui en a demandé. Il jette la bouteille dans le panier comme pour la casser, la roue lui brise le bout de son fouet, il achève de le détruire en le plaçant sous cette roue, et il s'écrie : Voilà le dernier que j’achète.

    Les préoccupations qui assiègent Parayre ne sont pas moins grandes et se traduisent par des propos ou des faits tout aussi significatifs.

    Le 30 juillet, dès quatre heures du matin, il fait à Galinier père cette étrange question: Où pensez-vous que soit votre fils maintenant ? Il doit bien regarder la montre que je lui ai prêtée.

    Il n’a pas réclamé le prix de cette montre. Vers les six heures du matin, il se rend avec les filles Galinier sur le lieu du crime. Avant d’y arriver, et sans avoir encore rien vu, il éprouve une défaillance sur la route, on le dépose sur un faix de paille, on lui donne des soins et on le ramène à Graulhet.

    Pendant qu’il était sur le faix de paille, la demoiselle Austry, fille du commissaire de police, remarque qu’il a sur la joue droite des traces d’égratignures toutes récentes et qu’on y voit encore l’empreinte de plusieurs ongles. Il a cherché à faire croire qu’il s’était fait ces égratignures lorsqu’il était tombé sur la route; mais il n’y avait, à l’endroit où eut lieu cette syncope, ni ronces, ni autre chose qui pût les produire. Plus tard, d’ailleurs, changeant de version, il a prétendu se les être faite- en se laissant tomber lorsqu'il allait boire dans un ruisseau. Ces égratignures provenaient évidemment de la résistance qu’avait opposée le jeune Galinier à ses agresseurs.

    À son retour des Barrottes, Parayre se trouvait dans la plus grande agitation, il allait, il revenait, il s’asseyait un luttant; se relevait aussitôt. Il se frappait la tête à plusieurs reprises, eu disant : Ah ! Dieu me d...! La femme Marty lui demanda si c’était sa montre qu’il regrettait : Ah bah ! la montre, lui répondit-il.

    Le 3 août, le sieur Auriol le rencontre revenant de Carmaux, l’accusé lui demanda si l’on a arrêté quelqu’un : On a arrêté Camboulives, répond Auriol, et l’on prétend que l’on va arrêter... Parayre ne le laisse pas achever, ses traits s’altèrent, et vivement impressionné, il reprend sa route sans rien dire.

    Le même jour, et plus tard, il demande à d’autres témoins si des arrestations ont été faites, et tous ont déclaré qu’il avait l’air égaré dans les conversations qu’ils eurent avec lui. — Comme Camboulives, il fixa l’heure du crime : C’est à minuit ou minuit et demi, dit-il aux sieurs Viguier et Rougé, qu’il a eu lieu.

    Le 30 juillet, pendant que l’on faisait l’autopsie du cadavre de Galinier, il dit au sieur Artous : Il faut que celui qu’il l’a fait soit bien bête, je suis sûr que c’est la corde de la charrette qu’il a autour du cou et même elle est coupée.

    Galinier (Martin), lui faisant connaître, le 1er août, que Camboulives a dit à Briatexte, avoir pris le café avec François Galinier, dans la soirée du 29 juillet, et l’avoir accompagné pendant une partie de la route, Parayre lui répond : Camboulives est une bête de parler ainsi; si je le rencontre, je lui ferai des reproches.

    Enfin huit jours après le crime, et alors qu’il peut déjà espérer ne pas être poursuivi, il change d’attitude et dit à Victoire Galinier qui l’a surpris chantant dans la maison et qui lui fait remarquer que cela n’est pas convenable après le malheur qui est arrivé : Cela ne me fait rien à moi. Telles sont les preuves nombreuses qui résultent de la procédure et qui ne laissent aucun doute sur la culpabilité de Camboulives et Parayre.

    Les débats ont rempli plusieurs audiences sans donner lieu à aucun incident important.

    Plus de soixante témoins ont été entendus. Les accusés aux charges élevées contre eux, n’ont cessé d’opposer des dénégations absolues.

    L’accusation soutenue par M. le procureur impérial a été énergiquement combattue par Me Canet et Gil.

    Après le résumé de M. le président, le jury est entré dans la salle de ses délibérations d’où il a rapporté un verdict qui, en écartant la préméditation, déclare Parayre et Camboulives coupables de meurtre et de vol, avec cette circonstance que le meurtre a précédé, accompagné ou suivi le vol. Le verdict est muet sur les circonstances atténuantes.

    M. le Président a donné lecture de l’arrêt de la Cour qui condamne les deux accusés à la peine de mort.

    En attendant prononcer cet arrêt, Parayre et Camboulives sont restés calmes et impassibles. Ils ont été reconduits dans la prison au, milieu d’une foule fortement émue par le dénouement de ce drame qui, pendant trois jours, avait excité le plus vif intérêt.

    D’après le Journal du Tarn, le condamné Parayre aurait fait, dès le soir même de sa condamnation, des révélations complètes, dont la conséquence serait de faire peser sur lui seul tout le poids du crime et de faire ressortir l’innocence de Camboulives :

    Parayre aurait déclaré, dit ce journal, que Camboulives n’était pour rien dans le crime commis qu’il était lui le seul assassin. Depuis quelque temps, une cause bien futile en apparence avait jeté dans sa pensée des germes de jalousie et des projets de vengeance. Parayre, domestique dans la maison Galinier, avait été pendant longtemps chargé, par son maître, des voyages à Carmaux que nécessitait l’exploitation de la briqueterie, il se plaisait à ces voyages, il était heureux de la confiance qui lui était témoignée.

    Mais le fils Galinier, quoique bien jeune encore, semblait devoir le remplacer dans ce service, et plusieurs fois déjà il s’était rendu à Carmaux. Parayre fut irrité par ce changement dans ses habitudes ; avec la violence de sou caractère, ses passions les plus mauvaises furent soulevées, sa haine et sa jalousie se traduisirent en projets d’homicide.

    Le 29 juillet ou soir était fixé pour le départ de Galinier fils, ce malheureux enfant se met en route à onze heures et demie. Parayre a vu les apprêts du voyage, il se rend sur la route et attend caché dans un champ de millet, le passage du fils de son maître.

    Enfin, la charrette paraît, Parayre se présente au jeune Galinier : Ah ! te voilà dit celui-ci, tu m’accompagneras quelques instants ? En effet, ils marchent ensemble bientôt Parayre monte sur la charrette, le moment est venu où il pourra accomplir ses funestes projets. Il se couche, il se cache pour ne pas être aperçu par les personnes qui passent sur la route ; Galinier monte à son tour. — Eh bien, dit-il, tu le vois, je vais à Carmaux ; c’est moi qui, à l’avenir, ferai toujours ce voyage; pour toi, c’est fini. Ces paroles activent la résolution de Parayre, il se précipite sur Galinier, le saisit au cou qu’il serre de ses deux mains, d’une constitution faible, l’enfant ne peut lutter contre son agresseur; sous cette étreinte terrible, il ne tarda pas à perdre connaissance, sans mouvement, il respire encore, l’assassin détache une corde de la charrette, la passe au cou de sa victime la serre fortement, de ses genoux, de ses deux pieds, il presse, il écrase la poitrine, Galinier est bien mort. Parayre alors abandonne le cadavre sur la charrette, il s’enfuit.

    Mais bientôt il réfléchit qu’il détournera plus sûrement les soupçons en faisant croire à un assassinat par des voleurs; il revient sur ses pas, remonte sur la charrette, enlève la bourse en cuir et la montre que portait le jeune Galinier. Avant de rentrer à Graulhet, en passant sur le pont, il jette la montre dans la rivière, va ensuite cacher l’argent dans un pré. Quelques heures après le crime est découvert.

    Tels seraient les aveux de Parayre ; il ajoute que, deux jours après le crime et en revenant de Carmaux, où le lendemain même il avait été charger du charbon craignant que l’argent caché avec précipitation ne fut découvert, il fut le prendre là où il l’avait déposé, sa pensée était de le jeter dans la rivière mais la présence de quelques personnes l’en empêcha, il fut alors le cacher dans un lieu qu’il désigne, et dont il trace même le plan. Sur ces indications, l’argent a été trouvé le lendemain par les gendarmes envoyés par la justice.

    Je suis le seul assassin, disait Parayre, j’ai bien mérité la mort, mais mourir si jeune ! Si mes aveux et mon repentir pouvaient sauver ma tête, je serais trop heureux !... Camboulives est innocent... je ne puis expliquer l’accusation et sa condamnation à mort à présent que j'ai parlé, je me sens soulagé d’un poids énorme qui m oppressait.

    Camboulives, qui, assure-t-on, ignore encore les révélations de Parayre, conserve le calme et le sang froid qui ne l’ont pas un instant abandonné pendant les débats et se montre d'une résignation extrême, en protestant toujours de son innocence, il ne peut attribuer sa mise en accusation qu’à des jactances imprudentes qui l’ont compromis, et qu’il n’osa d’abord rétracter et sa condamnation qu’à des erreurs ou des oublis de la part de quelques témoins.

    Tels sont les bruits que recueille avidement la curiosité publique.

    Notre correspondant nous écrit que Parayre n’a pas tardé à modifier ces déclarations. Il résulterait de ses aveux que non seulement son coaccusé est coupable mais qu’il est le principal auteur du crime et que c’est à son instigation que Parayre l’a aidé à étrangler le jeune et malheureux Galinier, fils de son maître. D’après les bruits qui circulent et que tout fait présumer exacts Camboulives voulait épouser la sœur de la victime et entrer en qualité de gendre chez Galinier père mais comme ce dernier s’y opposait destinant son fils à continuer son état de chauffournier. Camboulives aurait prémédité de se défaire de son futur beau-frère et aurait déterminé Parayre à l’aider, sous la promesse qu’il le garderait comme valet et peut-être même le ferait entrer dans la famille Galinier à son tour comme mari de la seconde fille de Galinier.

    Il résulterait aussi des mêmes bruits que tous les deux auraient coopéré au crime et du reste, il paraîtrait, d’après l’état du cadavre et le genre d’assassinat auquel on a eu recours, qu’il est à peu près impossible qu’un seul homme ait pu le commettre, et à plus forte raison Parayre à peine âgé de deux ou trois ans de plus que le malheureux Galinier fils. Cette invraisemblable n’aurait pas peu contribué à entraîner Parayre à confesser la vérité tout entière.

    LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 29/05/1856

    JURIDICTION CRIMINELLE.
    COUR D’ASSISES DE LA HAUTE-GARONNE (Toulouse). Présidence de M. de Guer.

    Audience du 21 mai - ASSASSINAT. — FAUX TÉMOIGNAGE. — RENVOI APRÈS CASSATION.

    Un public nombreux est venu assister aux débats de cette affaire qui a eu un retentissement considérable et dont nous avons fait connaître les principales péripéties ; chacun veut avoir le dernier mot de ce drame émouvant qui, après s’être déroulé devant la Cour d’assises du Tarn, vient recevoir ici, entouré de nouvelles complications, un dénouement solennel.

    Ainsi que nos lecteurs peuvent se le rappeler, dans la nuit du 29 au 30 juillet 1855, François Galinié avait été assassiné sur la route de Graulhet à Carmaux; l’instruction désigna comme auteurs de ce crime Camboulives et Parayre, et l'un et l’autre furent condamnés à la peine capitale par arrêt de la Cour d'assises du Tarn, le 23 décembre dernier.

    Cet arrêt a été cassé pour vice de forme par la Cour suprême, et les deux accusés ont été renvoyés devant la Cour d’assises de la Haute-Garonne. Mais aujourd’hui un autre accusé s’assied à côté des deux principaux, c'est la sœur de la victime, inculpée de complicité dans l’assassinat de son frère et de faux témoignage. Les révélations de Parayre ont amené ce résultat.

    Après que la condamnation à mort fut prononcée contre lui, Parayre demanda à faire des révélations : il dit qu’il était seul coupable. Cet aveu produisit une profonde sensation ; mais bientôt Parayre revint sur cette déclaration ; il reconnut qu’il ne l’avait faite que pour essayer de se sauver.

    Camboulives lui avait dit pendant les débats, et au moment où ils se trouvaient réunis dans une même cellule : si nous sommes condamnés à mort, il faut que l’un de nous déclare que l’autre est innocent. Parayre, à cause de sa jeunesse, avait plus de chance d’obtenir sa grâce; il fut convenu que ce serait lui qui ferait cette déclaration. Camboulives lui fit d' ailleurs des promesses brillantes.

    Parayre, soustrait à l’influence de son coaccusé, avoua alors qu’il avait commis le crime de concert avec Camboulives; les détails qu’il dévoila ne laissèrent pas de doute sur la sincérité de cet aveu ; il indiqua en même temps les motifs du crime, et il signala à ce sujet des faits qui établissaient la complicité de Victoire Galinié.

    Camboulives, en effet, voulait devenir l’associé et le gendre de Galinié père, et il fit croire à Parayre qu’il pourrait espérer une fille de la maison mais ces projets trouvaient un obstacle dans la personne de Galinié fils, on résolut de s’en débarrasser. Cette résolution aurait été arrêtée par Camboulives et Parayre en présence de Victoire Galinié, qui aurait donné son adhésion.

    C’est à raison de ces faits, que les trois accusés comparaissent devant la Cour d’assises. Leur attitude à l’audience ne trahit de leur part aucune émotion ; Parayre seul paraît abattu ; il cache avec soin son visage au public. Camboulives affecte une grande tranquillité, il promène avec assurance ses regards autour de lui. Victoire Galinié semble oublier, par sa tenue peu convenable, la position grave qui lui est faite par l’accusation. Chez aucun d’eux la physionomie ne présente rien de bien saillant : Camboulives a une certaine dureté dans les traits, tout sur sa figure révèle un caractère énergique et résolu ; on lit sur le visage de Parayre l’indice d’une nature inculte et grossière quant à Victoire Galinié, son œil vif et pénétrant dénote une intelligence des plus actives.

    M. le procureur général Gastambide occupe le siège du ministère public; il est assisté de Maître Cassagne, avocat général.

    Au banc de la défense sont assis Me Canet du Barreau d’Albi, défenseur de Camboulives ; Me Depeyre, défenseur de Parayre, et Me Astrié (Ernest), défenseur de Victoire Galinié.

    Le greffier donne lecture de l’acte d’accusation et des autres pièces.

    M. le président procède aux questions d’usage, et il ajoute en s’adressant aux accusés :

    Il résulta des pièces dont vous venez d’entendre la lecture que vous êtes accusés d’avoir, vous, Camboulives et Parayre, dans la nuit du 29 au 30 juillet dernier, commis un homicide volontaire avec préméditation sur la personne du jeune Galinié, d’avoir exécuté ce crime, avec cette circonstance qu’il a été précédé, accompagné ou suivi de la soustraction frauduleuse d’une certaine somme d’argent et d’une montre dont était porteur Galinié, soustraction commise sur un chemin public pendant la nuit, à l’aide de violences et en réunion de plusieurs personnes, vous, Victoire Galinié, vous êtes accusée de vous être rendue complice de cet assassinat, en provoquant Camboulives et Parayre par des machinations et des artifices coupables; accusée en outre d’avoir, aux audiences des 21 et 22 décembre 1855 de la Cour d’assises du Tarn, où les autres accusés étaient prévenus de l’assassinat de votre frère, commis un faux témoignage : 1° en taisant que ces derniers s’étaient entretenus devant vous, dans la remise de votre père, du projet de frapper votre frère ; 2° en déclarant devant la Cour d’assises que Parayre avait l'habitude d’égratigner les boutons de sa figure, et que les traces d’excoriations qu’on avait remarquées provenaient de là ; tandis que vous saviez parfaitement que ces excoriations étaient produites par les égratignures faites par votre frère au moment où il se débattait contre les étreintes de ses assassins ; 3° en laissant ignorer cette circonstance que Parayre était arrivé en proie à une grande agitation, en disant au contraire que vous n’aviez remarqué rien d’extraordinaire dans son maintien, alors cependant qu’il vous avait fait la confidence de sa coopération dans le meurtre de votre frère.

    M. le président résume brièvement les faits qui servent de base à l’accusation.

    Le plan des lieux qui ont été le théâtre du crime est mis sous les yeux de MM. les jurés.

    L’audition des témoins commence. Auguste Gaston, tanneur à Graulhet, se rendait, le 29 juillet, à sou champ; il traversa la route d’Albi. Près du pont d’A gros, il rencontra deux individus, vers dix heures du matin; peu d'instants après il vit une charrette arrêtée. Quand il repassa, il trouva encore la même charrette, il crut d’abord que le routier était ivre, il y avait près de la charrette un chien noir qui grogna quand il s’approcha. Il trouva dans la charrette un cadavre étendu, il remarqua que la figure était couverte d’écume son opinion fut que la victime avait été étranglée, il alla aussitôt avertir la police. Quand il vint sur les lieux avec la police, il remarqua l'empreinte des roues de la charrette sur la banquette du pont d’Agros; les traces de ces roues indiquaient que la charrette décrivait dans sa marche des sinuosités.

    Sur l’interpellation de Me Canot, le témoin déclare qu'il ne se rappelle pas s’il a dit aux premières personnes qu'il rencontra comment la charrette était attelée, mais il le dit au commissaire de police.

    M. Augry, commissaire de police à Graulhet. Le 29 juillet, il était avec deux gendarmes sur une place de Graulhet vers minuit et demi ; il alla en se promenant avec eux jusqu’au faubourg Laval, il aperçut de là une charrette sur la route. Un des gendarmes remarqua que cette charrette n’était pas munie de lanterne; comme il faisait clair de lune, M. le commissaire de police empêcha que l’on allât dresser procès-verbal. Tous reconnurent la charrette de Galinié son chien la suivait. Le lendemain, le nommé Gaston vint déclarer qu’il avait trouvé arrêtée sur la route une charrette, sur laquelle était un homme qui avait été assassiné.

    Le témoin procéda à des investigations, Camboulives, qu’il rencontra, lui dit : C’est ce pauvre Galinié qui a été assassiné; je le sais, parce que j’étais hier à minuit devant ma remise, et que je l’ai vu passer. Arrive sur le lieu où la charrette était arrêtée, M. le commissaire de police voulut s’en approcher; le chien se précipita sur lui; il fallut user d’expédients pour se préserver de ses attaques; les chevaux furent dételés, et le chien les ayant suivis, il fut possible de visiter la charrette; on y trouva le malheureux Galinié qui était étendu. Au moment où le docteur Bonnet constatait l’état du cadavre, un homme arriva près de la charrette, courant à toute vitesse, et tomba à la renverse, lorsqu’il fut arrivé. M. Bonnet lui prodigua ses soins; il se remit bientôt : c’était Parayre.

    Après cet incident, un témoin rapporta une bourse qu’il avait trouvée sur la route: M. le commissaire de police se transporta sur le pont d’Agros ; les empreintes qui existaient sur cette partie de la route indiquaient que le crime avait été commis là, pendant trois jours, rien ne vint révéler quels en étaient les auteurs.

    Des soupçons se portèrent sur Camboulives, il fut bientôt constaté qu’il avait tenu certains propos compromettants ; le témoin le fit mander près de lui ; Camboulives convint qu’il avait accompagné Galinié pendant une partie de son voyage. Une lettre anonyme confirma les premiers soupçons ; Camboulives fut dès lors arrêté et conduit à la prison de Lavaur. A Lavaur, M. le commissaire de police apprit de M. Bonnet, tanneur de cette ville, que Parayre n’était pas étranger au crime.

    Parayre fut appelé : sa figure était couverte d’égratignures très fortes ; il expliqua ces égratignures en disant qu’il était dans l'habitude de déchirer ses boutons. Galinié père, dans la maison duquel était M. le commissaire de police, s’écria alors ; « Je réponds de Parayre, mon domestique ; ce n’est pas chez moi que vous trouverez le coupable. » M. le commissaire de police n’en persista pas moins dans ses soupçons contre Parayre, des renseignements nombreux vinrent bientôt lui apprendre qu’il ne s’était pas trompé. Les deux accusés furent interrogés ; des témoins furent entendus ; Victoire Galinié fut aussitôt entendue ; les réponses de cette fille, faites avec peu d’assurance, étaient exactement les mêmes que celles de Parayre; il y avait évidemment entre eux un concert coupable pour déguiser la vérité.

    La fille Galinié conteste ce dernier fait; on lui donne lecture de ses interrogatoires. M. le président lui fait remarquer qu’elle en est convenue : – Je vous dis que non répond-elle avec énergie.

    Camboulives est interrogé sur ce fait révélé par lu témoin qu’il aurait dit : Je sais que c’est Galinié, je l’ai vu passer devant ma remise. Il nie qu’il ait vu passer Galinié; il dit qu’il a tenu ce propos, parce que M. le commissaire lui avait déjà décrit l’attelage de la charrette, et qu’il a reconnu ainsi que ce devait être Galinié.

    D. Mais comment avez-vous déclaré à M. le commissaire de police que voua aviez vu passer Galinié ? — R. C’était une manière de blaguer.

    Camboulives dit qu’il était couché au moment où Galinié est passé sur la route, il est allé se mettre au lit à onze heures et demie du soir; il raconte les détails de son coucher.

    D. Vous savez que les témoins vous ont donné un démenti formel ?- R. Que voulez-vous que j’y fasse ? J’ai dit la vérité.

    D. Vous avez dit au juge d’instruction que la charrette était éclairée ; avant, vous avez dit qu’elle ne l’était pas, comment expliquez-vous cette contradiction ? — R. J’avais entendu dire à dix heures du matin que l’on avait voulu faire un procès-verbal à Galinié parce qu’il n’avait pas de lanterne à la charrette. Ce que j’ai dit au juge d’instruction n’avait pas de portée.

    M. le commissaire de police déclare qu’il n’a parlé à personne avant midi de sa conversation avec les gendarmes.

    Camboulives ne peut pas désigner la personne qui lui aurait parlé du procès-verbal que l’on voulait dresser contre Galinié.

    M. le commissaire de police déclare en terminant que Galinié père pourrait, s’il le voulait, dire toute la vérité.

    M. le président adresse à Parayre des questions relativement aux faits qui viennent d’être signalés.

    D. À quelle heure êtes-vous rentré? — R. À une heure et demie ; je trouvai Victoire Galinié; elle me demanda si j’avais rencontré Camboulives, je lui dis que oui ; elle me demanda encore si nous avions fait ce que Camboulives avait dit, je lui répondis affirmativement; alors elle me dit : Il faut prendre garde que cela ne se sache.—Personne ne le saura, répliquai-je, si tu tiens le secret et si tu dis que je suis rentré à minuit.

    M le président. — Fille Galinié, vous voyez ; Parayre vous a recommandé de dire qu’il était rentré à minuit ? - R. (Avec véhémence.) Il ne m’a pas parlé de ça.

    D. Lui avez-vous demandé s’il n’avait pas vu Camboulives? — R. Non, encore non.

    M. le Président donne lecture de la déposition dans laquelle la fille Galinié est convenue de ces faits et il ajoute : Vous voyez bien que vous l’avez dit ? — R. Je vous dis que non.

    M. le président, à Parayre. — Vous affirmez qu’elle l’a dit ? — R. Oui, elle l’a reconnu devant la Cour d’assises à Albi.

    Victoire Galinié persiste dans ses dénégations. Parayre ajoute ; Victoire Galinié me dit encore : Tu as des égratignures sur la figure, cela te décèlera ; je lui dis alors de déclarer que j’étais dans l’habitude de m’écorcher les boutons.

    D. Ces égratignures avaient été faites par qui ? — R. Par le fils Galinié.

    D. Racontez comment s’est passée la scène du meurtre? — R. Je suis sorti à sept heures du soir pour ne rentrer qu’à une heure et demie ; j’allais d’abord au café, et je me rendis ensuite au rendez-vous convenu avec Camboulives ; je le trouvai à dix heures et demie ou onze heures sur la place du Château ; il venait du café Bonnet ; il me dit après m’avoir reproché d’arriver bien tard : Galinié est-il parti ? — Je ne le sais pas, répondis-je. — Il faut pourtant le savoir.—Je ne me soucie pas d’y aller, ajoutai-je mais alors il me dit. : Tu n’es pas un homme de parole ; il faut faire ce que nous avons dit; si tu ne le fais pas, tu t’en plaindras; il me dit encore ; Sois tranquille, je réponds de tout, Je me décidai alors à le suivre, et nous allâmes attendre Galinié.

    D. Où allâtes-vous pour l’attendre ?—R. Dans un champ de millet ; la charrette passa bientôt; j’y montai dessus en disant à Galinié que j’allais l’accompagner ; il ne me répondit rien. Je me plaçai au milieu de lu charrette. En entrant dans la ville du Graulhet, j’aperçus des gendarmes avec le commissaire de police, je me cachai promptement avec un petit manteau ; Galinié marchait ; il trouva sur le pont Saint-Jean quelqu’un avec qui il parla quelque temps, mais que je ne reconnus pas. Camboulives nous rejoignit bientôt il monta sur la charrette, et il dit a Galinié de monter ; il lui dit même de se coucher sur la charrette, en ajoutant : Il faut que tu te reposes, nous mènerons le cheval avec le domestique. Alors Galinié se coucha sur la paille qui était dans la charrette, la tête placée du côté des chevaux. Au pont d’Agros, Camboulives lui mit le genou sur le ventre. Prends-le, me dit-il; je le saisis aussitôt au cou, et c’est alors que je reçus des égratignures. Comme le chien aboyait, Camboulives me dit: Descends, caresse le chien, je me charge de l’affaire. Pendant ce temps, Camboulives l’acheva.

    1). Camboulives s’était-il servi d’une corde? — R. Je ne l’ai pas vu au moment où il exécutait le meurtre.

    D. Êtes-vous remonté sur la charrette ? — R. Oui, j’allai prendre le fouet ; alors Camboulives fouilla dans les vitement de Galinié, il prit la bourse et la montre qu’il avait sur lui, il descendit; je fouettai les chevaux qui partirent suivis du chien. Nous nous arrêtâmes dans un fossé ; Camboulives éventra la bourse et en jeta les débris au loin ; après cela, Camboulives, qui me disait sans cesse. Prends courage, n’aie pas peur, me remit une partie de l’argent et la montre qui m’appartenait et que j’avais prêtée à Galinié pour faire son voyage ; il me recommanda de jeter cette montre en passant au pont Saint-Jean ; et il ajouta : Pars le premier ; il ne faut pas qu’on nous voie ensemble. J'allais a lors à la maison Galinié, et c’est là que j’eus avec la fille Galinié la conversation que j’ai déjà rapportée.

    M. le président, s'adressant à Camboulives. — Ce que vient de raconter Parayre est-il vrai ? — R. Non, je ne l’ai pas vu du tout, je ne l’ai rencontré qu’à six heures du soir chez Galinié le père, je l’y trouvai avec Victoire Galinié et ses deux frères, mais je ne me rappelle pas ce que je lui ai dit.

    Parayre, que l’on amène au milieu de l’enceinte pour qu’il puisse être plus facilement entendu de MM. les jurés, décrit ainsi les faits de cette scène : J’étais occupé à charger du charbon avec Victoire. Galinié ; son frère, arriva bientôt, et il me demanda ma montre pour faire son voyage : Camboulives arriva à son tour; il donna du tabac à Galinié, et il lui demanda l’heure de son départ; Galinié alla alors au lit; Camboulives et la fille Galinié causaient près de la charrette; Camboulives me dit alors : Viens nous avons quelque chose à te dire; tu ne sais pas ce dont il s’agit? — Non, dis-je. — Eh bien, il s’agit de tuer Galinié. — Il ne m’a rien fait, repris-je.—Sois tranquille, ajouta Camboulives, je, te récompenserai. Il m’embarrasse, il m’empêche de faire mes affaires mais sois sans crainte, on ne le saura pas ; Victoire Galinié en est contente. Alors cette dernière s'écrie : Non, je ne veux être la cause de rien; et Camboulives lui dit : Tu ne seras la cause de rien, mais il faut le faire, il faut le faire.

    Victoire Galinié et Camboulives nient énergiquement ces faits.

    Parayre donne encore des détails sur deux conversations qu’il a eues avec Camboulives au mois d’avril et au mois de mai, dans lesquelles ce dernier le préparait au crime qu’il devait exécuter plus tard.

    Camboulives oppose comme toujours une dénégation formelle.

    D’après Parayre, Camboulives lui aurait dit dans la remise de Galinié père : « Je sais que le roulier Linas n’ira pas à Carmaux avec Galinié fils ; Galinié, de son côté, ne veut pas aller avec d’autres rouliers ; le moment est donc favorable; il faut agir. » Camboulives avait dû savoir que Linas était allé annoncer, en effet, chez Galinié qu’il ne pouvait pas raccompagner.

    Camboulives reconnaît qu’il a été parlé de Linas à ce moment, mais il soutient que c’est Galinié fils qui en a parlé, en disant à Parayre : « Vas voir si Linas peut venir avec moi ? » La fille Galinié appuie cette version.

    M. le commissaire de police parle des relations qui existaient entre Camboulives et Victoire Galinié.

    Cette dernière dit qu’elle a connu Camboulives, mais qu’elle ne l’a pas fréquenté. Cette déclaration se trouve en contradiction avec une de ses dépositions ; M. le président le lui fait remarquer ; elle persiste.

    M. Bonnet, médecin à Graulhet, fut chargé d’aller constater l’état du cadavre; il rencontra Camboulives qui lui dit que c’était le fils Galinié qui avait été tué. En visitant la charrette, il trouva une corde autour du cou du cadavre; il donna ses soins à Parayre, qui était tombé en syncope près de la charrette. Le cadavre était étendu, le cou et la poitrine découverts, la face était tuméfiée ; la bouche couverte d’écume ; sur la poitrine et la figure étaient de fortes empreintes ; le cou portait des traces de strangulation. L’autopsie a constaté que la strangulation avait été la cause de la mort. Le témoin a vu les trois filles Galinié en pleurs ; il n’a pas entendu dire que Victoire se soit trouvée mal ; il n’a pas su, avant le crime, que cette fille eût des relations avec Camboulives; il rapporte un bruit public qui accusait Camboulives de la mort d’un nommé Soni.

    Mouriès a trouvé les débris de la bourse près le pont d’Agros; il a remarqué les empreintes des roues sur la banquette de ce pont.

    M. Blens, juge de paix, est entendu. Les détails qu’il fournit ne font que confirmer ceux qui ont été donnés par le médecin. Il en est de même de la déposition de Raynal, gendarme, qui reproduit les faits signalés par M. le commissaire de police.

    Bertrand Rocher, de Graulhet, a vu Parayre tomber en syncope; ce dernier disait : J’ai quelque chose sur le cœur, que je ne puis pas dire.

    Valat cordonnier, a rencontré Parayre qui lui a demandé ce qu’on disait du crime et qui on en accusait; il remarqua les égratignures; Parayre les expliqua eu disant qu’il s'était fait mal en tombant.

    Galinié l’oncle de l’accusée, dépose que Parayre lui a dit qu’il était allé chercher Camboulives, qu’il avait quitté un maçon à onze heures et demie et qu’il était rentré à minuit.

    Roudié maçon à Graulhet. — Le 1er août, il a eu une conversation avec les époux Galinié, qui lui a donné l’idée qu’on soupçonnait surtout Parayre; ils disaient qu’ils croyaient avoir une canaille dans la maison. On ne savait pas à quelle heure Parayre était rentré. Galinié père disait que Camboulives était capable de tout ; que Parayre avait demandé la permission le dimanche soir de s’absenter en disant qu’il avait des affaires et qu’il serait possible qu’il rentrât tard. Le témoin constate qu’il paraissait que les parents de la victime croyaient que Camboulives et Parayre étaient les coupables. Il pense que la fille Galinié n’a pu ignorer le crime ; elle paraissait être la maîtresse de Parayre ou de Camboulives. La famille Galinié hésitait à faire la dénonciation . Camboulives invité à souper le dimanche au soir par Galinié, aurait dit qu’il n’avait pas le temps, qu’il devait partir. Il ne se rappelle pas si Galinié lui a dit que Camboulives avait déclaré qu’il allait à Briatexte.

    Victoire Marty de Graulhet, dépose que, le 30 juillet dernier, elle faisait la lessive près de la maison Galinié. Elle apprit des membres de la famille Galinié que le jeune François avait été assassiné. On disait que les assassins devaient connaître le chien qui accompagnait la charrette. Dans la journée, le témoin a vu Parayre se frappant la tète, en proie à une grande agitation ; il avait l’air préoccupé. A l’enterrement du fils Galinié, auquel assistait Parayre, le témoin dit à son mari : Il est bien pénible de voir le bourreau accompagner sa victime à la dernière demeure. Le témoin a rencontré Parayre sur la route de Carmaux, et ce, dernier lui demandait si on avait découvert quelque chose relativement au crime; le témoin répondit qu'on avait arrêté un des auteurs. N’a-t-on pas arrêté l’autre ? dit Parayre. Il paraissait inquiet et embarrassé.

    Bruyère, de Graulhet. — Le témoin est le portefaix de Camboulives. Il dépose que Camboulives est arrivé le 29 juillet dernier, à neuf heures du matin, à Graulhet, qu’il ne l’a revu ce jour-là qu’à huit heures du soir. Le lendemain il est allé réveiller Camboulives, et comme ce dernier ne lui a pas répondu de suite, il est sorti et une femme lui a dit qu’on avait trouvé un homme mort sur la route d’Albi ; un témoin lui confirma la même nouvelle. Alors il alla trouver Camboulives et lui annonça cotte nouvelle. Ce dernier voulut aller voir le cadavre et il dit au témoin : Je parie que c’est le fils Galinié, je lui ai donné du tabac hier soir. Arrivés tous les deux au pont d’Agros, Camboulives ne voulut pas aller plus loin, et après s’être retourné, il dit au témoin que la guillotine serait une peine trop douce pour les auteurs de cet assassinat.

    Camboulives soutient aux débats que, lorsqu’il a tenu les deux propos rapporté dans la déposition de Bruyère, il lui avait été impossible de savoir quel était l’individu qu’on avait trouvé mort, et si cette mort était le résultat d’un crime. Camboulives a dit au témoin qu’il allait passer la soirée quelquefois chez Galinié, qui avait des filles charmantes.

    Camboulives, interpellé sur ce dernier propos, répond, comme d’habitude, que c’était une blague

    A cinq heures et demie, l’audience est levée et la continuation en est renvoyée à demain.

    LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 30/05/1856

    COUR D’ASSISES DE LA HAUTE-GARONNE (Toulouse).

    Présidence de M. de Guer - Audiences des 22, 23 et 24 mai – ASSASSINAT – FAUX TÉMOIGNAGE. — RENVOI APRÈS CASSATION - DOUBLE CONDAMNATION A MORT.

    À l’audience du 22, après quelques dépositions qui ne révèlent aucun fait nouveau, Parayre reproduit ses aveux. Il reconnaît qu’il est monté sur la charrette après la première scène, et qu’il a déposé son pied sur la poitrine de Galinié ; il lui semblait que le corps de la victime remuait encore.

    Parayre ajoute en terminant : Je ne comprends pas comment Camboulives persiste à vouloir me compromettre ; je ne comprends pas pourquoi il cherche à perdre un enfant comme moi ; lui qui est cause de tout, comment ose t-il me donner un démenti !

    Une altercation très vive s’engage à ce sujet entre Camboulives et Parayre.

    – Comment as-tu le courage de me donner un démenti, à un pauvre enfant comme moi ? s’écrie Parayre.

    - Tu oses dire cela ? répond Camboulives, canaille ! — Tu es un malheureux de vouloir me perdre, réplique Parayre.

    – Brigand ! s’écrie Camboulives, tu m’accuses parce que tu te vois perdu.

    Victoire Galinié, interrogée de nouveau sur les faits révélés par Parayre, persiste dans ses dénégations : Jamais, dit-elle, Parayre ne m’a rien donné à connaître; seulement il m’a dit souvent des choses malhonnêtes que je n’ai pas voulu répéter à Albi.

    Parayre raconte les circonstances qui l’ont amené à faire ses révélations. C’est sur les instances de Camboulives qu’il se décida à déclarer qu’il était seul coupable; il ne peut préciser à quel moment des débats qui eurent lieu devant la Cour d’assises du Tarn, Camboulives provoqua sa détermination.

    Ce dernier lui disait : Nous allons être condamnés à mort, il faut que l’un de nous soit sauvé; et pour cela, il faut que l’autre consente à s’accuser lui-même; mais je suis trop vieux, on ne me ferait pas grâce si j’étais condamné; il faut donc dire que c’est toi qui as commis l’assassinat; tu seras condamné, mais à cause de ton jeune âge on te fera grâce. Tu iras à Cayenne, et là je t’enverrais de l’argent. Parayre ajoute : Après ma condamnation, mon défenseur vint me trouver et me dit : Mon garçon, tu n’as qu’un moyen de te sauver, c’est de dire la vérité; l’Empereur aura égard à ta jeunesse et pourra te faire grâce. C’est alors que je déclarai que j’étais seul l’auteur du crime; plus tard, je réfléchis, et cédant aux exhortations de l’aumônier qui venait me voir fréquemment, je revins sur ma déclaration, et je dis alors la vérité.

    Les dépositions des témoins ont rempli le reste de cette audience qui a été levée à cinq heures et demie.

    Au commencement de l’audience du 23, un détenu de la maison d’arrêt de Gaillac dépose que Camboulives, qui a passé quelques jours dans cette prison, lui a fait écrire une lettre anonyme adressée au Parquet de cette ville, afin d’écarter tout soupçon de sa personne. Dans cette lettre, dictée par Camboulives, il était dit : C’est Parayre et un autre individu que Camboulives qui ont exécuté le meurtre, et Camboulives les a rencontrés au moment où ils allaient commettre ce crime. » Cette lettre n’a pas été retrouvée.

    La déclaration de ce témoin produit une grande sensation dans l’auditoire.

    Camboulives, interpellé par M. le président, finit par avouer qu’il a dicté cette lettre.

    Après avoir entendu cet aveu accablant, Me Canet, fortement ému, demande que l’audience soit suspendue pendant quelques instants pour qu’il puisse conférer avec Camboulives. À la reprise de l’audience. M. le président demande à Camboulives s’il n’a rien à révéler. Il répond négativement.

    Demyre, cultivateur, rapporte que, trois jours après le crime, la fille Galinié lui a dit qu’elle devait se marier avec Camboulives, elle ajouta, en parlant de ce dernier, qu’il s'était vanté d’avoir « sablé » son premier amant.

    Victoire Galinié nie ces propos. M. le président constate que, dans une déposition écrite, elle a déclaré que son premier amant avait été sablé, en disant seulement qu’elle ignorait de qui elle tenait ce fait.

    Cécile Bessières, épouse d’Antoine Cols, sage-femme, dépose que Victoire lui a dit : Camboulives a sablé mon dernier amant.

    Elisabeth Marquiés rapporte qu'un individu lui a dit qu’il tenait de Victoire Galinié que Camboulives avait sablé son dernier amant. | Cette déposition n’a pas été notifiée dans la procédure; M. le procureur général offre d’en donner immédiatement une copie aux défenseurs; ceux-ci déclarent qu’ils n’en ont pas besoin pour le moment. Cette copie leur est néanmoins présentée, et la Cour donne acte de cette remise.

    Joseph Jouy fils - Victoire Galinié le menaça, dans une circonstance, de lui donner une volée, cette menace ne reçut jamais d’exécution.

    Victoire Galinié nie le propos rapporté par le témoin.

    M. Gravelle, gardien en chef de la prison de Toulouse, est entendu à titre de simple renseignement. Il rapporte que le père de Camboulives étant venu visiter son fils à la prison, ce dernier lui dit que si les Galinié déposaient contre lui, et qu'il ne fut condamné qu’aux travaux forcés, il tâcherait de s’échapper pour aller les tuer.

    Après quelques autres dépositions sans intérêt, l’audience est levée.

    Dans la nuit qui a suivi cette audience, Camboulives a fait appeler M. le président des Assises.

    Le 24 dès neuf heures et demie, la foule se presse à toutes les issues. Un petit nombre d’élus pénètre avec peine dans l’enceinte réservée ; la tribune est promptement garnie ; les avocats en robe arrivent grand nombre ; plusieurs sont obligés de s’asseoir sur les gradins placés au-dessous des sièges des membres de la Cour ; lorsque la porte extérieure est ouverte, la salle est bientôt remplie. On remarque dans enceinte réservée plusieurs groupes animés qui parlent des révélations faites dans la nuit par Camboulives; cette nouvelle circule bientôt dans l’auditoire et excite une vive émotion; l’émotion redouble quand les accusés sont introduits ; tous les regards se portent sur Camboulives ; il parait livré à une grande agitation ; à peine assis, il cache ses pleurs en couvrant sa figure avec son mouchoir. L’attitude des deux autres accusés est toujours la même.

    A dix heures, la Cour prend séance. M président, s’adressant à Camboulives. — Camboulives vous m’avez fait appeler hier à la prison; dites à MM. les jurés quelles sont les révélations que vous m’avez confiées ?

    Camboulives commence sa réponse avec quelque hésitation ; sa voix, affaiblie par l'émotion à laquelle il est en proie, est à peine perceptible.

    Il raconte d’abord les détails de plusieurs entrevues qu’il a eues avec Victoire Galinié, et il ajoute :

    Un jour elle me dit : Quand est-ce que tu te maries ?—Je n’en ai pas le temps, lui répondis-je. Elle me dit : Il faut te marier avec ma sœur ? — Je ne la connais pas, lui dis je.—Je te la ferai connaître, répliqua-t-elle. Quelque temps après, je rencontrai Victoire avec Parayre dans la marnière; nous causâmes pendant quelques instants ; il ne fut question de rien. Le soir, je trouvai encore Victoire, qui me parla de faire tous ensemble un repas, le dimanche suivant. Je ne me rendis pas chez elle ce jour-là. Quelques jours plus tard, elle me trouva, et me dit : Tu n’es pas venu ? —Non, lui dis-je. Elle ajouta : Quand est-ce que tu te maries avec Françoise ? moi, je veux me marier avec Parayre. — Et l’enfant ? (François Galinié) lui dis je. Elle me répondit : Nous le tuerons ?

    Le 29 juillet, j’allai chez Galinié, je causai quelques instants avec les filles, je visitai la briqueterie. Parayre vint ; nous descendîmes à la remise. Le fils Galinié arriva à son tour, il me demanda une cigarette; je la lui donnai; il la fuma et puis se coucha. Je causai avec Parayre et Victoire ; Parayre alla chercher de l'eau et revint bientôt. Victoire parla de son frère : Nous ne trouverons jamais un moment plus favorable, me dit-elle, que ce soir. — Pourquoi ? lui dis-je. — parce que Linas a dit qu’il ne pouvait pas l’accompagner ; il est sûr qu’il ira seul à Carmaux. Je lui répondis : Je ne te conseille pas de faire cette affaire. Et je m’en allai à six heures du soir.

    Après cette heure-là, je rentrai à la maison Cagneuil ; là on me dit que Fabre me demandait ; j’allai le rechercher, mais je ne le trouvais point ; je me rendis alors au café Bonnet, j’y restai jusqu’à onze heures un quart ; j’allai ensuite trouver Parayre au lieu qui avait été fixé ; nous nous dirigeâmes près de la route, et, sur le pont d’Agros, nous avons tué et étranglé ce pauvre misérable.

    D. Votre récit est incomplet. Précisez davantage les détails. Comment la scène du meurtre s’est-elle passée ? — R. C'est Parayre qui se précipita sur Galinié ; il le saisit au cou, l’étreignit fortement ; il lui passa ensuite une corde autour du cou et il l’étrangla ; en tenant le corps soulevé au moyen de la corde, il le retourna sur la charrette ; c’est aussi Parayre qui prit l’argent; en descendant de sur la charrette son pied sur la figure du malheureux. Après cette scène, nous retournâmes à Graulhet Parayre rentra dans la maison Galinié; je rentrai, de mon côté chez les Cagneuil.

    D. A quelle heure êtes-vous rentré ? — R-A heure du matin; je montai l’escalier qui conduit à ma chambre pieds nus.

    D. Quel est le rôle que vous avez ions l’exécution du crime? — R. Je tenais Galinié par les pieds

    D. Vous n’avez pas suffisamment expliqué comment le complot avait été formé entre vous et Parayre. R. Après que Victoire eut donné l’idée du meurtre nous convînmes avec Parayre que nous irions attendre Galinié, et que l’assassinat aurait lieu sur le pont d’Agros.

    Camboulives déclare, en terminant que ce que Parayre a raconté, relativement aux déclarations par lui faites après la condamnation prononcée par la Cour d’assises du Tarn, est parfaitement exact.

    M. le président, s’adressant ensuite à Parayre – Parayre, vous venez d’entendre les révélations de Camboulives ; est-ce que les faits se sont passés ? — R. Non Monsieur le président. Camboulives ne dit pas la vérité. *

    Parayre se tourne alors vers Camboulives et lui dit avec force : Déclare enfin la vérité; je ne te demande pas autre chose; comment peux-tu dire que c’est moi qui ai tout fait ? N est ce pas toi qui as organisé l’exécution du crime ? N’est-ce pas toi qui m’as dit dans la remise : Il faut le faire, il faut le faire ! Malheureux c’est toi qui m’as perdu ! Hier, tu disais que tu déclarerais la vérité, et cependant tu ne la disais pas; eh bien aujourd’hui répare ta faute ; achève de dire la vérité allons, malheureux, dis une fois toute la vérité. '

    Camboulives. — Tout ce que j’ai raconté est vrai. M. le président. — Fille Galinié, vous venez d'entendre ce que dit Camboulives?—R. Ce n'est pas vrai

    D. Camboulives, défendez-vous. — R. Sans elle le crime n’aurait jamais été exécuté. (Sensation.)

    Victoire Galinié s’emporte contre Camboulives. D. Quel intérêt voulez-vous que ces deux hommes aient eu à commettre le meurtre?—R Tout ce que je sais c’est que ce n’est pas pour moi. Je suis innocente devant la justice comme devant Dieu.

    M. le président. — Dieu sait encore mieux que la justice ce que vous avez fait. — R. Si Dieu pouvait me juger, je ne serais pas ici.

    Camboulives est interpellé encore sur quelques détails qu’il a omis;

    D. Qui a pris l'argent dont Galinié était porteur ? — R. C’est Parayre.

    D. Comment cela s’est-il passé ? — R. Parayre est monté seul par le derrière de la charrette; il a pris l’argent et la montre ; j’étais sur le devant et je voyais faire; en descendant, il a mis le pied sur la figure de Galinié. C’est Parayre qui a ôté l’argent de la bourse, il a dit que cet argent servirait à louer des musiciens pour la fête de Saint-Pierre. (Mouvement dans l’auditoire.) Parayre me dit en nous retirant : Nous ne risquons rien, parce que Victoire dira que je suis rentré à minuit un quart, et que le chien sera empoisonné.

    D. Parayre, qu’avez-vous à dire sur ces révélations ? — R. Tout cela est faux; comme il ment ! Il ne sait pas ce qu’il dit; je pense qu’il se décidera à dire le vérité.

    D. Camboulives, vous ne dites pas toute la vérité; faites un effort encore et ne déguisez plus rien.

    Camboulives ne fait aucune réponse; Parayre l’interpelle vivement : Je serais heureux, lui dit-il, de te voir dire la vérité ; tu sais bien que tu m’as perdu, tu sais que tu as abusé de ma jeunesse, de mon inexpérience et de ma faiblesse. Eh bien ! je te pardonne mais au nom du ciel, dis la vérité; songe que tu es devant la justice!

    Camboulives persiste dans ses déclarations. Un juré demande si Camboulives, en rapportant un propos tenu par Victoire Galinié au sujet de son frère, a dit : On le tuera, ou nous le tuerons; il ajoute qu’il fallait savoir laquelle des deux expressions avait été prononcée, parce que l’une était différente de l’autre.

    Me Astrié se lève aussitôt pour demander acte à la Cour des paroles qui viennent d’être prononcées.

    M. le procureur général se borne à faire remarquer que la Cour doit apprécier si ces paroles renferment la manifestation d’une opinion.

    La Cour, après avoir délibéré, déclare qu’il n’y a pas lieu de donner acte.

    Camboulives est encore interrogé. D. C'est vous qui avez dit à la fille Galinié : Et l’enfant ? À quoi elle répondit : Nous le tuerons? — B Oui, je crois qu’elle disait cela en plaisantant; dans la remise, elle me dit qu’elle voulait se marier avec Parayre ; mais c’était encore là une manière de plaisanter elle ne voulait pas l’épouser.

    D. C’était donc vous qu’elle voulait épouser ? — . Peut-être qu’oui…

    D. Fille Galinié, vous voyez les charges qui s accumulent sur votre tête, il n’y a plus que vous qui n’ayez pas avoué ; réfléchissez à votre position. – J’ai dit la vérité; je ne fais aucun cas de ce qu’ils peuvent déclarer, car qui a trahi mon frère m’a trahie.

    D. Vous n’avez donc tenu aucun des propos qui viennent d’être rapportés ? — R. Non, ce n’est pas vrai. Je ne crains pas leurs accusations; je n’ai rien à me reprocher; je ne regrette qu’une chose, c’est le déshonneur que je cause à ma famille, et je désire vraiment avoir la force de le supporter avec résignation ; mais pour être innocente, je le suis.

    Parayre est interpellé sur les propos qui aurait été tenu par Victoire Galinié.

    R. Victoire n’a jamais dit, en parlant de son frère « Nous le tuerons. » C’est Camboulives qui a parlé de le tuer ; et elle répondit «  Si mon père le savait, Dieu m’en préserve ! — Personne ne le saura, dit Camboulives ; cela s’est vu d’autres fois. »

    M. le Président fait un dernier appel à Camboulives et à Victoire Galinié pour les engager à dire la vérité : ils persistent dans leurs dires respectifs

    Après ces dramatiques incidents, M. le procureur général se lève et prend la parole, soutient énergiquement l’accusation et demande au jury une répression sévère

    Me Canet prend ensuite la parole dans l’intérêt de Camboulives ; Me Depeyre présente la défense de Parayre. Les deux avocats sollicitent, en faveur des accusés le bénéfice des circonstances atténuantes.

    Me Astrié plaide pour Victoire Galinié et s’attache à combattre les charges de l’accusation.

    L’audience est levée à six heures pour être reprise à huit.

    La Cour rentre en séance à huit heures et demie. M le Procureur général réplique aux défenseurs. Me Astrié répond à M. le procureur général.

    Après ces répliques M. le Président résume ces longs et saisissants débats.

    Le jury entre dans la salle des délibérations à minuit et demi. À ce moment l’affluence devient de plus en plus considérable ; des groupes de curieux circulent sur la place du Palais attendant patiemment la solution qui va être donnée à ce drame émouvant qui occupe exclusivement, depuis plusieurs jours, l’attention publique

    A deux heures du matin seulement, on annonce que le jury est rentré, la foule fait irruption dans la salle, le calme s’établit avec peine ; la parole est donnée au chef du jury; au milieu d’un silence religieux, il donne connaissance du verdict par lequel le jury a répondu affirmativement sur toutes les questions qui concernent Camboulives et Parayre sans admission des circonstances atténuantes; et quant à la fille Galinié, négativement sur la question de complicité, affirmativement sur la question de faux témoignage, sans circonstances atténuantes.

    Camboulives et Parayre sont condamnés à la peine de mort et Victoire Galinié à douze ans de travaux forcés.

    L’exécution doit avoir lieu sur la place de Graulhet.

    LE DROIT 20/01/1856

    ALBI - On se rappelle la double condamnation à mort prononcée vers la fin de décembre dernier par la Cour d’assises du Tarn, contre les nommés Parayré et Camboulives pour assassinat sur la personne du jeune Galinier, de Graulhet ; on se rappelle également que le soir même du jour où fut rendu l’arrêt, Parayé annonça l’intention de faire des révélations et que, mis en présence des magistrats, il se déclara le seul auteur du crime en affirmant la complète innocence de Camboulives ; puis, qu’il se rétracta quelque temps après et restitua à Camboulives son véritable rôle dans ce lugubre drame, celui d’instigateur et de principal auteur de l’assassinat. «D’après les bruits qui circulent et que tout fait présumer être exact nous disait notre correspondant Camboulives voulait épouser la sœur de la victime et entrer en qualité de gendre chez Galinier père, comme ce dernier s’y opposait, destinant son fils à continuer son état de chauffournier Camboulives aurait prémédité de se défaire de son futur beau-frère, et aurait déterminé Parayré à l’aider sous la promesse qu’il le garderait comme valet, et peut-être même qu’il le ferait entrer dans la famille Galinier son tour comme mari de la seconde fille de Galinier. »

    Cette affaire, déjà si fertile en péripéties et en émotions diverses, parait devoir se compliquer encore d’un nouvel incident. On nous écrit en effet que par suite d’autres révélations faites par l’un des condamnés, une des sœurs de la victime se trouverait compromise. Ces révélations ont paru assez graves pour que la Cour de Toulouse évoquât l’instruction de l’affaire. Le 15 de ce mois, M. le conseiller Prévost délégué à cet effet par la Cour, et M l’avocat général Charrins se sont transportés à Graulhet où leur arrivée a produit la plus profonde sensation.

    Parayré sera grâcié le 3 août 1856 et Victoire libérée en 1864

     

     LE DROIT JOURNAL DES TRIBUNAUX 31/12/1855


    Exécution capitale

    On nous écrit de Graulhet, le 30 juillet : « Il y a un an aujourd’hui, un crime effrayant venait attrister cette ville. Un jeune homme de seize ans avait été étranglé pendant la nuit, et on ramenait, dans sa charrette, le cadavre à peine refroidi de François Galinier.

    Le drame judiciaire commençait. La justice cherchait les coupables, bientôt elle les désignait. La Cour d’Assises d’Albi, et enfin celle de Toulouse, constataient le crime et infligeaient la punition.

    Aujourd’hui, jour anniversaire du crime, l’un des coupables a subi sa peine. L’échafaud vient de se dresser pour Jean-Pierre Camboulives, condamné à mort le 25 mai dernier par la Cour d’Assises de la Haute-Garonne.

    La fatale nouvelle est arrivée hier à Craulhet. Elle y a causé une impression profonde. La fête des chapeliers, qui dure ordinairement trois jours, avait commencé dimanche. Elle a été interrompue, et une morne tristesse a succédé aux chants joyeux.

    Ce matin, un grand nombre d’étrangers arrivait à la ville et encombrait les hôtels. On venait de Lavaur, d’Albi et de tous les pays environnants. Les voitures succédaient aux voitures, les piétons envahissaient les rues. L’autorité avait pris toutes les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre. Un peloton de vingt-cinq gendarmes à cheval, formé des brigades d’Albi, de Graulhet, de Gaillac, de Saint-Paul et de Lavaur, commandées par le lieutenant de Lavaur; un détachement de 66 hommes du 19e de ligne, venus d’Albi sous la conduite d'un capitaine et d’un lieutenant, devaient assurer la circulation et maintenir la multitude. M. le maire, M. le commissaire de police de Graulhet, M. le juge de paix de Briatexte, assistés des gardes champêtres de la commune, s’étaient entendus avec les autorités militaires pour concourir au même but.

    Pendant toute la journée d’hier, le crime commis au pont d'Agros, dans la nuit du 29 au 30 juillet, servait de texte aux conversations. Plusieurs personnes ont voulu visiter les lieux témoins du crime, et le suivre pour ainsi dire pas à pas, depuis la marnière où il a été conçu, jusqu’au pont d’Agros ou il a été commis. Il a fallu une hardiesse bien rare pour commettre un assassinat pendant une belle nuit d’été, sur une grande route fréquentée par des rouliers et des cultivateurs, dans un endroit entouré de métairies, dont la plus proche n’est guère qu’à une centaine de mètres.

    On visitait aussi la maison de la femme Cagneulle, chez laquelle Camboulives était logé, et dont la déposition a produit tant d’effets aux débats.

    Le lieu de l’exécution était le foirail de Graulhet, vaste place irrégulière, bordée de trois côtés par des sycomores et bornée par une muraille naturelle qui s’élève à pic, à environ quarante mètres de hauteur. En haut se trouve une terrasse derrière laquelle s’étend la partie haute de la ville.

    A dix heures du soir, l’exécuteur de Toulouse, assisté de deux aides, venus l'un d'Albi, l’autre de Rodez et de deux ouvriers charpentiers requis par l’autorité municipale, commençait à dresser l’échafaud. Un poste de fantassins repoussait les curieux et les tenait à distance. À la lueur rougeâtre des torches de résine, ces hommes, occupés à ce lugubre travail, parlant à voix basse, tantôt perdus dans l’ombre de la nuit, tantôt rendus visibles par les reflets de la flamme cette masse noire qui s’élevait pieu à peu et comme d’elle-même, frappaient l'imagination et donnaient un aspect sinistre à la grande place de Graulhet.

    Le condamné devait partir hier soir de Toulouse ; on avait annoncé son arrivée pour six heures du matin. A six heures moins un quart, les gendarmes apparaissaient au bout de la longue avenue d’ormes séculaires qui conduit à Graulhet. A six heures, l'escorte mettait pied à terre devant la caserne de la gendarmerie.

    Camboulives était dans une citadine de Toulouse, dont on avait gratté le numéro. Deux gendarmes de la brigade de Toulouse étaient dans la voiture. M. l’abbé Ratier aumônier des prisons, dont le zèle pieux n’a pas cessé de soutenir le condamné, était assis à côté de lui.

    En face de la mort, Camboulives était calme et résigné. On lui avait annoncé la veille, à six heures du soir, le rejet de son pourvoi et l’heure de l’exécution. Il était monté en voiture sachant très bien qu’il allait au supplice. Il n’avait montré ni exaltation ni abattement. Au bas-fond de Girou, avant d'arriver à Verfeil, il avait prié un gendarme de fermer les carreaux de la voiture, disant que la fraîcheur de la nuit pouvait lui donner un coup d’air.

    A Verfeil, il avait bu quelques gorgées d’eau-de-vie et demandé des cigares. Il avait fumé tranquillement pendant la plus grande partie de la route. Un quart de lieue avant Briatexte, il montra une briqueterie aux gendarmes, et leur dit en soupirant : « C’est la maison de mon père. »

    Arrivé à Graulhet, on le conduisit dans une salle basse au rez-de-chaussée de la caserne de la gendarmerie. Un lit de camp, une cruche d’eau, un peu de paille et deux chaises formaient tout le mobilier de cette cellule. C’est là qu’il est demeuré pendant les deux heures qui ont précédé sa mort, s’entretenant avec le prêtre, baisant le crucifie et exprimant le plus sincère repentir.

    Le garde-champêtre Pélissier, qui a contribué à son arrestation et qui le connaissait de longue date, est entré un moment dans la cellule pour lui offrir un peu d'eau-de-vie, Camboulives l’a reconnu et lui a dit en patois: Ah! mon pauvre Pélissier, tu vois combien je suis malheureux! donne-moi la main - Pélissier lui a tendu la main.—Dis à mes amis et à mes voisins que je me repens qu’ils prient pour moi !

    A sept heures et demie, l’exécuteur est arrivé ; un huissier, commis à cet effet par M. le. Procureur impérial de Lavaur a lu l’extrait de l’arrêt de condamnation, et a fait remettre le condamné à l’exécuteur, qui a procédé à la toilette.

    Soutenu par les aides de l’exécuteur, Camboulives a marché jusqu’à la voiture. Il y est monté avec son confesseur. En ce moment, le condamné a montré le même courage. Seulement, sa figure était plus pâle et il paraissait un peu plus faible.

    Les stores de la voiture étaient abaissés. Le condamné a pu arriver au pied de l’échafaud sans être en butte à la curiosité de la foule. Quand il a vu l’instrument du supplice, il a baissé la tête et s’est mis à pleurer. On l’a porté au pied de l’escalier, qu’il a monté d’un pas chancelant, toujours soutenu par les deux aides, M. l’aumônier est monté sur l'échafaud en même temps que lui. Camboulives s’est mis à genoux et le prêtre a fait un signe. Aussitôt la foule est devenue muette, et le prêtre a exhorté les assistants à dire une prière pour le condamné qui se repentait de son crime et qui leur demandait pardon. Une émotion profonde a accueilli les paroles de l'aumônier, les officiers ont, incliné leurs épées, les soldats se sont penchés sur leurs fusils, plusieurs personnes se sont mises à genoux. C’était un silence effrayant et solennel.

    Camboulives s’était relevé. M. l’aumônier est descendu, et aussitôt les exécuteurs se sont emparés du patient. L’opération avait été commencée au premier coup de huit heures; au moment où le huitième coup sonnait, la justice humaine a été satisfaite. M. l'aumônier s’est rendu immédiatement à l’église de Graulhet, où il a célébré une messe basse pour le repos de l’âme du supplicié.

    Deux heures après, l’échafaud était démonté, et la place demeurait vide. L’ordre le plus parfait a été maintenu pendant les préparatifs et pendant l’exécution. Cette scène terrible d’expiation laissera de profonds souvenirs dans tout le département.

     

     


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  • - Avions mystérieux

    DOCUMENTS JAMAIS PUBLIES

     INÉDIT ! AOUT 1937...DES AVIONS POUR AIDER LES RÉPUBLICAINS ESPAGNOLS ATTERRISSENT A GRAULHET..POUR SE RAVITAILLER


    - Avions mystérieux

     LE JOUR DU 17 AOUT 1937 

    - Avions mystérieux

    - Avions mystérieux

     - Avions mystérieux

    LE PETIT JOURNAL DU 12 SEPTEMBRE 1937

    - Avions mystérieux

    - Avions mystérieux

    - Avions mystérieux

    La transcription de l'article :

    Après "Air-Pyrénées"... AIR-LANGUEDOC ! C'est sur le terrain de Graulhet, dans le Tarn aérodrome officiel de cette nouvelle " société dont Abel GUIDEZ était administrateur qu'ont atterri le 2 septembre, à 13 heures les mystérieux appareils de Toussus !

    Ravitaillés, ils sont aussitôt repartis pour l'Espagne

    Les avions qui partent et qui n'arrivent nulle part sont à l'ordre du jour depuis longtemps. Mais depuis le 2 septembre, particulièrement, l'opinion publique était très émue par « l'enlèvement » des « Vultee » de Toussus, qui décollèrent à destination de Toulouse pour n'y jamais parvenir. Nous sommes en mesure d'affirmer, — et nous ne craignons sur ce point aucun démenti — que les trois appareils américains ont atterri le 2 septembre, vers 13 heures, sur l'aérodrome de GrauIhet (Tarn), où ils étaient attendus, car tout était prévu pour leur ravitaillement qui eut lieu avant leur départ définitif pour l'Espagne.  Voilà donc un « mystère » élucidé. Mais par quel miracle ces avions rouges ont-ils été annoncés, attendus et ravitaillés, alors que la France entière se demandait par quel trou d'aiguille leurs carlingues avaient bien pu passer ? Ce maître tour de prestidigitateur a été exécuté par les services d'Air-Languedoc.

    Air-Languedoc

    — Qu'est-ce que Air-Languedoc ? — La sœur cadette d'Air-Pyrénées. Mêmes buts, mêmes moyens, mêmes tendances, mêmes pilotes, mêmes appareils armés pour le combat aérien, envolés sous des prétextes commerciaux, avec des numéros au noir de fumée sur lesquels il suffit d'un simple coup de chiffon pour mettre en lumière les matricules tout prêts de l'armée gouvernementale. Le grand public ne connaissait guère Air-Pyrénées. Air-Languedoc est presque complètement inconnu. Cela tient à la date récente de sa création. Voici d'ailleurs la copie intégrale du premier paragraphe des statuts : « Aux termes d'un acte sous signatures privées, en date à Paris du 20 juin 1937, enregistré à Paris, premier A. S. S. P., le 1er juillet 1937, n°13, aux droits de sept cent cinquante francs ; 1° M. Henri Lacloche, demeurant à Paris, 3, rue Bixio ; 2° M. Roger Nouvel, demeurant à Sainte-Cécîle près Gaillac (Tarn) ; 3° M. Abel Guidez, demeurant à Paris, 210, faubourg Saint-Martin ; 4° M. Victor-Jean Poirier, demeurant A Paris,2 rue Marbeuf, ont formé une société à responsabilité limitée, ayant pour objet la création et l'administration de centres d'aviation sur tout te territoire de la France métropolitaine et plus spécialement à Graulhet (Tarn) et a Gaillac (Tarn).

    La dénomination de la Société est « Air-Languedoc ». Le siège social est établi à Paris, 78, avenue des Champs-Elysées. Le capital social est de 25.000 fr divisé en cent parts de 250 francs chacune qui sont attribuées, à savoir : à M. Lacloche 25 parts, ci... 25 à M. Nouvel : 25 parts, ci... 25 à M. Guidez : 25 parts, ci... 25 à M. Poirier : 25 parts, ci...25 Ensemble : 100 parts, ci... 100.

    Les associés ont entièrement libéré en espèces leurs parts sociales. »

    Dans cet extrait d'acte, les effets rejoignent les causes : on remarquera que le siège social d'Air-Languedoc, 78, avenue des Champs-Élysées, n'est autre que celui de la S. F. T. A. (Société française de transports aériens), fondée peu après le début de la guerre d'Espagne, et dont le directeur, Aimé Pillain, dirigeait, il y a quelques années, des ateliers de réparations d'avions, et a vendu quantité d'appareils à l'armée chinoise. A ses côtés, siège un directeur adjoint, Lucien Cornet, communiste, ancien directeur de la ligne Corse-Azur (Nice-Bastia), dont les appareils furent vendus a la S. F. T. A  le lendemain de l'arrêt de la ligne méditerranéenne.

    Le sens de l'orientation

    On pourrait se demander pourquoi, puisque Air-Pyrénées fonctionnait à plein rendement, les anciens pilotes de chasse de l'escadrille Espana ont doublé leur fructueuse activité en constituant Air-Languedoc.  La raison en est bien simple.Les fameux chasseurs d'André Malraux ne touchaient-ils pas à Madrid des appointements de 50,000 francs par mois, et la prime formidable de 100.000 francs par appareil abattu ? Il ne restait plus aux rescapés qu'à faire fructifier cette fortune rapide en tirant parti de leurs puissantes relations à Valence et de la complicité de M. Pierre Cot.. Air-Pyrénées couronna leurs projets. Et sous couleur d'aviation commerciale, on livra à l'Espagne tous les avions qui faussent si facilement compagnie à leurs gardiens. Mais ici-bas, tous les rêves passent. Après la prise d'Irun, de Bilbao, de Santander, l'activité de ces messieurs se réduisait à « la poche » de Gijon. Et les bons apôtres qui prêchent dans les meetings l'imminence des victoires gouvernementales, jugèrent plus prudent de transporter vers les frontières catalanes la deuxième édition de leur chef d'œuvre. C'est ce qu'on appelle le sens de l'orientation. Une fois de plus, la loi est formelle : aucune société aérienne ne peut être constituée sans l'assentiment du ministre de l'Air, M. Pierre Cot, récidiviste, n'en restera pas là.

    Pierre Apesteguy.

     

    Volontaire en Espagne républicaine, Abel Guidez succéda à André MALRAUX à la tête de l’escadrille Espana fin 1936 et il conserva cette fonction jusqu’au 18 mars 1937. Il fut tué en octobre 1937 lors de l’évacuation des « brigadistes » par voie aérienne (https://maitron.fr/spip.php?article94062, notice GUIDEZ Abel , version mise en ligne le 2 novembre 2010, dernière modification le 23 octobre 2021.)

                                          
     

    - Avions mystérieux

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  • LA MÈRE ET LE FILS POSSÉDÉS DU DÉMON

    - LES POSSEDES DE SAINT-MEMY

    LE PROGRÈS DE LA SOMME DU 22 FEVRIER 1911

    - LES POSSEDES DE SAINT-MEMY


    Ils soupçonnent le curé de les avoir « envoûtés » Graulhet, (Tarn), 20 février 1911

    Une grève célèbre par sa durée faisait naguère de Graulhet un foyer d'agitation politique. Aujourd’hui, des faits d’un ordre tout différent jettent le trouble dans cette importante commune, dont les mégisseries transforment en ruisseau noir la rivière du Dadou, qui la traverse.

    Sur la paroisse de Saint-Mémy habite une famille Malet, composée de cinq personnes : la grand-mère, le père, la mère, le fils et la bru. Le fils Irénée Malet 28 ans, et sa mère se croient possédés du démon, et les autres membres de la famille croient fermement que le démon les possède, en effet ; et cette croyance est partagée par à peu près tous les habitants de la paroisse.

    Mais qui a endiablé Irénée Malet et sa mère ? La bru, la grand-mère et le père n’hésitent pas à répondre :

    — C'est notre curé, l’abbé G… quant à la population, elle ne dit ni non ni oui ; mais elle regarde aussi le curé d'un mauvais œil.

    Il faut dire, du reste, que ce curé s’est aliéné celles de ses ouailles qui n'ont pas contribué au denier du culte, en mettant aux chaises quelles occupaient à l'église, des ronces où elles se sont piquées cruellement.

    Le 12 février, Irénée Malet eut une crise atroce. Il se dirigea vers le presbytère en poussant des cris rauques et en brandissant une sarcleuse avec laquelle il prétendait tuer le curé. Le surlendemain, crise plus violente encore ; Irénée Malet criait :

    — Si le curé ne me guérit pas, je le fais sauter à la dynamite !

    I! fallut six solides gaillards pour maintenir le possédé.

    Le curé, épouvanté, a vidé depuis les lieux et est aidé prévenir M. Satgé, commissaire de police de Graulhet. Il a dit à M. Satgé :

    — Je ne veux pas exorciser Irénée Malet et sa mère ; car si l’exorcisme ne réussissait pas, on m’accuserait de l’avoir volontairement raté, et ce serait contre moi un redoublement de fureur.

    L'évêque d’Albi, devant la dérobade de l'abbé G..., a autorisé le doyen de Graulhet à chasser le diable ; mais ce digne ecclésiastique ne parait pas jusqu'ici pressé d’entrer en lutte avec le Malin.

    Un paroissien de Saint-Mémy, plus courageux, s’est approché par-derrière d’Irénée Malet et l'a aspergé d’eau bénite. Mais je ne recommencerai mas, raconte-t-il ; Irénée a fait un bond terrible, puis est venu sur moi comme un chien enragé. J’ai eu tout juste le temps de fuir ».

    Cette malheureuse famille Malet a conduit un cochon gras au dernier marché de Graulhet. Tous les acheteurs se sont écartés du cochon avec horreur. Un étranger, qui ne savait rien, en a fait l'emplette à la nuit tombante. Mais, depuis, il a été informé ; maintenant il n’ose pas tuer ce cochon et le saler ; il a peur d’être endiablé à son tour par cette viande satanique.

     


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  • Étonnante affaire rarement révélée !

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

    POLICE-MAGAZINE

    Les articles de presse inédits ! Le récit complet de cette terrible affaire qui a secoué Graulhet en 1938

     

    REVUE DÉTECTIVE N°493 DU 7 AVRIL 1938

     

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

    MONTPELLIER (De notre correspondant particulier.) Vers la mi-février, on arrêtait à Graulhet, dans le Tarn, un jeune homme, Jean Bastide, libéré depuis peu du service militaire qu'il avait fait dans une section d'état-major comme secrétaire dactylo, dans une formation de la frontière italienne. Bastide avait proposé à un étranger de lui vendre des documents intéressant notre frontière sud-est. Bastide avoua les faits qu'on lui reprochait, mais affirma que les documents étaient entre les mains de Marcel Oustry, un camarade de la section d'état-major où il avait servi. Oustry reconnut avoir avec lui plus de cent documents qui furent d'ailleurs tous retrouvés à son domicile. Les documents concernaient l'emplacement de nos batteries antiaériennes, des postes de radio de campagne et en outre, un plan de mobilisation de la région. Ces documents avaient été copiés par Oustry, employé comme dactylo au cours de son service militaire. Son procédé n'était pas trop fatiguant. Il prenait un double carbone de toutes les pièces qu'on lui donnait à taper. Les deux secrétaires arrêtés furent transférés à Montpellier puis à la prison Saint-Jean, à Marseille…La « Vamp » russe et le PersanCependant à Montpellier, sur une dénonciation qu'on dit anonyme la police spéciale de Toulouse arrêtait, quelques jours après, une jeune femme réputée « très à la mode », se disant Russe et se faisant appeler Tatania Vassilesw, et Tania pour les intimes. Mariée au Polonais, naturalisé français, actuellement sergent d'artillerie Tatania Vassilesw se nomme en réalité Yvonne Talbot. D'après « la rumeur de province - cette affreuse rumeur qui parfois dit plus que tout, mais qui souvent dit tout - elle était aussi l'amie d'un étudiant persan, Amirian. C'est pour lui - toujours aux dires de cette bonne rumeur - que Tatania recrutait, parmi les étudiants « fauchés » des agents secrets du renseignement. Conduite au commissariat de la mairie. Tatania fut longuement interrogée. Que dit-elle ? Nul ne le sait, car la police à bouche close sur cette affaire. Toujours est-il que, le lendemain. Tatania était arrêtée et transférée à Marseille. Peu après, Amirian fut arrêté à Paris où il se trouvait, et prit également la direction de la prison de Marseille... Après une détention de quinze jours. Tatania et Amirian étaient libérés provisoirement... " L'espion au dancing " Au cours de ces événements, le service de la défense du territoire arrêtait également, à Bayonne, Jean Lassère, un Français qui était soupçonné de travailler pour une puissance étrangère. Lassère faisait de fréquents voyages entre le centre du service secret et Irun, pour le compte de cette puissance…Jean Lassère qui menait la grande vie avait l'intention, dit-il lorsqu'il fut arrêté, de « monter » un luxueux dancing Montpellier et d'ouvrir une maison de prêts aux militaires, sous-officiers et officiers de cette garnison, où il séjournait fort souvent... Y a-t-il corrélation entre cette affaire et les deux autres ? Nous ne tarderons pas à le savoir ! RumeursA en croire certains Yvonne Talbot alias Tatania, jeune fille moderne, fréquentant tantôt le conservatoire de musique, tantôt la faculté, a connu, à Montpellier, par l'un ou par l'autre de ces milieux, des étudiants étrangers riches ou se disant tels, qui auraient fait miroiter à ses yeux la « belle aventure et la grande vie », en parlant devant elle, alors jeune fille de dix-sept ans, d'espion-age pour l'étranger. Belle et jolie, adroite et intelligente…, ce rôle lui irait à ravir, prétendent ses séducteurs et surtout l'étudiant persan, Amirian, un joli garçon, beau parleur, bon danseur avec qui, parfois, elle va dans les dancings de Palavas, la petite plage méridionale située à quelques kilomètres de Montpellier. Yvonne Talbot est jeune.. Comme tout le monde elle a lu de beaux romans d'espionnage... On lui a dit souvent qu'elle a le type russe... Un de ses amis polonais l'appelle déjà Tanis… Elle sou-rit... car tout lui sourit... et inconsciente, elle laisse courir l'aventure... et l'aventure vient à elle... La fille du percepteurNous avons voulu « voir et entendre » l'étrange héroïne de cette mystérieuse aventure qui semble ne pas être encore à son terme... Nous avons, auparavant, visité les Matelles dont M. Talbot est percepteur, gentille petite bourgade pleine de soleil, située à 16 km, de Montpellier, où les habitants qui connaissent bien l'espionne, parlent d'elle avec consternations ! Mais le bureau de perception se trouve à Montpellier, et nous avons rebroussé chemin…Rue du Palais, une des plus curieuses et des plus vétustes de la ville, le n°15, attire immédiatement notre attention par une pancarte indiquant que M. Auguste Talbot, percepteur des Matelles eçoit chaque jour de 9 à 11 heures et de 2 à 5 heures ! Nous entrons. Seul, le percepteur derrière son guichet et ses lunettes rondes, compte des billets qu'un couple de la campagne lui remet… Et voici que notre héroïne sort soudain nue tête, d'un petit bureau et s'assied près du percepteur… Nous la regardons... C'est une belle jeune femme aux yeux noirs, aux longues anglaises châtain foncé tombant sur les épaules…, l'air très simple d'une petite fonctionnaire auxiliaire de province…

    - On m'a reproché d'être une espionne au service de l'étranger et de fréquenter les milieux militaires pour avoir de précieux renseignements... Je ne suis qu'une modeste employée, aidant mon père dans son bureau. Quant aux militaires, mon mari est sergent et mes deux sœurs sont mariées à des sergents. Voilà toutes mes relations avec l'armée « On m'a reproché aussi d'avoir connu de nombreux étrangers que j'aurais recruté pour servir d'agents de renseignement pour une grande puissance étrangère ! Comme bien des jeunes filles, j'ai eu des amis et des camarades étudiants étrangers. Est-ce un crime ?« Est-ce un crime si j'ai été la camarade du Persan Amirian qui, comme moi a été suspecté d'espionnage ? — Mais, pourtant, vous vous êtes fait appeler pendant longtemps Tatania Vassilew ? — Exact... Mais, ll vaut mieux que je vous raconte tout, ainsi, vous vous rendrez peut-être compte que je ne suis pas une espionne... « En allant chercher celui qui devait être mon mari, à la Faculté de médecine, où il était étudiant ou à la pension où il prenait ses repas, j'ai connu de nombreux étudiants qui devinrent pour moi de bons camarades, et, entre autres. Amirian, étudiant en droit, qui, joli garçon et bien élevé, fut un de mes flirts il y a trois ans... « Un jour, comme il me demandait de devenir sa maîtresse, je refusai, et il en fut fort dépité… « C'est alors qu'il usa d'un stratagème pour m'attacher Il m'offrit une vie de grande aventure, me disant qu’il était l'agent secret d'une grande puissance étrangère, et que je pourrais collaborer utilement avec lui ! Je fus épouvantée par cette révélation et comme j'avais à peine dix-huit ans, l'âge des beaux romans, je fus fière qu'Amirian ait pensé à moi. Et en riant et pour me donner de l'importance, je pris immédiatement un nom à consonance russe et je devins pour rire Tatania Vassilew, pensant, grâce à ce nom avoir la suite des confidences, que je devinais palpitantes, d'Amirian… « Comme je lui avais présenté de petits camarades désargentés, Il dut également leur promettre monts et merveilles pour une collaboration discrète… C'est certainement un de ses camarades plus réfléchi que moi, qui m'a dénoncée au deuxième bureau de Toulouse… Amirian, pensant avoir trouvé eu moi la collaboratrice sûre, me demanda de le suivre à Nice afin de séduire un riche étranger, pour capter sa confiance... Là, il me fut impossible d'accepter, car j'étais encore mineure et j'habitais chez mes parents... En 1935, je revis

    Amirian, toujours en camarade, à Paris, et c'est là qu'il me fit voir celle qui m'avait remplacée en compagnie de l'étranger dont il fallait capter la confiance... - N'êtes-vous pas, comme on le dit, allée à Paris, au début de cette année, rejoindre Amiri - Non, je suis maintenant mariée. Il est exact que je devais aller à Paris, non pour voir Amirian, mais pour faire une visite à ma soeur Micheline Boney, qui attend un bébé. En définitive, je suis restée à Montpellier, où, le 22 février, l'on m'arrêta sur une dénonciation calomnieuse, car voyez-vous, monsieur, on peut dire de moi tout ce que l'on veut, mais je ne veux pas que l'on me traite d'espionne ! Avant de prendre congé, nous demandons la permission de faire une photo. Alors, magiquement, les longues additions sont terminées, et M. Talbot père proteste... — Non, pas de photo. Nous n'avons permis à personne. Aucune photo de ma fille n'a été publiée dans la presse... — Même pour Détective ? — Nous regrettons, impossible ! Nous nous inclinons, mais nous nous débrouillons quand même, et seul de toute la presse. Détective peut publier une photo de l’héroïne. Amirian le studieuxSur Almirian, inculpé dans la même affaire, nous avons interrogé M. et Mme Dattier, qui tiennent au 19 de la rue Marcel-de-Serres une pension de famille où habita l'étudiant actuellement à Paris. - Sur Amirian, nous dit M. Dattier, nous n'avons qu'à vous confirmer les renseignements que nous avons donnés à la police : c'était un garçon très sérieux, studieux et aimable. Il est resté chez nous de juin 1932 à mai 1935, et nous n'avons jamais eu à nous plaindre de lui. Il recevait 1.200 francs par mois de la légation de son pays, à Paris. Il sortait de temps en temps pour aller au cinéma ou au dancing… Nous n'avons jamais vu de femmes entrer chez lui. D'ailleurs, nous ne le permettons pas. « M. Amirian recevait une nombreuse correspondance d'Ispahan, son pays mais rien d'autre... Nous avons été très surpris de son arrestation pour cette vilaine affaire d'espionnage. C'était un monsieur si « comme il faut » ! Et voila ! Cette ténébreuse affaire est-elle terminée 7 Certains disent que non ! Certains disent que oui ! N'aurons-nous pas bientôt un éclatant s coup de théâtre ? Louis THIBAUD.

     

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     23 mars 1938

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     

    JEAN BASTIDE

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     LA MAROQUINERIE OUSTRY

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     

    21 mars 1938

     21 mars 1938

     

    21 mars 1938

    21 mars 1938

    21 mars 1938

    23 mars 1938

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

    22 mars 1938

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     26 novembre 1938

     - 1938 : Affaire d'espionnage !

     


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     MEURTRE

    - Le crime du Receveur des Postes

    Justin AYRAL (portrait inédit)

     

    Plusieurs mois de recherches dans la presse, plusieurs semaines de composition des articles pour vous faire découvrir un des faits divers criminel les plus retentissants de la première partie du XX° siècle à Graulhet : Le meurtre du receveur des Postes de Graulhet dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1923...Un long récit agrémenté d'un lexique bien instructif en fin d'article...Bonne lecture !

    - Le crime du Receveur des Postes

    LE MATIN 2 AVRIL 1923

    Le feu détruit un bureau de poste - On retire des décombres le cadavre du receveur

    Un violent incendie,dont les causes sont encore mal déterminées, bien que toute idée de malveillance semble devoir être écartée, éclata la nuit dernière dans le bureau de Poste de Graulhet (Tarn). Les flammes se propagèrent rapidement, envahirent l'appartement du receveur. M. Peytavin, puis l'immeuble en entier. Rien ne put être sauvé. Mobilier postal, mobilier du receveur, ses titres et valeurs personnelles, les valeurs de l’État et bons de la Défense nationale, tout a été détruit. Les pertes sont considérables. M. Peytavin dont la femme était partie la veille pour aller passer les vacances de Pâques à Saint-Elix (Haute-Garonne), et dont le fils est employé des Postes à Paris, périt asphyxié. Son cadavre carbonisé a été retrouvé dans les décombres.

    La direction des P. T. T. a établi un poste de fortune sous la Halle.

     MEURTRE

    - Le crime du Receveur des Postes

    Après l'incendie

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    MEURTRE

    La carte postale qui a servi pour illustrer l'article du quotidien LE MATIN

    MEURTRE

    - Le crime du Receveur des Postes

    LA COUPURE DE PRESSE

    - Le crime du Receveur des Postes

    - Le crime du Receveur des Postes

    - Le crime du Receveur des Postes

    - Le crime du Receveur des Postes

    Portrait inédit du Receveur des Postes

     

    LE MATIN 4 AVRIL 1923

    L'INCENDIE DU BUREAU DE POSTE DE GRAULHET
    L'enquête n'en a pas révélé les causes

    L'enquête ouverte dans le but de découvrir les causes de l'incendie de la poste de Graulhet n'a pas fait un pas.Il faudra s’en tenir aux conjectures. Seul, le disparu aurait pu indiquer comment s'est produit le sinistre.Un industriel qui jetait son courrier vers 1 heure du matin n'a rien aperçu d'anormal. Les voisins, eux non plus, n’ont rien constaté. L'un d'eux, habitant la maison, et qui a perdu son mobilier, a vu l'incendie vers 3 heures et demie. Il a immédiatement prévenu la gendarmerie. Des bruits tendant à incriminer la malveillance ont circulé. Mais le fait que la gendarmerie elle-même a fracturé les portes du bureau, enlevé les appareils télégraphiques et vidé le tiroir-caisse qui contenait 700 francs, s'accorde mal avec cette hypothèse. Aucun indice n'est découvert. Dans les décombres, on a retrouvé une partie seulement du cadavre du receveur, M. Peytavin la tête manque ainsi que quelques parties du corps. Du premier étage, où l'incendie se déclara d’abord, le corps fut entraîné au rez de-chaussée et déchiqueté par l'effondrement des planchers au plafond et de la toiture.

    LE MATIN 22 AVRIL 1923

    Notre enquête sur la mort tragique du receveur des postes de Graulhet

    M. PEYTAVIN DONT LES RESTES FURENT DÉCOUVERTS DANS LES DÉCOMBRES DE SON BUREAU INCENDIÉ AURAIT ÉTÉ ASSASSINÉ

    Le dimanche 1er avril, à 3 h. 45 un incendie se déclarait dans l'appartement de M. Peytavin, directeur du bureau de Poste de Graulhet (Tarn). Le feu couvait certainement depuis un moment, car un commerçant, M. Calvel, et ses enfants, qui occupent les deux étages placés au-dessus du bureau, furent réveillés par le crépitement des flammes. Ces flammes, en une longue gerbe, jaillirent de la chambre du directeur des Postes. Aussitôt M. Calvel donna l'alarme. Pompiers et gendarmes accoururent dix minutes plus tard, suivis bientôt de M. Satjé, commissaire de police de Graulhet. L'incendie avait déjà gagné le bâtiment de gauche, où est établi l'atelier du monteur, et à droite le bureau de poste lui-même. On ne put sauver que les registres de comptabilité et les appareils téléphoniques.Deux heures plus tard, des trois immeubles formant l'ensemble du service des P. T. T. il ne restait plus que des murs calcinés menaçant ruine. Du directeur, on était sans nouvelles il n'avait pas été vu sur les lieux du sinistre. Avait-il fuit, affolé, devant l'incendie ? Avait-il, au contraire, trouvé la mort dans les flammes ? Tout ce qu'on savait, c'est que, cette nuit-là, M. Peytavin était seul chez lui, sa femme étant, dans l’après midi partie à Saint-Elix (Haute-Garonne), où elle comptait passer les vacances de Pâques. Cependant, pour être fixé sur le sort du receveur, M. Satjé, commissaire de police, fit procéder, malgré le danger de l'opération, à une exploration superficielle des décombres. Alors, sous les matériaux du premier étage, on mit au jour quelques débris humains : fragments de crâne, tronçon de colonne vertébrale, un cœur, des parcelles de foie. C'était tout ce qui restait du cadavre du malheureux M. Peytavin.

    MEURTRE

    Dans là journée, à l'aide des pièces comptables sauvées de l'incendie, on dressa une liste des valeurs présumées détruites par le feu. Le tout représentant environ 900.000 francs se décomposait ainsi Bons du Trésor et de la Défense nationale non émis; 430.000 francs ; recette du bureau de Poste dans la journée du 31 mars, 325.000 francs dont 209.000 francs en billets de 1.000 francs valeurs et obligations, propriété personnelle du receveur et de sa femme 110.000 francs. Il ne restait plus qu'à établir les causes exactes du sinistre. Le parquet de Lavaur laissa ce soin à M. Satjé, commissaire de police. Mais sur ce point tout le monde paraissait d'accord M. Peytavin, indisposé dans la nuit, avait dû se lever et, en allumant sa lampe, enflammé accidentellement sa literie. Incapable de fuir, soit qu'il eût été pris d'une syncope, soit pour toute autre raison, il avait péri dans les flammes. Cependant cette hypothèse était loin d'être exacte. Et à peine était-elle émise que des découvertes faites dans les décombres devaient bientôt la réduire à néant. On peut en effet penser, avec quelque raison aujourd'hui, que M. Peytavin a été assassiné par un malfaiteur venu pour voler les fonds et les valeurs de la Poste, et que le bandit, son crime accompli, et pour en détruire la trace, a volontairement mis le feu à l'appartement occupé par le receveur. Pour la clarté de ce qui va suivre, quelques explications sont indispensables.

    M. Peytavin était âgé de 55 ans. Marié en secondes noces, il était d’un premier lit, père de deux enfants, tous deux employés des P. T. T. Paris, où il avait longtemps résidé lui-même. Nommé, à Graulhet en 1918, il venait de Dunkerque, où il dirigea pendant la guerre le service télégraphique avec un courage qui lui valut une citation à l'armée. C'était aux dires de ses chefs et de ceux qui le connurent, un fonctionnaire modèle, méticuleux et précis. Le bureau de Poste de Graulhet ne possédant pas de coffre-fort, le receveur montait chaque soir le tiroir-caisse contenant la recette de la journée dans sa chambre et le plaçait sur une chaise près de son lit. Étant donné le trafic important qui se fait à Graulhet, gros centre de mégisserie, cette recette atteignait aux fins de trimestre des sommes très élevées. Cette situation était connue du personnel des P. T. T. et par les conversations de celui-ci, elle était également connue en ville de bien des gens. M. Peytavin avait grand soin de séparer ses valeurs personnelles de celles de sa femme et des valeurs dont il était responsable vis-à-vis de son administration. C'est ainsi qu'il enfermait les bons de trésorerie non émis dans une pièce spéciale de son appartement dont seul il avait la clé. Dans l'armoire de la chambre qu'il partageait avec Mme Peytavin étaient placés les 30.000 francs d'obligations propriété de sa femme enfin sa petite fortune à lui était contenue dans une valise déposée elle-même dans une chapelière et placée dans une troisième pièce. On va le voir, c'est à cette séparation des propriétés de chacun qu'on doit la découverte d'une partie de la vérité

    Dans la journée qui suivit l'incendie, dès que le feu fut devenu moins violent, parmi le tas de décombres, les pompiers et les gendarmes, sous là surveillance du commissaire de police et de l'adjudant de gendarmerie Laporte, entreprirent des fouilles à l'endroit où s'était effondrée chaque pièce dans le but de rechercher les valeurs qui y étaient enfermées. Cette opération ne donna de résultat qu'en ce qui concerne les titres appartenant en propre à M. Peytavin, c'est-à-dire ceux contenus dans la valise et la chapelière. Bien, qu'ils fussent en partie brûlés, il restait un fragment de chacun d'eux, ce qui permit d'en établir la liste à peu près exacte. On découvrit aussi, à demi fondus, les bijoux de Mme et M. Peytavin et quelques sous du tiroir-caisse. On retrouva à peu près trace de tous les objets ou papiers, sauf des liasses de coupures et de la recette journalière, non plus que de l'énorme liasse des billets non émis. Le papier comprimé brûle difficilement. Il laisse des cendres. Vainement, à l'emplacement où avaient dû se consumer les valeurs disparues, on fit des recherches, on ne retrouva même pas trace de cendres de papier. On acquit alors la conviction que les 30.000 francs de Mme Peytavin, les 450.000 francs de bons du Trésor ou de la Défense nationale, les 325.000 francs de coupures n'avaient pas été détruits par les flammes. Ils avaient donc été volés et l'hypothèse du vol engendra immédiatement celle de l'assassinat du receveur et de l'incendie volontaire de la Poste.

    Avisé, le parquet de Lavaur ouvrit sous cette triple inculpation une nouvelle information. La brigade mobile de Toulouse reçut mission de rechercher l'auteur de ce crime. Le commissaire Dautel, jadis de la première brigade mobile de Paris où il traita de très importantes affaires, dont la plus notoire fut l’arrestation de Landru, vint à Graulhet Il enquêta une journée, fit demi tour et regagna Toulouse. On ne l'a pas revu depuis et cependant que de faits nouveaux sont venus transformer en quasi certitude l'hypothèse de l'assassinat, du vol et de l'incendie.

    Depuis trois jours, j'ai vu des voisins de M. Peytavin. J'ai recueilli d'eux des témoignages des plus importants. Il en ressort que dans la soirée qui précéda l'incendie six personnes dignes de foi virent ou entendirent un inconnu tenter de pénétrer, dans le bureau de Poste. Ces témoignages que la police n'ignore pas, les voici tels que je les ai reçus. M.Mourier mégissier, était occupé le samedi, veille de Pâques, vers minuit à faire son courrier, quand il entendit un bruit insolite - comme la chute d'un objet de métal semblant venir du bureau de Poste. Il se mit à sa fenêtre et sa présence eut pour conséquence de faire fuir un ou plusieurs individus qui devaient stationner dans la rue Cardenal, où est situé l'appartement du receveur, et qui disparurent en contournant l'angle de la rue de la Poste sur laquelle s'ouvre le bureau. M. Mourier ne vit personne, mais il entendit des pas, précipités. Un peu plus tard, M.Mourier aperçut à l'intérieur de l'appartement de M. Peytavin une lueur qui se reflétait sur le mur situé en face et il crut voir en même temps, contre une porte, un individu se dissimulant et semblant guetter l'entrée du domicile du receveur. De son côté, Mme Viguier dont l'appartement fait face rue Cardenal à celui de M. Peytavin, entendit vers 2 heures du matin quelqu'un frapper avec le heurtoir la porte de M. Peytavin. Le receveur n'ouvrant pas les coups devinrent plus violents. Intriguée, Mme Viguier se leva pour, regarder par la fenêtre, mais prise d'inquiétude elle n'osa pas ouvrir et se recoucha. La pendule sonna alors la demie de 2 heures. Une autre voisine, Mme Ouat, vers 1 h. 30, entendit un bruit semblant venir de la Poste, puis elle perçut des coups très distincts qui étaient frappés à plusieurs reprises à la porte de M. Peytavin. Mme Ouat se leva alors, ouvrit une fenêtre et vit un homme arrêté d'abord devant la porte s'éloigner, ensuite, par la rue de la Poste. Mme Marie Pagès, qui est employée fréquemment au bureau de Graulhet, occupe un logement contigu à celui du receveur. Elle entendit ce même soir, vers minuit, un gémissement. « Maman, c'est quelqu'un qu'on assassine » lui dit son enfant. Et en elle-même, elle fit cette réflexion « On dirait, en effet, que c'est quelqu'un qui est à l’agonie » Elle entendit ensuite plusieurs coups bien nets frappés contre la porta du receveur. S'étant levée vers 3 heures, elle perçut chez M. Peytavin un bruit anormal assez semblable à celui que font les rats courant dans le parquet. C'était le crépitement de l'incendie. Une heure plus tard, en effet, la Poste était en feu.

    L'homme entendu ou vu rôdant par ces témoins, aux abords de la poste, ne peut être que l'incendiaire et le meurtrier de M. Peytavin. C'est du moins l'opinion à peu près générale ici. Mais nul ne peut fournir sur lui, quant à présent, une particularité permettant de le faire reconnaître. Tout ce qu'on peut dire de lui, c'est qu'il n'appartenait pas au personnel du bureau de Poste ; qu'il était cependant bien avec le receveur, puisqu'il pouvait se permettre de venir frapper chez lui en pleine nuit, et qu'il savait Mme Peytavin absente. Et cela pour les policiers, circonscrit suffisamment les recherches.

    LE MATIN 23 AVRIL 1923

    La rumeur publique désigne l'assassin de M. Peytavin, receveur du bureau de poste

    Un important témoignage a été recueilli aujourd’hui. Il confirme que, un moment avant l'incendie, un mystérieux visiteur, celui-là même que de nombreux témoins entendirent frapper à la porte de M. Peytavin, a pu pénétrer dans l'appartement où était couché le receveur.

    Ce témoignage émane de Mme Calvel, une vieille femme de 72 ans, mère du commerçant qui occupe les deux étages situés au-dessus du bureau de poste. Samedi, veille de Pâques, dans la nuit, Mme Calvel fut réveillée en sursaut par le violent claquement de la porte donnant accès à l'appartement du receveur. Mme Calvel perçut ensuite très nettement le bruit de pas de quelqu’un qui montait l'escalier, et qui, après avoir traversé le couloir accédant à la chambre de M. Peytavin, pénétrait dans cette pièce. Mme Calvel connaissait parfaitement le pas du receveur et sa manière habituelle de fermer la porte elle affirme que, cette nuit-là, ce n’était pas le receveur qui déambulait ainsi à l'étage au-dessous. Intriguée par cette visite insolite, la vieille dame ne put se rendormir de la nuit. Cependant, au moment précis de l'incendie, elle n’entendit plus aucun bruit.

    Dès le lendemain, lorsqu’elles eurent connaissance des incidents qui avaient marqué cette nuit tragique, notamment de la visite de l’étranger mystérieux, un certain nombre de personnes n’hésitèrent plus à considérer l'inconnu comme le criminel qui avait incendié le bureau de Poste et tué son directeur. Malgré la gravité de la terrible accusation qu’elles allaient faire peser sur lui, elles révélèrent le nom de celui qu'elles croyaient capable d’un tel forfait. La personne que dénonçait ainsi la rumeur publique est un homme jouissant d'une certaine aisance mais il faut reconnaître que son passé est marqué d'incidents dont sa réputation eut quelque peu à souffrir.

    Originaire d'une famille excellente, on lui impute, outre une légère peccadille, un larcin qui lui valut une condamnation - des actes plus graves dont la police eut jadis à connaître, mais dont il se tira, grâce à sa grande habileté. Cet homme est domicilié à Graulhet. Il possède de nombreux amis dans le département. Depuis un an, il avait fait la connaissance de M. Peytavin. A la suite de ces témoignages, la police mobile a décidé d'entendre la personne désignée, qui, par une troublante coïncidence, quitta Graulhet le lendemain même de la nuit tragique.

    LE MATIN 24 AVRIL 1923

    LA TRAGÉDIE DE GRAULHET

    Le brandevinier Justin Ayral accusé de l'assassinat du receveur des postes et d'incendie volontaire est arrêté. Il proteste de son innocence aucune charge matérielle n'ayant été jusqu'ici relevée contre lui. L’enquête au sujet de la mort tragique de M. Peytavin, receveur des Postes, activement poussée par M.Satjé, commissaire de police et par M. Dautel, commissaire à la brigade de police mobile de Toulouse, ainsi que par les inspecteurs Bousquet et Pradelle, a provoqué la venue, aujourd’hui, en un d'après-midi, de M. Gso, procureur de la République, et de M. Galibert d'Auque, juge d'instruction du parquet de Lavaur. Ce transport de justice a déterminé l'arrestation d'un habitant du bourg, un brandevinier (fabricant et vendeur d'eau-de-vie), Justin Ayral 43 ans, qui a été écroué à 19 heures à la prison de Lavaur, sous la triple inculpation d'homicide volontaire sur la personne de M. Peytavin, de vol et d'incendie volontaire dans un lieu habité. Justin Ayral est cet habitant de Graulhet que la rumeur publique accusait, comme je vous l'ai dit hier, et contre lequel divers témoins ont apporté des précisions assez troublantes.

    A dire vrai, il n'y a, jusqu’ici, aucune charge matérielle probante contre l'assassin présumé du receveur des Postes, mais son passé, son brusque départ au lendemain de l'incendie, et plusieurs contradictions relevées dans ses dires l'accablent.

    « C'est un homme capable de tout » Originaire de Briatexte où réside encore sa femme dont il est divorcé depuis deux ans, Justin Ayral, brandevinier aisé, possesseur d'une distillerie ambulante, est fort connu dans la région. De sa profession, voire de bénéfices provenant de contrebande, il tire par an une trentaine de mille francs. Sa réputation est déplorable et de lui on dit communément « C'est un homme capable de tout ». Son casier judiciaire porte une condamnation, quoique mainte fois la justice eut à connaître de ses agissements délictueux. Mais en homme retors et débrouillard, le bouilleur de cru réussit souvent à échapper à la rigueur des tribunaux. Travailleur acharné quand il veut travailler, aimable, serviable à l'occasion, bon vivant, Ayral est une espèce de Don Juan de village.

    Au lendemain de l'incendie où M. Peytavin devait périr, le brandevinier quitta brusquement Graulhet. Dans le bourg ce départ ne surprit tout d'abord personne. On savait qu'Ayral mûrissait de vastes projets : un nouveau mariage à Toulouse, la construction d'immeubles, l'achat d'un café dans la région. A son fils, qui habite avec lui, il avait annoncé son intention de pousser peut-être jusqu’à Paris. A certains il avait dit « Je pars pour Toulouse pour suivre un traitement dans une clinique. Aux autres « Je vais à Castres ou à Gaillac". L'enquête reprise ces jours-ci à Graulhet avait permis aux policiers d'enregistrer non seulement les graves accusations colportées sur Justin Ayral mais aussi d'établir que le brandevinier n’ignorait rien des habitudes du receveur des Postes, montant chaque soir, dans sa chambre à coucher, les sommes importantes et les liasses de valeurs dont il était dépositaire. Lorsque se produisit l'incendie du bureau de Poste, le distillateur avait été aperçu aux abords du sinistre. On avait remarqué qu'il était sombre et défait.

    Le lendemain matin, son attitude avait été plus étrange encore. Il semblait fuir Mme Peytavin, rappelée en hâte.

    Des perquisitions infructueuses ont été opérées à son domicile

    S'entretenant avec ses concitoyens, Ayral défendit, contre les partisans de l'assassinat, la thèse de l'accident. Enfin, lui qui ne quittait Graulhet que très rarement, quitta le bourg. Nul ne savait où il s'était rendu. Hier, dimanche, Justin Ayral était de retour à Graulhet. Le commissaire Dautel et ses inspecteurs, informés aussitôt, le convoquèrent à la mairie. A titre de témoin, ils le questionnèrent longuement sur la fin tragique du receveur des Postes.

    L'après-midi, les policiers procédèrent, dans la chambre du brandevinier, route de Castres, à une perquisition. Rien d'intéressant ne fut trouvé touchant le sujet préoccupant la police.

    A 22 heures, Ayral fut conduit dans un hôtel celui où logeaient le commissaire Dautel et ses collaborateurs. Ce matin le témoin était à nouveau interrogé. A l’hôtel, ignorant qu’il était discrètement surveillé, il avait, dans la matinée, parlé à deux individus, qui l'approchèrent un moment, d’économies tenues cachées chez lui et d’une somme déposée en banque. Cet argent provenait, avait-il dit, de bénéfices non déclarés au fisc, et Ayral paraissait redouter que cette somme ne tombât entre les mains des policiers. Avisé, M. Dautel procéda immédiatement à des fouilles dans l'immeuble habité par le brandevinier. Mais celui-ci n’ayant pas voulu dénoncer la cachette, le magot ne put être découvert.

    Au cours de l'interrogatoire que lui firent subir à 17 heures les magistrats du parquet de Lavaur, Ayral, en ce qui concerne l'incendie de la poste et la mort de M. Peytavin, fit des déclarations précises.

    Je suis, a-t-il dit complètement étranger à cette sombre affaire. La veille de l’incendie, je me suis couché à 21 heures. Réveillé par le tocsin, je me rendis à la Poste, comme tout le monde. Depuis, ayant affaire à Toulouse, je suis parti pour cette ville. Sur sa situation de fortune, sur ses déplacements, Ayral fut des plus discrets. Il nia les propos tenus le matin même à l’hôtel et relatifs aux économies cachées. Sur certains points n’ayant qu’un rapport secondaire avec l’incendie, Ayral se montra en contradiction à plusieurs reprises non seulement avec lui-même, mais aussi avec l’enquête de la police. Ce sont ces contradictions qui décidèrent surtout de son arrestation.

     

    LE MATIN DU 25 AVRIL 1923

    LA MORT DU RECEVEUR DES POSTES DE GRAULHET

    Quelques jours auparavant Justin Ayral, avait acheté un pistolet automatique

    Quand Justin Ayral quitta, hier, à la fin de l'après-midi, la mairie de Graulhet pour être écroué à la prison de Lavaur, s'adressant aux curieux qui se pressaient sur la place, il leur dit en patois :  Je reviendrai bientôt. Je ne suis pas un assassin

    C’est qu’en effet l'arrestation du brandevinier ne démontre pas qu'on tient en lui le voleur, l'incendiaire du bureau de Poste. Contre Ayral, il convient de le souligner, il n'y a aucune preuve matérielle. Seules de très graves présomptions, dont l'importance n'est d'ailleurs pas connue de l'inculpé, ont été retenues contre lui. Elles justifient cependant le mandat de dépôt dont il fait l'objet.

    A-t-il un « trésor » ?

    C'est en premier lieu le propos que Justin Ayral tint, dimanche malin, en présence de M.Moulis, l'hôtelier chez lequel il avait passé la nuit, et d'un ami, M. Escribe. Il se vanta de posséder un dépôt en banque et de receler en outre en une mystérieuse cachette, des valeurs que la police ne découvrirait pas. Si c'était de la part du distillateur une simple vantardise, combien il doit la regretter aujourd'hui !

    M.Galibert d'Auque, juge d'instruction, qui l'invitait à s'expliquer sur le propos tenu le matin, Ayral répondit, après avoir tout d'abord opposé à MM. Moulis et Escribe un formel démenti : Si j'ai dit qu’on ne trouverait pas ma cachette, c'est pour la bonne raison qu’elle n'existe pas et que je n'ai aucun trésor suspect. Il est donc inutile que la police s'entête à la rechercher.

    Une autre déposition, plus grave pour Ayral a été recueillie. Elle émane de M. Boujon, armurier à Lavaur, M. Boujon rapporte que, trois semaines environ avant Pâques, Ayral se présenta, dans sa boutique pour faire l'acquisition d'un pistolet automatique du calibre de G m/m 35. En l'absence de son mari, Mme Boujon montra, à l'acheteur différentes armes, mais elle refusa d'en céder. Ayral revint à deux reprises sans rencontrer M.Boujon et se fit connaitre.

    Je suis, dit Ayral, le distillateur de Briatexte.

    Revenu à nouveau chez l'armurier et rencontrant cette fois M. Boujon, Ayral fit alors l'acquisition du revolver qu'il convoitait. Hier M. Boujon fut mis en présence de son client sans que celui-ci ait été mis au courant des déclarations du témoin. L’armurier, après quelques hésitations, reconnut en Ayral l'acheteur du browning.

    Le juge d'instruction se borna à demander à Ayral :

    N'avez-vous pas eu à votre disposition d'autres armes que celle-ci. Et il lui présentait en même temps le revolver à barillet saisi au cours de la perquisition opérée la veille à son domicile.

    Non répondit le brandevinier : Je n'ai jamais eu d'autres armes.

    Ayral, confronté dans la soirée à Lavaur avec la femme et la fille de l'armurier présentes au moment de l'achat, a été formellement reconnu. L'achat de cette arme constitue pour la justice un point capital. Le parquet est convaincu de la culpabilité d'Ayral, et il reconstitue la tragédie de la façon suivante : Justin Ayral s'est présenté chez M. Peytavin dans la nuit, sachant le receveur seul, et sous le prétexte de lui apporter une certaine quantité d'alcool.

    A différentes reprises, en effet, Ayral avait donné à M. Peytavin du trois-six et un litre d'une absinthe qu'il fabriquait. Bien que le receveur fût d'une extrême prudence, il ne pouvait recevoir à une autre heure la visite du brandevinier, étant donné la nature délicate de la livraison que devait lui faire celui-ci. Une fois dans la place, Ayral, surprenant le receveur, l'aura alors abattu à coups de browning. Après s’être emparé des valeurs, le meurtrier prit la fuite non sans avoir mis le feu à l'appartement à l'aide de l'alcool qu'il avait apporté. On sait qu'après la tragédie de Graulhet, Ayral disparut. Où se rendit-il ? Il a reconnu être allé à Toulouse, à Gaillac, à Aurillac où il comptait acheter un cinéma. Mais, d'une façon générale, il n'a pas voulu préciser jusqu’ici l'emploi de toutes les journées qu'il passa hors de Graulhet. Peut-être, estime le parquet le brandevinier est-il muet sur ce point parce qu'il craint qu'en révélant fidèlement son itinéraire, on ne parvienne à découvrir, avec les valeurs soustraites, une preuve évidente de sa culpabilité.

    Le commissaire Dautel et les inspecteurs Pradelle et Bousquet de la brigade de police mobile de Toulouse, s'attachent actuellement à rétablir les faits et gestes de Justin Ayral depuis le 1er avril.

    MEURTRE

     LE MATIN DU 26 AVRIL 1923

    Les présomptions s'accumulent contre le brandevinier de Graulhet

    Disposant simplement de cinquante mille francs il désirait acquérir un cinéma ou une métairie payable deux cent mille francs comptant. Le parquet de Lavaur et la police mobile de Toulouse ont recueilli de nouvelles indications qui semblent devoir être pour l'enquête, d'une réelle importance.

    Ainsi, on a appris que le lundi 9 avril, Justin Ayral, l'assassin présumé de M. Peytavin, était de passage à Toulouse. Il remit en payement d'une consommation à l'un des garçons du café Barrier un billet de 1000 francs portant une large tache d'encre. La police dépêcha, hier, un inspecteur pour saisir au café, ce billet, mais il avait été versé depuis à un établissement de crédit. Le gérant déclara à l'inspecteur que le billet remis par Ayral lui avait déjà été réclamé, il y a trois jours, par deux hommes ayant l'allure de paysans. La police fut tout d'abord très intriguée par cette démarche, mais elle sut bientôt, que les deux hommes en question sont de fort honnêtes gens qui sur les conseils d'amis de M. Peytavin ayant eu connaissance de l'échange fait au café Barrier par Ayral avec un billet de 1000 francs avaient cherché à entrer en possession du billet taché afin de le remettre à la justice.

    D'autre part, le parquet a été avisé, par un homme d'affaires, que ces jours derniers, Ayral était entré en pourparlers pour l'achat de deux métairies l'une pour son compte, d’une valeur de 200.000 francs, et l'autre pour le compte d'une tierce personne, mais, qu'Ayral devait payer de ses deniers, d'une valeur de 260.000 francs. On a vu aussi qu’il y quinze jours, Ayral s’était rendu à Aurillac pour l'achat d'un cinéma et qu'il avait écrit au vendeur qu'il ne pouvait disposer que d'une somme de 50.000 francs au maximum. Le parquet de Lavaur va dès demain, faire procéder au déblaiement et à un examen minutieux des décombres de l'incendie. Le commissaire Dautel, de la brigade mobile, les inspecteurs Bousquet et Pradelle ainsi que M. Satjé, commissaire de police de Graulhet, se sont transportés ce matin à Flanhac, près de Decazeville (Aveyron), où Mme Peytavin veuve du receveur des Postes s'est retirée depuis la mort de son mari. Mme Peytavin a été longuement entendue et a fourni aux policiers des précisions sur les obligations et valeurs personnelles ou postales que M. Peytavin avait en sa possession la veille du 1er avril.

    J'ai été reçu par Mme Peytavin, qui m'a fait les déclarations que voici :

    J'ai fait connaissance de M. Ayral l'an dernier, au mois de septembre, au cours d'un dîner de vendanges que nous offrait M. Moulis un de nos amis hôtelier à Graulhet. Mon mari connaissait déjà le brandevinier mais n'était pas en relation avec lui. J'ai revu M. Ayral, toujours chez M. Moulis, à l’occasion d’un baptême, et par la suite, il est venu une ou deux fois chez nous. Nous avons accepté mon mari et moi une petite fiole de trois-six et il devait même, par la suite, apporter à mon mari un litre d'une absinthe qu'il fabriquait.

    Le dimanche des Rameaux, M. Ayral est venu prendre le café la maison avec la famille Moulis, et je me souviens que mon mari lui demanda alors «  Quand m’apporterez-vous le litre d'absinthe que vous m'avez promis. Il fut incidemment question ce jour-là au cours de la conversation, des sommes importantes que le bureau de poste de Graulhet encaissait à l'occasion des échéances trimestrielles, sommes que mon mari ne pouvait verser que le lendemain au receveur des finances de Lavaur, sauf, quand c'était un dimanche ou un jour férié. Alors mon mari enfermait la fortune dont il était le gardien temporaire dans une pièce spéciale, dont seul il possédait la clé et où étaient rangées les valeurs, bons du Trésor ou autres, propriété de l'administration

    Le dimanche des Rameaux également et toujours devant M. Ayral il avait été aussi question de mon départ pour Saint-Elix le samedi, veille de Pâques. Je ne crois pas que mon mari ait demandé à M. Ayral d'autre alcool que celui qu'il nous avait apporté. Je dois ajouter que si M. Ayral s'est présenté dans la soirée, même à une heure assez avancée à notre domicile, mon mari n'avait aucune raison de se méfier du brandevinier et de refuser de lui ouvrir et de l'introduire au rez-de-chaussée de l'appartement.

     LE MATIN DU 27 AVRIL 1923

    L'inculpé AYRAL se défend habilement mais l'enquête révèle des faits troublants

    Depuis son arrestation, Ayral parait de jour en jour plus déprimé. Cet homme, qui est doté d'une très grande énergie, se ressaisit cependant à chaque interrogatoire que lui fait subir le juge d'instruction, M. Galibert d'Auque. C'est après avoir longuement réfléchi qu'il répond, fort habilement d'ailleurs, aux questions qui lui sont posées.

    L'inculpé comparait seul ayant refusé la concours d'un avocat. Le juge n'entend pas aborder pour l'instant les charges les plus importantes l'achat du revolver browning, notamment. Il se borne à établir la situation financière du brandevinier et le total de ses dépenses depuis l'incendie. Ayral, qui, en toute autre circonstance, aurait été plus discret, déclare aujourd’hui qu'avec le produit de la contrebande il gagnait 30.000 francs par an. Mais on a tout lieu de penser qu'il exagère volontairement ses bénéfices, afin de laisser croire à l'existence d'économies suffisamment élevées pour justifier les entreprises nombreuses dont il projetait de se rendre acquéreur. L'ex-Mme Ayral dément sur ce point son mari. Au moment de la séparation, après le divorce, Ayral, qui venait de vendre un camion automobile sur lequel il avait perdu une somme d'argent assez élevée ne semblait posséder comme ressources qu’une somme de 10.000 francs en bons de la Défense nationale, soustraite à sa femme et qu'il avait cachée dans la cave, en la dissimulant sous de vieux chiffons. Depuis cette époque, Mme Ayral, dépouillée de son argent, ne put obtenir aucune somme de son ex-mari, condamné pourtant à lui payer, mensuellement une pension alimentaire pour son fils.

    A partir de ce moment, Ayral a vécu fort modestement. Il a pu réaliser néanmoins quelques économies puisqu’il a prêté à différentes personnes des sommes dont le total s'élève à 15.000 francs environ mais c'est là, croit-on, tout son avoir, et il est loin de représenter les disponibilités nécessaires à la réalisation de ses projets. Il s'agit, on le sait, de différents cafés. à Lavaur, à Rabastens, à Rieumes, d'un cinéma à Aurillac et d'un fonds de quincaillerie à Lavaur.

    Dans l'après-midi, à 16 heures, Ayral a comparu à nouveau devant le juge instruction M. Galibert d'Auque l'a interrogé sur son emploi du temps, dans la nuit de l'incendie. Ayral a renouvelé au magistrat ses explications qu'il donna au personnel de la brigade mobile. Couché de bonne heure, dit-il, la veille du sinistre, il avait été réveillé par le tocsin, s'était levé et avait couru à la Poste. Sur ce point encore, l'inculpé est en contradiction avec les témoins. D'après ces derniers, quand le tambour de ville quitta la mairie de Graulhet pour battre le tocsin, il était 4 heures. Aux premiers roulements du tambour sur la place de la Mairie un homme se leva en hâte, questionna " Où est le feu ?"  Un autre homme lui répondit « A la poste » cet homme, c'était Ayral. Il était déjà dans la rue, tout habillé, et l'on remarqua qu'outre le pardessus dont il était vêtu, il portait un capuchon sur son bras. On voit l'importance que tire l'accusation de ce fait. Dans l'hypothèse qu'elle émet, elle pense qu'Ayral n'était dehors à cette heure que parce qu'il rentrait de l'endroit où, en homme, prudent, il venait de cacher les valeurs volées à la poste.

    La brigade mobile, qui s'efforce de rétablir l'emploi du temps de l'inculpé depuis son départ de Graulhet, a fait, ces jours derniers, d'intéressantes découvertes. C'est ainsi qu'elle a établi aujourd'hui qu'indépendamment du billet de mille francs qu'il avait changé au café Barrier, le 9 avril, à Toulouse, Ayral avait, en outre, remis, dans la même ville, deux autres billets de mille francs l'un au café Michel, boulevard de Strasbourg, et l'autre à une tenancière d'agence matrimoniale, dans les circonstances suivantes : le 12 avril, Ayral s'était, en effet, présenté chez Mme Collet, boulevard Matabiau, pour contracter mariage. il se nomma, déclarant qu’il possédait 100.000 francs d'argent liquide et 50.000 francs représentés par un cinéma dont il était propriétaire. Il invita Mme Collet à faire le nécessaire pour qu'il puisse rencontrer la fiancée qui lui convenait. Suivant la coutume Mme Collet invita son client à lui verser une provision pour la publication des annonces nécessaires. Ayral remit un billet de mille francs qu'il tira d'une liasse de sept ou huit billets de mille francs, non épinglés. Mme Collet, qui ne pouvait rendre la monnaie, conserva le billet, et quelques jours plus tard, quand Ayral revint à nouveau, elle voulut, régler son compte et remettre au brandevinier une somme de 600 francs. Mais Ayral la lui laissa généreusement "Gardez ça pour vous, dit-il et soyez assurée que l'affaire terminée je saurai vous récompenser largement » Ainsi, la police qui n'est pas au bout de sa tâche, a déjà établi qu'en quatre ou cinq jours, Ayral, et pour la seule ville de Toulouse, a dépensé plusieurs milliers de francs Des sept ou huit mille francs dont il était porteur lors de sa visite à Mme Collet, il ne lui restait, dix jours plus tard au moment de son arrestation, que cinq ou six cents francs. Ce sont là on doit le reconnaître, des dépenses excessives. On comprend que M. Dautel et ses collaborateurs aient hâte de retrouver dans les banques où ils ont été versés, les billets de 1.000 francs remis par Ayral à Toulouse.

    Un industriel de Graulhet. M. Fernand Ayral, nous prie de faire savoir qu’il n'existe aucun lien de parenté entre lui et l’inculpé Justin Ayral.

    LE MATIN DU 30 AVRIL 1923

    La justice cherche la vérité dans les décombres du bureau de Poste.

    Les fouilles entreprises dans les décombres du bureau de poste incendié se sont poursuivies, aujourd’hui, sous la surveillance du commissaire Amédée Dautel de la brigade mobile de Toulouse, de M. Satjé, commissaire de police de Graulhet et des inspecteurs Pradelle, Sutra et Bousquet. Le concours de ce dernier est des plus utiles, étant donné sa pratique des incendies, puisqu'il accomplit son service militaire dans les pompiers de Paris.

    Ce que la police recherche ? - Les restes de l'infortuné M. Peytavin, les vestiges de l'avoir de sa femme ou des valeurs propriété de la Poste, qui ne furent pas, on le sait, retrouvées jusqu’ici et qu'on présume avoir été volées par celui qu'on accuse d'avoir assassiné le receveur.

    Ce que la justice cherche surtout ? C'est la preuve du crime ou de l'innocence du brandevinier Ayral.

    Dans la matinée, les trois ouvriers qui, à l'aide de pelles et de pioches, s'emploient, avec précaution, à déblayer et à trier les décombres, ont recueilli divers objets, notamment la lampe à pétrole dont s'éclairait, dans sa chambre, le receveur. Cette lampe a été retrouvée sur l'emplacement de la cuisine de M. Peytavin, à côté de la porte d'entrée, à l'endroit même où avaient été ramassés les restes du receveur. Au début de l'après-midi, nouvelle découverte celle des débris d'une bonbonne. La police n'entend tirer et ne peut d'ailleurs tirer quant à présent aucune conclusion de ces découvertes. La lampe, les débris de verre ont été mis sous scellés ainsi que le coup-de-poing américain, le verrou de sûreté et la serrure de la porte d'entrée trouvés hier. Il semble que le verrou de sûreté soit encore fermé, alors que la serrure de la porte au contraire est nettement ouverte. Faut-il admettre que M. Peytavin ait ouvert sa porte à un visiteur nocturne et que celui-ci ait poussé ensuite le verrou ? Mme Peytavin a été priée de venir à Graulhet durant les fouilles qui vont se poursuivre, afin de renseigner les enquêteurs sur les objets déjà recueillis ou pouvant être encore découverts. Le parquet de Lavaur se propose, dès que ces fouilles seront terminées, de soumettre à un médecin légiste parisien, probablement le docteur Paul, les débris humains (une colonne vertébrale, un cœur, une partie du foie), qui ont été découverts le jour même de l'incendie, ainsi que ceux qui pourraient être trouvés au cours des opérations actuelles. M. le commissaire Satjé va s’employer demain à établir la fortune exacte de Justin Ayral. Un compte courant au nom de ce dernier a été découvert dans la succursale d'un grand établissement de crédit.  Le coup-de-poing américain et le verrou de sûreté étaient la propriété personnelle du receveur. Nous avons vu, hier soir à Paris, le fils aîné de M. Peytavin, et nous lui avons soumis les premiers résultats des fouilles opérées dans les décombres du bureau de poste de Graulhet.

    M. André Peytavin nous a déclaré

    En ce qui concerne les débris de bonbonne, recueillis par la police, je ne puis affirmer que mon père n'en possédait pas. Peut-être y en avait-il une dans la petite cave à côté de la cuisine. Mais en ce qui concerne le coup-de-poing américain et le verrou, aucun doute n'est possible l'un et l'autre appartenaient à mon père. Ces deux objets étaient placés dans une boîte contenant des outils. Le verrou de sûreté avait été, par mon père, rapporté de Paris, et il n'avait pas eu l'occasion de l'utiliser.  L'affirmation de M. André Peytavin ne manquera pas d'être retenue avec intérêt par les enquêteurs. Il n'y avait pas de verrou de sûreté à la porte de l'appartement du receveur des postes, qui, une fois chez lui fermait la serrure à clef. Or, cette serrure avait été retrouvée ouverte.

    LE MATIN 1 MAI 1923

     LA TRAGÉDIE DE GRAULHET

    Les fouilles qui viennent d'avoir lieu dans les décombres du bureau de poste de Graulhet ont confirmé la justice dans son opinion qu'il y a eu crime. Les fouilles étant terminées la conviction de la justice n'a pas changé: le receveur des postes a été assassiné, le vol et l'incendie ont suivi

    Les fouilles pratiquées depuis deux jours dans les décombres du bureau de poste sont terminées. Elles n'ont pas amené d'autres découvertes que celles que nous avons signalées. La serrure de la porte d'entrée du pavillon de M. Peytavin un verrou de sûreté et un coup-de-poing américain appartenant, au receveur, quelques bons de la Défense nationale ou du Trésor réduits en cendres, mais sur lesquels on peut lire des numéros, des débris d'une bonbonne, et de la lampe pétrole dont s'éclairait M. Peytavin dans sa chambre à coucher. L’argent et les valeurs ont disparu, il convient de souligner qu'on n'a retrouvé aucune trace des sommes constituant l'argent du bureau de Poste, ainsi que des titres constituant l'avoir personnel de Mme Peytavin Ces titres représentant une trentaine de mille francs, étaient placés dans l'armoire à glace de la chambre à coucher du receveur. C'est dans cette pièce également que chaque soir M. Peytavin rangeait la recette de la journée, qu'il plaçait au pied de son lit sur une chaise. Cette recette, au 31 mars, s'élevait à 325.000 francs, constituée par 209 billets de 1.000 francs et le reste en coupures diverses.

    Les résultats des fouilles n'ont fait que confirmer l'opinion de la justice: il y a eu crime, vol et incendie volontaire.

    Si on n’a retrouve aucun ossement, aucune autre partie du corps de M. Peytavin, les enquêteurs ont, par contre, fait des constatations et des découvertes venant corroborer certains des témoignages reçus, dès le début de l'enquête et relatifs aux événements mystérieux qui se déroulèrent avant l'incendie, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur du pavillon habité par le receveur des Postes. C'est en premier lieu la constatation que la serrure fermant la porte d'entrée de la maison de M. Peytavin était ouverte, quand elle fut ramassée dans les décombres. Or, le receveur, toujours très prudent, avait l'habitude chaque soir de fermer cette serrure, d'un double tour de clef.

    C'est ensuite la découverte des débris d'une bonbonne et de la lampe à pétrole de M. Peytavin qui furent retrouvés dans les décombres amassés au pied de l'escalier menant à la chambre du receveur et sur l'emplacement de cet escalier, alors que les débris de la lampe auraient dû être relevés dans les décombres de la chambre, et que la présence des débris de la bonbonne sur ce point est inexplicable.

    Comment les enquêteurs reconstituent le crime

    De ces découvertes et des témoignages enregistrés, la justice établit ainsi la version, du terrible crime qu'elle impute au brandevinier Ayral

    Sachant M.Peytavin, seul le 31 mars dans la nuit, l'assassin, connu du receveur, se présente chez lui, frappe plusieurs lois à sa porte. Le receveur descend, ouvre, puis repousse la porte sans la fermer à clé. Le meurtrier et sa victime pénètrent dans la cuisine au rez-de-chaussée. Là, M. Peytavin, surpris par son agresseur, est abattu à coups de revolver (d'où tes détonations, entendues par divers voisins), M Peytavin, assassiné, le malfaiteur s'empare de la lampe, gravit l'escalier qui mène à l'appartement de celui qu'il vient de tuer (déposition de Mme Calvel, qui a entendu le pas lourd d'un homme qui ne peut être affirme-t-elle, celui du receveur) et pénètre dans la chambre de M. Peytavin, où il s'empare des 325.000 francs du tiroir-caisse et des obligations, propriété personnelle de Mme Peytavin, Le vol accompli, l'assassin, après avoir mis le feu à la chambre, quitte la pièce, referme là porte avec soin, descend l'escalier et dépose sur une des marches la lampe à pétrole dont il s'est éclairé, gagne le couloir, ouvre la porte d’entrée, la tire derrière lui et prend la fuite dans la nuit. Tel est le scénario du drame. Il peut être exact, mais il n'en demeure pas moins du domaine des hypothèses. Pour la justice le crime est patent. Elle l'impute à Ayral, contre lequel il y a un simple faisceau de présomptions, et l'achat d’un revolver, qu’il nie énergiquement.  Dans la matinée, M. Dautel, commissaire de la brigade mobile de Toulouse, et les inspecteurs Pradelle et Bousquet, se sont rendus à Bel-Air, pour entendre la mère, la soeur et le beau-frère de l'inculpé. Ceux-ci protestent vivement de l'innocence de leur parent. Ils virent celui-ci pour la dernière fois le 16 avril. Ayral les quitta après le déjeuner, vers 14 h.30, pour se rendre à Toulouse, dans une clinique où, déclara-t-il, il allait se faire soigner d'un lumbago. En réalité, cela a été établi, le brandevinier partait en automobile pour rejoindre une femme. L'inculpé ne nie pas le fait, d'ailleurs. M. Galibert d'Auques, juge d'instruction, a entendu aujourd’hui différents témoins, dont M. Moulis, M. Mouries et Mme Douât. Le magistrat a convoqué d'urgence à Graulhet Mme Peytavin et M. André Peytavin, employé des postes à Paris, fils aîné du receveur des postes.

     LE MATIN DU 2 MAI 1923

    Plusieurs témoins affirment avoir vu Ayral dehors avant que le tambour annonçât l’incendie

    Le juge d'instruction de Lavaur a interrogé à nouveau Ayral à la fin de l'après-midi. L’interrogatoire a porté sur l'emploi du temps du brandevinier dans la nuit de l'incendie du bureau de poste. On connaît sur ce point, les déclarations d'Ayral. Elles n'ont pas varié depuis le début de l'enquête : Ayral couché chez lui au moment de l'alarme donnée par le tambour, se leva et se rendit sur le lieu du sinistre. L'inculpé, sur ce point en contradiction avec plusieurs témoins n'en persista pas moins dans ses dénégations. De son côté, M. Satjé, commissaire de police de Graulhet, a entendu de nouveaux témoins. Deux d'entre eux ont déclaré qu’au premier roulement de tambour, sur la place même de la Mairie, d’où était parti l’homme chargé de donner l'alarme, ils se mirent à leurs fenêtres. La première personne qu'ils interrogèrent pour demander où était le feu était Ayral, que l'un d'eux connaissait parfaitement. Ayral était donc déjà dans la rue, et cependant ce n'est que trois minutes plus tard que le tambour devait passer route de Castres, devant son domicile.

    Deux autres voisins d'Ayral ont déclaré que lorsque le tambour passa devant leur domicile, ils se levèrent, se mirent aux fenêtres où ils demeurèrent, l'un cinq minutes, l'autre un peu plus longtemps.Ils n'aperçurent pas Ayral les volets de sa chambre étaient hermétiquement clos ils ne perçurent pas non plus, dans les minutes qui s'écoulèrent ensuite, le bruit que fait la porte du brandevinier quand elle s'ouvre ou se ferme.

    Cependant, depuis déjà un moment, Ayral était dans la rue et ceux qui le virent alors constatèrent que loin de prendre le chemin qui mène au bureau de poste, le brandevinier semblait plutôt s’en éloigner. Ainsi Ayral a été aperçu dehors avant que l'incendie se déclarât

    C'est une nouvelle charge que la justice retient. Et c’est une nouvelle charge que les enquêteurs retiennent contre lui.

    LE MATIN DU 3 MAI 1923

    Un nouveau témoignage vient accabler le brandevinier

    La justice touche-t-elle au but et va-t-elle enfin découvrir la preuve tant cherchée qui doit confondre le brandevinier Justin Ayral. L'optimisme du juge d'instruction de Lavaur et des policiers de la brigade mobile de Toulouse tendrait à le laisser croire. Aujourd’hui les uns et les autres semblent rayonnants.

    Les enquêteurs estiment en effet avoir établi que Justin Ayral n'était pas chez lui quand l'incendie du bureau de poste éclata. Un témoin a précisé aujourd’hui même que le brandevinier avait dû sortir de chez lui vers minuit. En outre, certaines indications permettent de penser que contrairement à ce qu'elle affirma, une personne ayant vu un mystérieux visiteur venir frapper dans la nuit à la porte de M. Peytavin l'a parfaitement reconnu. Elle a prétendu n'avoir pu reconnaître cet homme, mais elle aurait fait cette déclaration sous l'empire de la terreur que lui inspirait le personnage. Ce témoin va être à nouveau entendu, et la justice compte vaincre sa pusillanimité.

    Le témoignage nouveau enregistré par la justice et qui établit la sortie d'Ayral dans la nuit du 31 mars est celui de Mme veuve Lapeyre. Elle habite rue du Bel- Air chez une de ses nièces, ou elle occupe une chambre mitoyenne à celle d'Ayral. Elle ne connaît pas celui-ci elle ignorait même son nom. Les deux pièces sont séparées seulement par un mur en torchis. Tous les bruits faits dans une pièce sont nettement perçus dans l'autre. Mme Lapeyre entend ainsi chaque soir le brandevinier rentrer dans sa chambre elle perçoit le bruit de ses pas jusqu'au moment où il se couche mais elle n'entend que les bruits de la chambre, et quand le locataire descend, après avoir refermé la porte de la pièce, les bruits ne sont plus perçus, étant donné la disposition de l'escalier. Mme veuve Lapeyre est une femme âgée et malade elle dort deux ou trois heures par nuit d'un sommeil des plus légers réveillée, elle ne peut se rendormir. Or, elle a déclaré Le 31 mars je me suis couchée à 21 h 30. A un moment, que je crois pouvoir placer aux environs de minuit, j'ai été réveillée par les pas de mon voisin il était chaussé de gros souliers. Au bout d'un moment, je n'ai plus perçu aucun bruit, bien que je sois restée éveillée toute la nuit. Quand le tambour donna l'alarme, rien ne bougea dans la chambre de mon voisin et je ne l'entendis ni se lever ni sortir.

    Qu'apposera le brandevinier à ce témoignage lorsqu’il en sera informé ? Interrogé plusieurs fois sur son emploi du temps durant la nuit de l'incendie, il fut amené, hier encore, à le préciser.

    Ayral déclare en substance que le 31 mars, souffrant d'un lumbago, il s'était couché vers 20 h.30, après s'être placé, sur les reins, une feuille d'ouate. Les douleurs persistant, il se serait levé une première fois, se serait recouché, puis levé à nouveau. Ayant froid, il s'est habillé. A 2 heures il se coucha définitivement, sans retirer ses vêtements, à l'exception cependant de son veston.

    LA DÉFENSE DU BRANDEVINIER

    Madame Peytavin fournit des précisions sur les objets découverts au cours des fouilles dans les décombres du bureau de poste incendié

    Si Ayral ne dit pas la vérité, il faut reconnaître que sa déclaration ne manque pas d'habileté. La précision qu'il donne « Je me suis couché vêtu de la plupart de mes vêtements » constitue un excellent moyen de défense. Il explique ainsi, aujourd’hui, pourquoi il put être aussi rapidement dehors quand il entendit le tambour d'alarme. Malheureusement pour l'inculpé, nul ne le vit alors ou ne l'entendit sortir de son domicile, et cependant, réveillées par le tambour, de nombreuses personnes guettaient aux fenêtres. Le juge d'instruction a expédié à Paris aujourd’hui, au service de l'identité judiciaire de la préfecture de police, aux fins d'examen, les cendres de papiers recueillies dans la chambre d'Ayral au cours de la perquisition qui y fut opérée, ainsi qu'un tube de verre, assez semblable à une éprouvette, et dont l'intérieur est recouvert de résidus calcinés.  Ces cendres proviennent, d'après Ayral, de papiers d'affaires, de lettres ou de reçus, qu'il brûla. Quant à l'éprouvette, après avoir déclaré que c'était le débris d'un verre de lampe, il dit maintenant ignorer la provenance de cet objet qui peut-être, était dans la cheminée quand il prit possession de la chambre.

    Ce que dit Mme Peytavin

    Le commissaire Dautel a de son côté entendu Mme Peytavin arrivée ce matin même de Flagnac. Mme Peytavin fournit au commissaire des précisions sur les différents objets découverts ces jours derniers au cours des fouilles. C'est ainsi qu'elle déclara : le verrou de sûreté n'était pas utilisé par moi.

    Ainsi que l'a dit mon beau-fils au matin, ce verrou était enfermé dans une boite à outils. Quant à la serrure de la porte d’entrée, le fait qu'elle ait été retrouvée ouverte ne mérite pas, à mon avis de retenir autrement votre attention. M. Peytavin avait l'habitude de fermer cette serrure d'un double tour de clef cependant, quelquefois il oubliait de le faire. La fermeture était assurée, en tout cas, par une des targettes placées soit au-dessus soit au-dessous de la serrure. Quant à la découverte des débris d'une bonbonne à l'endroit où furent relevés les restes de mon infortuné mari je ne sais si elle peut constituer un fait important. Nous possédions en effet trois bonbonnes placées dans un réduit servant de cave. Faut-il supposer que c'est une de ces trois bonbonnes dont les débris ont été projetés jusque-là pendant l'incendie, ou admettre, au contraire, suivant une des hypothèses émises et non des moins audacieuses que cette bonbonne fût apportée par l'assassin et que son contenu, alcool ou essence, servit à arroser le cadavre du receveur et à propager l'incendie ?  Quoi qu'il en soit, après quinze jours d'enquête, la tragédie de Graulhet reste, sur plus d'un point, troublante et mystérieuse.

    LE MATIN DU 5 MAI 1923

     L'accusation contre l' inculpé Ayral se précise

    Le juge d'instruction, M. Galibert d'Auque, est un tout jeune magistrat, mais il a conduit l'information ouverte contre le brandevinier avec la science d'un vieux routier. Son activité est inlassable et l'inculpé doit se rendre compte aujourd'hui que sa défense est des plus lourdes.

    La journée d'hier a eu, pour Ayral, des résultats fort graves. M. Galibert d'Auque a fait comparaître l'inculpé et abordant le point capital de l'information, celui sur lequel la justice compte le plus pour confondre l'auteur présumé de l'assassinat de M.Peytavin, il lui posa la question suivante: En février 1923, à Lavaur ou dans toute autre localité, n'avez-vous pas acheté d'autre arme que le petit revolver saisi par la police dans votre chambre à Graulhet ?  Ayral qui, jusqu'ici, n'a pas eu connaissance de la déposition faite spontanément par l'armurier Boujol, répondit, après avoir réfléchi quelques instants : " Ni à Lavaur ni ailleurs, je n'ai acheté aucune arme et je n'ai jamais eu en ma possession d'autre revolver que celui trouvé chez moi .Les dénégations du brandevinier constituent, pour la justice, plus qu'une présomption. Le juge aurait voulu vider à fond ce point particulièrement intéressant, mais, en l'absence de M. Boujol, qui ne rentrera à Lavaur que demain, il n'a pu être procédé à la confrontation entre Ayral, l'acheteur du pistolet, et l'armurier.  Ayral sera également mis en présence de Mme Boujol et de sa fille qui toutes deux présentes dans le magasin au moment où il acheta le pistolet, l'ont depuis nettement reconnu.

    Le brandevinier en contradiction absolue avec plusieurs témoins

    M. Galibert d'Auque, qui avait pris connaissance des témoignages reçus ces jours derniers par la police mobile sur les allées et venues d'Ayral dans la nuit qui précéda l'incendie de la Poste, tint à faire préciser par l'inculpé un certain nombre de détails, notamment sur le trajet que suivit Ayral, le matin de l'incendie, pour se rendre de son domicile au bureau de Poste et chez M. Moulis.

    Les mensonges du brandevinier

    Dans l'après-midi, le juge d'instruction se rendit à Graulhet, afin de vérifier sur place les dires de l'inculpé et de les contrôler avec les témoignages des nombreuses personnes qui sont en contradiction avec lui. Accompagné de M. Satjé, commissaire de police, du commissaire Dautel et des inspecteurs de la brigade mobile de Toulouse, le juge se rendit, dès son arrivée, dans la chambre de Mme Veuve Lapeyre, contiguë à la pièce dans laquelle couchait Ayral. Un inspecteur pénétra dans cette pièce il marcha chaussé d'abord d'espadrilles, puis de brodequins. Le juge put constater que les allées et venues de l'agent dans la chambre étaient nettement perçues. Ainsi se confirmait la déposition de Mme veuve Lapeyre, qui entendit, le 31 mars, Ayral se lever vers minuit et marcher dans sa chambre, ayant les pieds chaussés de gros brodequins. On connaît la défense d'Ayral sur ce point soufflant d'un lumbago, il s'était levé pour boire quelques gorgées d'alcool. Mais sur une interpellation du juge, il avait tenu à préciser, hier, que, cette nuit-là il n'avait pas cru devoir se chausser. Et l'accusation en conclut que si Ayral avait ses chaussures, quand il fut entendu par Mme Lapeyre c'est qu'il s'apprêtait à sortir. Où se rendait-il ?

    Le juge d'instruction, quittant le domicile de Mme Lapeyre, tint à faire à pied le trajet qu'Ayral prétendit avoir effectué le matin de l'incendie pour se rendre à la poste d'abord et chez M.Moulis ensuite. Le juge mit vingt minutes effectuer le trajet. Ayral avait avoué avoir mis, lui, une vingtaine de minutes environ. Cependant, sur ce point encore l'inculpé commet de grossières erreurs. En effet, M. Galibert d'Auque a pu constater qu'il était impossible à Ayral, parti à 3 h. 50 de son domicile (d'où ne le virent sortir aucun de ses voisins alors aux fenêtres) de se trouver cinq minutes plus tard devant l'hôtel de M. Moulis, où il venait chercher le propriétaire, ami personnel de M. Peytavin, auprès être passé, ainsi qu'il l'a dit sur le lieu de l'incendie, ce parcours demandant vingt minutes de marche.

    Sur place, le juge d'instruction entendit M. Moulis. Le témoin, dans sa déclaration, donna à Ayral un démenti catégorique. Aux premiers roulements du tambour, dit-il, je me mis à la fenêtre pour demander où était le feu. Un homme qui se tenait sur la place derrière une baraque foraine, à vingt mètres de mon hôtel, me répondit « Le feu est la Poste. » C'est à la voix que je reconnus que c'était Ayral. Je puis affirmer que loin de se diriger vers mon hôtel, il lui tournait le dos et semblait s'en éloigner.

    Enfin, pour terminer sa journée, le juge d'instruction est allé procéder à différentes constatations au bureau de Poste incendié. Dans les environs du bureau, il fit préciser à différents témoins, notamment Mmes Douat et Viguier, les dépositions qu'elles firent à la police mobile, relativement aux bruits suspects qui furent entendus par elles entre 23 heures et une heure et sur la présence d'un personnage suspect qui frappa à la porte du receveur. Mais les témoins ne purent fournir au juge aucune indication précise sur cet individu

    La victime aurait-elle été dépecée ?

    Le juge a prescrit de procéder, dès demain matin, à un nouveau déblaiement des décombres, à l'effet de rechercher les restes de l'infortuné M. Peytavin. La justice ne peut admettre qu'on n'ait retrouvé du cadavre du receveur des postes qu'une partie de la colonne vertébrale. Elle se demande si l'assassin n'a pas eu un moment l'idée de faire disparaître complètement le corps de sa victime en le dépeçant. Demain matin, M. Galibert d'Auque entendra la veuve du receveur des Postes, et son fils. M. André Peytavin, arrivé ce matin de Paris.

     LE MATIN 7 MAI 1923

    On va exhumer les restes de l'infortuné receveur des Postes. Le juge d'instruction n'a pu, ainsi qu'il en avait l'intention, confronter aujourd’hui le brandevinier Justin Ayral avec M. Boujol, l'armurier de Lavaur.

    Le juge n'a pas encore pris de décision concernant le médecin légiste qu'il commettra pour examiner les funèbres débris relevés dans les décombres de l'incendie. Il est probable que le docteur désigné sera le médecin légiste de Lavaur ou en son lieu et place le docteur qui examina les restes de M. Peytavin, lors de leur découverte. Pour ordonner l'examen de ces quelques fragments, M. Galibert d'Auque attend que soit terminé le déblaiement des décombres de la Poste, mais les difficultés rencontrées par le commissaire Dautel pour rassembler les ouvriers nécessaires ont dû faire retarder cette opération jusqu’à lundi matin. Le juge d'instruction aurait voulu n'avoir pas à ordonner l'exhumation du corps du receveur. Cependant, cette formalité lui apparaît indispensable pour les raisons suivantes la justice ne doute pas que M. Peytavin est mort, victime d'un assassinat, et que les débris humains retrouvés dans les décombres de l'incendie soient bien ceux de l'infortuné receveur. Mais jusqu’ici, si elle est persuadée qu'elle tient entre ses mains l'auteur du crime, elle ne possède pas la preuve légale que les débris ramassés dans l'incendie soient les restes d'un être humain. Elle croit posséder l'assassin, mais il lui manque la victime. Sur cette question, un médecin légiste peut seul se prononcer et dire que les débris découverts dans les décombres de l'incendie sont bien les restes d'un homme et non ceux d'un animal.

    M. Galibert d'Auque mène activement son instruction. Elle l'occupa aujourd’hui de 8 heures à 19 heures. Le juge entendit tout d'abord M. André Peytavin, dont le témoignage confirma les renseignements déjà connus sur l'état de santé du receveur et sur ses habitudes, parfaitement ordonnées, tant dans sa vie privée que dans ses fonctions administratives.

    La femme de la victime confrontée avec l'inculpé

    Mme veuve Peytavin, femme de la victime, fut ensuite entendue. Commencée à 10 h. 30, son audition se prolongea, sauf un très court arrêt pour le déjeuner, jusqu’à 17 heures. Après quoi, le témoin fut amené à la prison de Lavaur pour y être confronté avec Ayral. Le témoignage de Mme Peytavin est identique à celui de son beau-fils. Il n'y a à retenir que ce fait c'est que le jour de l'incendie, quand elle revint de Saint-Elix, d'où elle avait été rappelée d'urgence, Mme Peytavin, à l'hôtel Moulis, se trouva en présence d'Ayral. Le brandevinier, qui était lié cependant avec le receveur, n'adressa à sa femme aucune parole de consolation, et Mme Peytavin constata l'air défait et la pâleur d'Ayral.

    La confrontation porta sur un point que l'accusation considère comme très important les différents apports d'alcool faits par Ayral chez le receveur des Postes. Les différents témoins ont déclaré qu'Ayral qui avait, déjà offert une bouteille de marc à M. Peytavin, lui avait également promis de lui apporter, dans la semaine qui précéda l'incendie, une bouteille d'absinthe et un flacon de trois-six dont Mme Peytavin avait besoin pour se frictionner. Or d'après Mme Peytavin, Ayral avait apporté une première fois du marc à son mari quelques jours plus tard, le mardi 27 mars, dans la matinée - elle précise - Ayral vint livrer la bouteille d'absinthe mais à la veille de l'incendie, quand elle partit pour Saint-Elix, le brandevinier, à sa connaissance, n'avait pas encore remis le trois-six au receveur.

    Ayral, au contraire, déclare qu'il apporta en même temps à M. Peytavin le trois-six et l'absinthe le lundi ou le mardi des Rameaux, vers 6 heures du soir. Cette contradiction entre les déclarations de l'inculpé apparaît d'autant plus importante pour l'information que la justice croit avoir quelque raison de penser qu'Ayral se garda bien de livrer le trois-six à la date qu'il indiqué, en même temps que l'absinthe, parce que la remise de cet alcool devait lui servir plus tard de prétexte pont se présenter chez le receveur des Postes. C'est en effet pour livrer le trois-six que la justice croit qu'Ayral s'est présenté dans la soirée qui précéda l'incendie au domicile du receveur. La vérité sur ce point n'a pu être faite, Ayral ayant maintenu ses dires malgré les précisions apportées par Mme Peytavin. Sur mandat de M. Galibert d'Auque, les commissaires Satjé et Dautel ont effectué aujourd'hui une nouvelle perquisition à Graulhet dans la chambre d'Ayral, route de Castres. Il s'agissait de rechercher et de saisir les vêtements portés par le brandevinier durant la nuit de l'incendie une pèlerine, un pardessus, un veston de velours et un pantalon de drap.

    Ces vêtements ont été découverts dans la chambre d'Ayral et placés sous scellés. Sur le pantalon, on remarque quelques taches brunes suspectes, pouvant être du sang et qui seront soumises ultérieurement à l'analyse d'un chimiste.

    LE MATIN DU 8 MAI 1923

    Le brandevinier met une étrange obstination à nier l'achat d'un browning chez l'armurier Boujol 

    La confrontation attendue de l'armurier Boujol et de Justin Ayral, qui fit chez ce commerçant, à Lavaur en avril dernier, peu de temps avant le tragique incendie du bureau de Poste de Graulhet l'achat d'un pistolet automatique, a eu lieu cet après-midi, 15 heures, à la maison d'arrêt de Lavaur. Elle fut banale au possible. M. Boujol renouvelant ses déclarations précédentes, reconnut formellement en Justin Ayral, l'acheteur du pistolet, et précisa : C'est bien vous, je l'affirme !  Et, à l'appui de ses dire, l'armurier exhiba la feuille volante sur laquelle il avait relevé l'inscription portée sur son livre de l'achat effectué par le brandevinier. Cette inscription est rédigée comme suit : Hier vendredi, un pistolet automatique, 120 francs, vendu à Ayral, de Saint-Jean, beau-frère de M. Dartier d'En Barquier. Poursuivant le système de défense qu'il a adopté jusqu'ici, Ayral nia, mais avec mollesse. Son attitude l'égard de M. Boujol fut humble et presque obséquieuse. Le brandevinier paraissait très affecté, et, à aucun moment l'inculpé n'osa fixer son regard sur celui du témoin.

    En vain, l'armurier rappela-t-il à Ayral les diverses circonstances de la vente. Il lui cita notamment le fait que nous avons rapporté hier :"  Vous aviez choisi un revolver de 120 francs et, si je n'y avais pris garde, vous alliez emporter une arme d'un prix supérieur Ayral se borna à répliquer ". Je vous répète que c'est une erreur. C'est malheureux ! Enfin vous vous trompez. Il ne s'agit pas de moi." 

    La confrontation prit fin à 17 heures. Demain le juge d'instruction, qui se rend à Toulouse pour conférer avec le parquet général, confrontera, à son retour, la femme de M. Boujol avec Ayral. 

    Les fouilles entreprises dans les décombres du bureau de Poste se sont poursuivies dans la journée et n'ont donné jusqu'à présent aucun résultat nouveau. La brigade mobile a enquêté à Toulouse, où, d'après certaines indications, Ayral aurait, après son départ de Graulhet, en compagnie d'une femme, signalé sa présence dans un établissement de la ville par les dépenses exagérées qu'il y fit.

    LE MATIN DU 9 MAI 1923

    Les nouvelles fouilles des décombres de l'incendie n'ont donné aucun résultat

    Les nouvelles fouilles entreprises dans les décombres du bureau de Poste incendié ont pris fin ce soir sans amener de nouveaux résultats. Il faut renoncer désormais l'espoir de retrouver les restes du malheureux receveur. Or la justice ne peut admettre que l'incendie ait entièrement consumé le crâne et tous les os d'un être humain sans en laisser quelques débris. Elle est de plus en plus convaincue que le meurtrier de M. Peytavin a fait disparaître, pour un but qui n'apparaît pas jusqu'ici, mais qu'on découvrira par la suite, une partie du cadavre de sa victime. Le juge d'instruction près avoir pris l'avis du parquet général, fera procéder demain à l'examen des restes de M. Peytavin inhumés à Graulhet. L'opération aura lieu en présence du parquet et ces quelques os seront très vraisemblablement transportés à Paris pour y être soumis au médecin légiste.

    Demain aussi, M. Galibert d'Auque procédera à la confrontation d'Ayral avec Mmes Boujol et Fabriés, femme et belle-sœur de l'armurier de Lavaur. Mais cette formalité judiciaire, après les déclarations précises de M. Boujol, n'offre plus pour l'enquête beaucoup d'intérêt. Avec elle prendra fin la partie active de l'information judiciaire.

     LE MATIN DU 10 MAI 1923

    L'exhumation des restes de M. Peytavin est ajournée

    Le juge d'instruction devait faire procéder aujourd'hui l'examen des restes de M. Peytavin, inhumés à Graulhet. Cet examen semblait d'autant plus indispensable que le médecin légiste aurait pu relever sur les tronçons de la colonne vertébrale des traces pouvant confirmer l'hypothèse du dépeçage, admise comme de plus en plus probable par la justice. Malgré cela, contrairement aux intentions des magistrats chargés de l'enquête, l'exhumation n'a pas eu lieu. Si le juge d'instruction propose; le parquet général dispose. En l'espèce, M.Tortat, procureur général n'a pas cru devoir autoriser M, Galibert d'Auque à engager les crédits nécessaires aux opérations, sans en référer à la chancellerie.

    Dans la matinée, de 10 heures à midi le juge d'instruction a confronté, à la maison d'arrêt, Ayral avec Mmes Boujol et Fabriés femme et belle-sœur de l'armurier de Lavaur, qui étaient présentes quand le brandevinier fit l'acquisition du pistolet automatique. Ayral, bien que parfaitement reconnu par les deux témoins, a persisté dans ses dénégations, mais avec plus de mollesse encore que les jours précédents.

    LE MATIN DU 11 MAI 1923

    L'exhumation des restes de M. Peytavin est décidée

    Après entente avec le parquet général, M. Galibert d'Auque juge d'instruction, a commis le docteur Sorel, professeur à la faculté de médecine de Toulouse, et le docteur Yversenc, médecin légiste, pour examiner les restes de M. Peytavin. L'exhumation aura lieu dans l'après-midi de demain, au cimetière de Graulhet, en présence du parquet de Lavaur. 

    LE MATIN DU 12 MAI 1923

    L'exhumation des restes du receveur du bureau de poste

    LES DÉCOUVERTES INATTENDUES

    Dans le petit cimetière de Graulhet, où ils sont enfouis depuis bientôt six semaines, la justice a fait exhumer, cet après-midi, les débris carbonisés recueillis dans les décombres de la Poste incendiée et qu'on suppose être les restes de l'infortuné receveur Peytavin.

    La funèbre opération a eu lieu à 15 heures en présence de MM. Gast procureur de la République, Galibert d'Auque, juge d'instruction au tribunal de Lavaur, du commissaire Dautel et de l'inspecteur Bousquet, de la brigade mobile de Toulouse. Du cercueil où ils étaient ensevelis sous une épaisse couche de sciure, le docteur Yversenc, l'un des médecins légistes commis retira des fragments carbonisés et de multiples débris osseux en nombre beaucoup plus important qu'on ne le supposait. Enfin, la justice a recueilli aussi des vestiges de divers corps étrangers. L'un d'eux retient tout particulièrement l'attention. Il se compose d'un morceau de métal fondu et des plus légers, qui fut retrouvé enchâssé dans le bloc osseux qu'on croit être un fragment du tronc. Sur son origine, on n'a pu se mettre d'accord et différentes hypothèses furent émises à ce sujet. Il pouvait provenir soit des débris d'un dentier, soit d'un bijou, ou peut-être était-il constitué par la mince feuille de maillechort enveloppant habituellement les balles de revolver. Il est à craindre que jamais on ne soit fixé sur ce point.

    Néanmoins le tout fut précieusement recueilli, classé par catégories et enfermé dans des bocaux scellés que le Docteur Yversenc transporta dans la soirée à Toulouse, au laboratoire du professeur Sorel, en vue des travaux futurs.

    Ainsi se clôt pour l'instant le mystère de Graulhet. On n'a pu exactement se prononcer sur la nature de ces ossements mais pour les policiers et les magistrats, pour le fossoyeur aussi, qui a quelque expérience de la chose, il s'agit vraisemblablement d'un squelette presque entier, ou plutôt de ce que le feu laisserait du squelette d'un homme. Par contre, le docteur Yversenc est moins affirmatif.  Ces débris carbonisés, nous a-t-il dit représentent, en effet, un squelette, mais homme ou animal, nous ne pourrons nous prononcer qu'après que tous ces ossements auront été un à un, examinés au microscope et soumis à cinq ou six analyses différentes. Nous n'en sommes plus, on le voit, aux affirmations de la première heure, quand on croyait pouvoir préciser que les débris retrouvés étaient constitués par un fragment de colonne vertébrale un cœur et des parcelles de foie. De tout ceci, il n'est plus question aujourd'hui.

    LE MATIN DU 18 MAI 1923

    L'examen médical des restes du receveur

    L'enquête sur le mystère de Graulhet se poursuit activement. L'expertise médicale a été ouverte à Toulouse, au laboratoire du Docteur Sorel, professeur de médecine légale à la faculté c'est là que le Dr Yversenc a fait transporter les restes exhumés du malheureux receveur des postes, M. Peytavin. Un pas important semble avoir été fait. Les travaux auxquels on s'est livré ont donné des résultats appréciables.

    Ainsi, on a pu établir que la température de la chambre où couchait M. Peytavin a dépassé, pendant l'incendie 1.300 degrés ce qui explique l'état de carbonisation complète dans lequel ont été retrouvés les restes. L'examen de ces funèbres reliques a commencé. L'expertise a pu établir avec certitude de quels éléments était constitué le dernier repas absorbé par M. Peytavin. On sait que ces éléments correspondent bien ceux indiqués par Mme Peytavin, laquelle avait elle-même préparé ce repas avant son départ. Si l'on y retrouve d'autres matières, il sera prouvé que le receveur a mangé en compagnie du visiteur, reçu dans le cours de la nuit.  Les interrogatoires se poursuivent par ailleurs. Mais Ayral persiste dans son système de défense, qui consiste à tout nier.

    LE MATIN DU 31 MAI 1923

    Le juge d'instruction ordonne une expertise On va examiner si le pantalon que portait Ayral le jour de l'incendie n'est pas taché de sang

    La ténébreuse affaire du bureau de Poste de Graulhet dont l'instruction se poursuit toujours, commencerait-elle à s'éclairer ? Après invitation du médecin légiste, intrigué par l’aspect du pantalon, d'origine militaire, qu'Ayral portait le jour même de l'incendie. Le juge d'instruction a entendu un expert, qui a reconnu que ce pantalon avait subi, au genou, un lavage à la brosse.  Ayral, qui se trouve en contradiction avec tous les témoins, questionné sur ce fait, déclare ne pas se souvenir d'avoir procédé à ce lavage partiel. Le pantalon suspect va être soumis à l'examen d'un professeur de médecine légale, le docteur Sorel, pour rechercher si le tissu ou les coutures ne laisseraient point encore apparaître des traces révélatrices de sang humain.

    LE MATIN DU 1 JUILLET 1923

    La justice s'efforce de pénétrer le mystère de Graulhet

    L'instruction sur le mystère de Graulhet marque un temps d'arrêt, toutes les dépositions utiles ont été recueillies. On attend pour la continuer l'arrivée des procès verbaux donnant les résultats de l'enquête médico-légale confiée au Docteur Sorel professeur à la Faculté de Toulouse et à laquelle sont soumis les restes du malheureux receveur des Postes M. Peytavin et les effets d'habillement saisis au domicile du brandevinier Ayral. Nous pouvons d'ores et déjà faire connaître que l'examen de ces derniers, dont un pantalon partiellement lavé n'a rien relevé de suspect. Entre temps, la justice s'occupe d'un vol de vin reproché à Ayral.

    LE MATIN DU 12 AOÛT 1923

    Les à-côté du mystère de Graulhet Ayral, le brandevinier condamné en correctionnelle pour délit de vol et abus de blanc-seing

    Le brandevinier Ayral, dont depuis de longs mois, la justice cherche établir la culpabilité dans la ténébreuse affaire de l'incendie du bureau de Poste de Graulhet, a comparu aujourd'hui devant le tribunal correctionnel, pour y répondre des délits dont les diverses perquisitions opérées à son domicile ont fait découvrir les éléments. Il s'agit d'un délit de vol commis au préjudice de M. Moulis son restaurateur, et d'un abus de blanc-seing, dont aurait pu souffrir un de ses confrères brandeviniers, qui cédant au chantage, avait signé en blanc une reconnaissance pour une dette de 500 francs. Ayral avait écrit sur ce papier en blanc « en portant la dette à 3.500 francs". Ayral n'a changé ni d'allure, ni de tactique. Il nie tout, même l'évidence. Le témoignage précis de sa femme, aujourd'hui divorcée n'a aucun effet sur lui. Au moment où cette dernière, quittant la barre, regagne sa place, elle apostrophe violemment son mari et lui reproche la réputation qu'il fait rejaillir sur son fils.

    Le président du tribunal réprime cette violence. Le témoin sort, les larmes aux yeux mais revient sur le-champ, la figure contractée mais sèche. Les interrogatoires qu'Ayral a subis ont démontré chez lui une certaine habileté. Il lui faut peu de temps pour peser l'importance de ses réponses, pour tenter d'expliquer ce qu'elles peuvent renfermer de contraire à sa théorie.  Après délibération, le tribunal le condamne respectivement à un mois et six mois de prison, avec confusion des peines. Quant à l'affaire du bureau de Poste, l'instruction recueille toujours, des témoignages. Elle n'a encore reçu qu'une partie du rapport réclamé au médecin légiste.

    LE MATIN DU 25 AOÛT 1923

     Ayral, le brandevinier, se décide à faire choix d'un avocat

    L'inculpé Ayral s'est enfin décidé à se faire assister d'un avocat. Il a fait choix de Me Sizaire, maire de Castres et membre du barreau de cette ville auquel a été remis le dossier de l'incendie du bureau de Poste. Aussitôt l'examen de ce dernier par l'avocat terminé l'instruction reprendra. Ayral récemment condamné à un mois de prison pour vol est d'ailleurs sous le coup d'une nouvelle inculpation. Il s'agit d'un vol de numéraire de 4.000 francs au préjudice d'un de ses voisins, et que, faute de preuves, la justice avait dû abandonner. Les réticences de certains témoins étant tombées depuis qu'Ayral est à la disposition de la justice, cette dernière a pu rassembler assez d'éléments pour étayer sa culpabilité.

    LE MATIN DU 12 NOVEMBRE 1923

    Aucune preuve matérielle n'est venue depuis sept mois, étayer l'accusation portée contre le brandevinier Justin Ayral

    L'information ouverte depuis bientôt sept mois par M. Galibert d'Auque, juge d'instruction, contre le brandevinier Justin Ayral, accusé de l'assassinat du receveur des Postes Peytavin et de l'incendie du bureau de Poste de Graulhet, semble devoir être close d'ici à quelques jours.  La justice a maintenant entra les mains les conclusions des experts qui avaient été commis pour rechercher la nature des débris et ossements ramassés dans les décombres de l'incendie, examiner un pantalon saisi au domicile d'Ayral, Graulhet, et déterminer la nature des taches suspectes relevées sur l'étoffe. En réalité, l'accusation ne doutait pas un instant que les débris humains qu'elle soumettait a l'examen des experts ne fussent les restes du malheureux receveur, mais elle espérait que, malgré leur carbonisation à peu près complète, les médecins commis pourraient peut-être y trouver la preuve matérielle de l'assassinat de M. Peytavin. Sur ce point, l'information n'a pas eu satisfaction. Les experts se sont bornés à conclure que les débris ramassés dans l'incendie du bureau de Poste étaient des débris humains, sans plus.

    En ce qui concerne l'examen du pantalon d'Ayral, les chimistes déclarent n'avoir relevé aucune trace de sang sur ce vêtement mais ils ajoutent que les deux jambes du pantalon, de la cheville aux genoux, peu avant le moment où il fut saisi, avaient subi un lavage. Ayral a-t-il lavé son pantalon pour faire disparaître, ainsi que le pense la justice, des traces sanglantes dont l'origine aurait dénoncé son crime ? L'a-t-il plus simplement lavé pour enlever des taches de boue ou de graisse ?  Il est probable qu'on ne le saura jamais, l'inculpé fidèle à son système de défense, niant le lavage de la culotte comme il a nié aussi d'autres faits nettement établis, dont, notamment, l'achat d'un pistolet automatique chez l'armurier Boujol à Lavaur, quelques jours avant le tragique événement de Graulhet.  Sur une indication qui lui est tout récemment parvenue, la brigade mobile de Toulouse enquête très discrètement autour d'un personnage qui fut en relations avec Ayral à l'époque de l'incendie du bureau de Poste. Ce personnage est réputé pour l'habileté avec laquelle il parvient à écouler des valeurs dont la provenance n'est pas toujours des plus licites. Et la police, qui a son idée là-dessus, semble s'attacher à rechercher si quelques-unes des valeurs disparues dans l'incendie du bureau de Poste n'ont pas passé entre les mains du personnage, ce qui, dans l'affirmative, expliquerait les relations de celui-ci avec Ayral, cela n'émeut pas le brandevinier. A ceux qui lui rendent visite dans sa prison et qui s'entretiennent avec lui du triple crime dont on l'accuse, Ayral déclare en haussant les épaules : " Mais c'est une plaisanterie. Vous n'y songez point, le pense. C'est idiot de me croire coupable de ça. Jamais on ne pourra m'envoyer aux assises."

    Il est moins rassuré pour de menues peccadilles que la justice relève à son actif, au cours de l'instruction actuelle et qui valent à Ayral d'avoir été transféré de la prison de Lavaur à Toulouse.

    C'est, en premier lieu, un vol de quelques bouteilles de vin et d'un chandelier au préjudice de M. Moulis, aubergiste, à Graulhet. Puis une escroquerie commise à l'aide d'un blanc-seing, au préjudice d'un autre commerçant de Graulhet : M. Viguier. Ces deux délits valurent au brandevinier d'être condamné à huit mois de prison par le tribunal de Lavaur. Mais Ayral ayant interjeté appel, l'affaire viendra le 14 novembre devant la Cour de Toulouse. En outre, Ayral a formé, par les soins de son nouvel avocat, Me Milhaud, de Toulouse, remplaçant Me Sizaire, de Castres, un pourvoi en cassation contre un arrêt de la chambre des mises en accusation le renvoyant devant les assises du Tarn pour y répondre d'un vol qualifié. Il s'agit, là aussi, d'une peccadille vieille de plusieurs années que M. Galibert d'Auque glana en fouillant la vie de son client, si riche en méfaits de toutes sortes. A l'époque, Ayral ayant acheté pour 4.000 francs deux vaches à Mme Cunac, à la Marronnière, s'en vint, le lendemain du jour où il avait conclu le marché cambrioler l'armoire de la fermière. Il emporta, outre les 4.000 francs versés la veille, les quelques économies de la brave femme. Pour ce vol, Ayral ne veut pas être poursuivi, alléguant que c'est un simple délit couvert par la prescription. La chambre des mises en accusation estime, au contraire, que ce vol ayant été accompagné de l'escalade circonstance aggravante devient un crime pour lequel ne jouent pas les délais de prescription.

    D'où le pourvoi d'Ayral.

    LE MATIN DU 22 NOVEMBRE 1923

    Le brandevinier Ayral en appel Toulouse

    La cour d'appel a confirmé deux jugements des 4 et 11 août dernier, du Tribunal correctionnel de Lavaur, condamnant le brandevinier Justin Ayral de Graulhet, à un mois de prison pour vol de bouteilles de vin blanc et d'un chandelier à son hôtelier, M. Jacques Moulis, et à six mois de détention pour abus de confiance et abus de blanc-seing au préjudice d'un mégissier de Graulhet, qui lui avait vendu un alambic pour distillation d'eau-de-vie.. 

    LE MATIN DU 16 JANVIER 1924

    Le brandevinier Ayral est transféré à Albi

    L'appel formé par Ayral, le brandevinier de Graulhet, au sujet de la décision de la chambre des mises en accusation le renvoyant devant la Cour d'Assises du Tarn, non pas pour l'affaire du bureau de Poste encore à l'instruction, mais pour vol qualifié de numéraire commis à la Marronière ayant été rejeté, l'inculpé a quitté hier matin sous bonne escorte la maison d'arrêt de Lavaur pour celle d'Albi. Il y attendra l'ouverture de la prochaine session des assises, où cette affaire sera appelée.

    LE MATIN DU 3 FÉVRIER 1924

    Le brandevinier AYRAL est condamné pour vol à cinq ans de travaux forcés

    Le brandevinier Justin Ayral, sur la tête duquel pèsent les redoutables inculpations d'assassinat, de vol et d'incendie, à propos de la mort tragique du receveur des Postes de Graulhet, vient de comparaître devant les assises du Tarn, pour vol qualifié. Il s'agit du cambriolage opéré le 30 novembre 1919, à là métairie de la Marronnière commune de Briatexte (Tarn).

    Ayral, qui connaissait les aîtres de la maison, mettant à profit la courte absence de Mme veuve Cunac et de son fils Germain, métayers, est accusé de s'être introduit ce jour-là, à l'aide d'escalade et de fausses clés, dans le logis désert et de s'être emparé d'une somme de 4.100 francs en billets de banque, serrés dans un portefeuille lui même enfermé dans l'armoire d'une chambre. Au cours de l'audience, Ayral nie énergiquement avoir commis ce vol. Sa défense est habile. A plusieurs reprises il conteste avec force certains témoignages. Le bâtonnier du barreau d'Albi, Me Alibert, désigné d'office, combat pied à pied les faits de l'accusation et ne laisse pas subsister grand-chose des présomptions, car il n'y a que des présomptions qui pèsent sur Ayral. Le jury n'en rapporte pas moins un verdict affirmatif.

    En conséquence, Ayral est condamné à cinq ans de travaux forcés et dix ans d'interdiction de séjour.

    LE MATIN DU 28 JUIN 1924

    Le brandevinier AYRAL en correctionnelle

    500 francs d'amende pour fabrication et vente d'absinthe

    On se souvient que dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1923 un incendie détruisait le bureau de Poste de Graulhet, dont M. Peytavin était receveur.Tout fut anéanti et le cadavre carbonisé du receveur, fut retrouvé dans les décombres. Le brandevinier Justin Ayral, accusé d'assassinat et d'incendie volontaire fut arrêté le 22 avril. Il déclara qu'il s'était présenté au bureau de Poste pour apporter au receveur de l'absinthe qu'il fabriquait clandestinement. Le Tribunal correctionnel vient justement de condamner Ayral à 500 francs d'amende, aux décimes quintuplés et aux droits, pour fabrication et vente de cette absinthe.

    LE MATIN DU 7 JUILLET 1924

    Le brandevinier Ayral va comparaître devant le jury du Tarn

    Au rôle de la session des Assises du Tarn, qui s'ouvre aujourd'hui, est inscrite l'affaire mystérieuse, de l'assassinat du receveur des postes de Graulhet, M.Peytavin.

    C'est dans la nuit du 31 mars au 1er avril 1923 que dut être assassiné M. Peytavin. Dans la même nuit, un incendie détruisait, à peu près complètement l'immeuble de la recette. Les soupçons se portèrent aussitôt sur un repris de justice, un malfaiteur « redoutable et redouté » qui restera, aux annales criminelles, le brandevinier Ayral Justin Ayral, âgé de 41 ans, est en effet bouilleur de cru à Graulhet.

    La veille de Pâques, le 31 mars 1923, Mme Peytavin, et c'était exceptionnel, s'absentait pour passer les fêtes à Saint-Félix, dans la Haute-Garonne. Elle laissait absolument seul à la maison M. Peytavin, qui devait veiller sur des sommes importantes à savoir 828.000 francs en bons de la Défense nationale et 200.000 francs de coupures, constituante le trésor postal. Il y avait, en outre la fortune personnelle des époux 110.000 francs de titres environ.

    En dépit de sa fâcheuse réputation, le brandevinier, habile à dissimuler son vrai caractère, à feindre la bonhomie et faire au besoin, preuve d'une extrême servilité, s'était insinué dans les bonnes grâces de M.Peytavin. Bouilleur de cru, il multipliait les présents en alcool au receveur. M. Peytavin eut le tort de montrer à Ayral, au moins une fois, les fonds publics dont il était comptable et qu'il avait accoutumé de déposer chaque soir sur sa cheminée ou sur une tablette. La nuit du 31 mars, c'est exactement à 3 heures 30 que l'incendie se déclara, à la Poste. L'alarme fut donnée par le tambour de ville. Dans la matinée du lendemain on trouvait les restes carbonisées de M. Peytavin, à l'emplacement de la cuisine sous la chambre du receveur. Or, des témoins, dont une voisine affligée d'insomnie, ont entendu soit des coups de revolver, soit des pas autres que ceux de M. Peytavin, un peu avant que le feu, fit son œuvre. Depuis son arrestation, Ayral dont le casier judiciaire était déjà riche de sept condamnations a été lors d'une précédente session d'assises, condamné à 5 ans de travaux forcés et 10 ans d'interdiction de séjour pour vol qualifié

    LE MATIN DU 8 JUILLET 1924

    Le fils du receveur des postes assassiné à Graulhet se voit refuser l'assistance judiciaire.

    Les débats du procès du brandevinier Ayral, accusé de l'incendie volontaire du bureau de Postes de Graulhet et de l'assassinat du receveur M. Peytavin, ne commenceront que mercredi devant les assises du Tarn. Le fils de la victime, M. André Peytavin, employé des Postes à Paris, ayant décidé de se porter partie civile au procès, avait pour cela sollicité l'assistance judiciaire. En compagnie de son avocat, Me Maurice Garçon, M. André Peytavin, nanti de toutes les pièces nécessaires, s'était présenté au bureau d'assistance judiciaire de Paris , qui avait donné, sans aucune difficulté, un avis favorable. Or, à la surprise de tous, le bureau d'assistance judiciaire d'Albi, appelé à statuer sur la demande de M. André Peytavin, a refusé, au cours de sa séance, tenue aujourd'hui, d'accorder le bénéfice de l'assistance judiciaire à l'employé des Postes. M. Peytavin dans ces conditions hésite à se porter partie civile au procès Ayral car si ce dernier était acquitté, bien que les poursuites actuelles soient engagées sur ordre du Parquet c'est le fils de la victime qui serait condamné aux frais du procès environ 15.000 francs. M. André Peytavin gagne à peine 7000 francs par an il n'a aucune fortune personnelle et on sait que le patrimoine de ses parents, 110.000 francs de titres, a disparu dans l'incendie du bureau de Poste.

    Sur les conseils de son avocat, M. André Peytavin est parti ce soir pour Toulouse afin de faire appel par devant le procurer général de la surprenante décision du bureau d'assistance d'Albi.

    LE MATIN DU 9 JUILLET 1924

    L'assistance judiciaire est finalement accordée au fils du receveur des Postes de Graulhet

    Le procureur général de la cour d'appel de Toulouse, saisi de la réclamation de M. André Peytavin, commis des Postes, qui s'était vu refuser l'assistance judiciaire par le bureau d'Albi, a estimé que le fils du receveur des Postes de Graulhet était en droit d'en bénéficier. Aussi a-t-il saisi d'urgence le bureau de l'assistance judiciaire de Toulouse de l'appel formé par M. André Peytavin. Celui-ci a été admis sans discussion au bénéfice de l'assistance « provisoire ». M. André Peytavin, par l'organe de M. Maurice Garçon, avocat à la cour d'appel de Paris, se portera donc partie civile demain, au cours de la première audience.

    Ayral qui refusa obstinément un avocat consent à se laisser défendre

    Demain mercredi, le brandevinier Justin Ayral, accusé d'assassinat sur la personne de M. Peytavin, receveur des Postes à Graulhet, d'incendie volontaire de la recette postale et de vol de valeurs et numéraire appartenant à l’État, comparaîtra devant ses juges. Du moins, le pense-t-on, sans en être trop certain à Albi, où l'on discute passionnément de ce qui demeure le mystère de Graulhet. C'est qu'en effet, Justin Ayral n'est pas un accusé ordinaire. Le brandevinier dont, avant le drame de Pâques 1923, sept mésaventures judiciaires ne purent abattre la jovialité notoire, peut bien se montrer aujourd'hui en sa cellule un peu moins goguenard. Il demeure optimiste, ayant dès le premier jour refusé de faire choix d'un défenseur. Justin Ayral vit, selon la généreuse coutume des barreaux provinciaux, confier ses intérêts au bâtonnier d'Albi, Maître Alibert. Le brandevinier s'employa à le décourager et y parvint.  Toutefois le parquet s'émut et le président désigné des assises, M. le conseiller Gleizes, voulut vaincre la résistance de cet extraordinaire accusé obstiné à se présenter devant le jury sans défenseur. Me Berbier, à son tour, fut commis d'office. Il se trouva en présence d'un détenu énigmatique et qui lui tint à peu près ce langage :  "Merci, mais je n'ai pas besoin de défenseur. Mon affaire va de soi, tant elle est simple. Je n'ai même pas besoin de me défendre.."

    Seulement ce qu'il ajouta laisse entendre que maintenant c'est lui-même qui pourrait faire défaut.

    Justin Ayral a-t-il tout son bon sens ? 

    LE MATIN DU 10 JUILLET 1924

    Le brandevinier Ayral comparaît, impassible devant les jurés

    Le père du procureur de la République étant mort subitement l'affaire est renvoyée

    Dans une salle étroite, aux murs revêtus de ce même rose qu'ici le soleil donne aux monuments de briques, on s'écrase, bravant la chaleur, pour suivre les débats de l'affaire du brandevinier Ayral. M. le conseiller Gleizes préside, M.de Andréis occupant le siège du ministère public. Voici Ayral, encadré de six robustes gendarmes auxquels on envie leur légère tenue de toile kaki. Le brandevinier de Graulhet n'a certainement pas, au premier regard, la mine du malfaiteur « redoutable et redouté » du repris de justice dont il a été parlé. Il est vrai que l'accusation ajoute que Justin Ayral est habile à feindre. Portant durement sa quarantaine, Ayral, proprement vêtu d'un complet gris, cravate grise, linge bien empesé, a ce teint basané qu'il doit à son métier de distillateur ambulant inlassable batteur de routes. Le front haut est couronné d'abondants cheveux gris une longue moustache relevée a la pandour barre l'ovale du visage. Le regard serait expressif si Ayral n'était affligé d'un léger strabisme. Les lèvres sont minces et généralement, le personnage se présente comme assez fin, d'esprit vraiment délié. Sagement assis à son banc, il croise sur son ventre deux mains énormes brunies autant que celles d'un maure Justin Ayral est défendu par Me Barbier d’Albi.  Justin Ayral suit la lecture de l'acte d'accusation avec une attention évidente, mais sans broncher. Pas un muscle de son visage ne tressaille à s'entendre qualifier d'assassin, de voleur et d'incendiaire, le tout avec préméditation.

    Tandis qu'on procède à l'appel des témoins, il s'entretient tranquillement avec ce défenseur dont, hier encore, il hésitait à accepter les généreux services. Soudain, grosse émotion. L'audience est suspendue. Chacun s’interroge. On parle déjà de fait nouveau et de renvoi. Mais la vérité se fait jour, et elle n'est pas de nature à précipiter les débats M. de Andréis, père du procureur de la République, est décédé subitement. Bientôt le timbre retentit. M. le président Gleizes confirme la triste nouvelle et l'impossibilité où se trouve le ministère public d'assumer présentement sa lourde tache. C'est la proposition de renvoi à la session d'octobre Me Garçon, qui s'est porté partie civile y souscrit.

    Toutefois, Me Barbier intervient, pour réclamer en faveur d'Ayral, un examen mental que justifie son hérédité, mais Ayral ne l'entend pas ainsi et refuse formellement, déclare-t-il, cet examen mental. " Je ne suis pas fou. Et pourtant il y a de quoi le devenir, entendre contre soi de pareils mensonges. J'ai pu être violent, soit, et je suis encore prêt à le montrer à certains gaillards." Et après avoir entendu Me Garçon qui, de son côté, s'y oppose, la cour rejette l'examen mental et décide qu'Ayral attendra les assises d'automne.

    - Le crime du Receveur des Postes

     

    - Le crime du Receveur des Postes

    Inédite photo de Justin Ayral

     L'EXCELSIOR DU 9 OCTOBRE 1924

          

    - Le crime du Receveur des Postes

    L'EXCELSIOR DU 11 juillet 1924

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    Un des nombreux avocats de Monsieur Justin AYRAL ici Maître Maurice GARCON

    LE MATIN DU 26 JUILLET 1924

    L'incrimination d'une tierce personne est démentie par l'avocat de l'inculpé

    Le brandevinier Ayral, accusé d'avoir tué le receveur des postes de Graulhet M. Peytavin, comparaîtra en octobre prochain devant les assises. Il sera défendu par Me Berbie. Ce dernier nous a fait d'intéressantes déclarations concernant certains bruits qui, d'après lui, sont absolument fantaisistes et ne reposent sur aucun fondement. C'est ainsi qu'on prête à cet avocat l'intention de réclamer, au cours des assises, l'arrestation d'un personnage de premier plan sur lequel l'accusation fonderait même de grands espoirs pour obtenir la condamnation du brandevinier. Me Berbie nous a autorisé à dire qu'il n'a jamais fait à ce sujet une déclaration quelconque à qui que ce soit. Il entend seulement aux assises démontrer premièrement, combien restent mystérieuses les conditions dans lesquelles a été incendié le bureau de poste de Graulhet et a disparu le receveur Peytavin ; deuxièmement, que la moindre preuve sérieuse de culpabilité ne peut être apportée contre Ayral, les exagérations de l'opinion publique et les rapports de police ayant seuls amené l'inculpation. Quant à la déclaration de la voisine du bureau de poste, affirmant une fois, mais ne voulant pas le répéter, qu'Ayral avait mis la feu et qu'elle l'avait vu sortir du bureau peu avant l'incendie, Me Berbie nous a affirmé que le dossier n'en portait aucunement trace. D'autre part, il semble qu'on ne puisse attacher une trop grande importance aux propos prêtés à cette voisine. Les débats de l'audience pourront d'ailleurs les élucider facilement. Quant aux ossements trouvés dans les décombres de la maison incendiée, ce sont bien les vertèbres, d'un homme, nous ont déclaré quelques personnalités que nous avons vues et très au courant de l'affaire. Les rapports des experts et la radiographie sont concluants. D'autres cependant nous ont dit « on ne peut rien affirmer ». Ces ossements peuvent appartenir à un mouton ou à un porc. Le feu en a certainement détruit une partie. Leur nombre ne peut rien prouver d'une façon péremptoire. C'est la forme seule qui importe, et non le nombre, les vertèbres des animaux n'ayant pas la même forme que celles des personnes. Un vétérinaire serait donc particulièrement qualifié pour donner son opinion. Le coup de théâtre sensationnel que certains prédisent semble donc des plus problématiques, l'accusation, comme la défense, ne fondant aucun espoir sur l'incrimination d'une tierce personne.

    LE MATIN DU 29 JUILLET 1924

    Le commissaire de police de Castres est entendu par le président des assises du Tarn

    M. Gleizes, conseiller à la cour d'appel de Toulouse, qui présidait la cour d'assises du Tarn à Albi, où comparaissait ces jours derniers, sous l'inculpation d'assassinat, de vol et d'incendie, le brandevinier Justin Ayral, a longuement recueilli cet après-midi la déposition de M. Satgé, commissaire de police à Castres, et précédemment à Graulhet, sur les résultats de sa première enquête à propos du drame de l'hôtel des Postes de Graulhet. Le bruit s'était répandu qu'un coup de théâtre se produirait, car un témoin viendrait affirmer, disait-on, avoir vu le brandevinier sortir de la poste quelques minutes à peine avant le tragique incendie. Le commissaire de police ,a certifié au magistrat que jamais un voisin quelconque du receveur Peytavin ne lui avait fait part d'une circonstance aussi troublante.

    LE MATIN DU 6 OCTOBRE 1924

    Le brandevinier Ayral accusé d'avoir incendié la recette des postes après avoir assassiné le receveur, comparaîtra demain devant les assises du Tarn

    Le 9 juillet dernier comparaissait devant le jury du Tarn Justin Ayral, le brandevinier accusé du meurtre de M. Peytavin, receveur des Postes à Graulhet (Tarn) et de l'incendie de l'immeuble des P.T. T., l'incendie ayant pour but de dissimuler le crime, et ce crime ayant eu le vol pour mobile 110.000 francs de titres, dont 80.000 appartenant à M. Peytavin et 30.000 à Mme Peytavin, absente le soir du drame, plus l'encaisse postale, soit 828.000 francs. 

    L'attentat fut commis dans la nuit du 31 mars 1923, veille de Pâques. Or la session de juillet des Assises du Tarn, qui avait en connaître, dut être brusquement interrompue. En pleine audience, la première de l’affaire Ayral, qui en devait occuper trois, le Procureur de la République recevait à son siège une dépêche l'avisant qu'un deuil cruel le frappait. Aucun substitut n'étant en possession du dossier très important et très délicat, le président prononça le renvoi, en dépit des protestations du brandevinier.

    L'affaire reviendra devant le jury demain.

    Justin Ayral, titulaire de sept condamnations, est accusé  :

    1° D'avoir à Graulhet, le 31 mars 1923, donné volontairement la mort à M. Peytavin, avec préméditation et avec cette circonstance que l'homicide a précédé ou accompagné; les crimes de vol et d'incendie volontaire

    2° D'avoir frauduleusement soustrait valeurs et numéraire tant aux époux Peytavin qu'à l'administration des Postes. Le tout chargé de la kyrielle classique des circonstances aggravantes ; la nuit, dans une maison habitée, étant porteur d'une arme apparente où cachée.

    LE MATIN DU 9 OCTOBRE 1924

     

    Ayral sourit devant les jurés

    Ayral qui commençait à s'échauffer en fin de la première audience, aura voulu se ressaisir. Aussi bien, le voilà-t-il aujourd'hui calme à souhait, même s'il entend évoquer les heures les moins favorables de sa vie accidentée, il a toute patience et ne se permet plus d'inviter Me Garçon, partie civile, à ne pas « lui bourdonner aux oreilles ».

    Lorsque parut à la barre M. Satgé, commissaire de police à Graulhet lors de l'assassinat du receveur Peytavin, une observation de M. le président Gleizes vint révéler brusquement à l’auditoire que entre autres fautes commises des témoignages capitaux n'ont pu être recueillis ou l'ont été trop sommairement, voire de façon hasardeuse, cause de l'absente d'accord entre les différents services de police.

    A la reprise tout en rendant paternellement hommage à son zèle, le président montre à l'actuel commissaire de Graulhet, auteur d'un « rapport spontané », les inconvénients qu'il y a à tirer des conclusions « d'un problème dont on ne possède pas toutes les données »

    Et l'auditoire n'entend pas sans émotion l'intègre magistrat déclarant : "Je ne sais pas ce que c'est qu'une pièce secrète !"

    Il était fatal que l'adroit Me Berbié demande alors que l'observation présidentielle s'applique à tous les rapports de police dont la discussion occupa la matinée. C'est au tour de M. Moulis à déposer. C'est cet hôtelier qui a fait retenir contre son ami Ayral l'argument de la pèlerine et c'est lui qu'un instant mit en cause le rapport de M. Gebhardt commissaire à Graulhet, admonesté par le président.

    MOULIS : J'affirme être bien certain que lorsque Ayral se rendait à l'incendie au son du tambour, il n'avait pas encore sa pèlerine sur l'épaule.

    AYRAL. Il y a contradiction avec ce qu'il dit, mais pas avec ce qu'il pense (sic).

    LE PRÉSIDENT. Il ment ? Lui, votre ami ?

    AYRAL : Il y a des cas où il n'y a plus d'amis. Pauvre Moulis ! Il en oublie encore ! On ne lui a fait qu'à moitié le catéchisme ! (Rires.)

    On entend divers employés du malheureux receveur. La déposition de l'un d'eux tend, à soulever quelque émotion, c'est celle du téléphoniste Buzenach.

    Quand éclata l'incendie, ma première pensée fut qu'en allant se rafraîchir à sa cave, le receveur avait renversé sa lampe.

    Hypothèse !

    C'est à quoi s'oppose le témoignage des voisins. Mme Pagès a entendu des gémissements s'élever de la chambre du receveur et M. Mouriès a perçu les pas d'un inconnu qui s'enfuyait. Enfin, dépose le brave tambour de ville graulhétois, et c'est la retraite. Demain suite des débats, et peut-être verdict.

    L’ÉCHO DE PARIS DU 11 OCTOBRE 1924

     

    LE BRANDEVINIER AYRAL est condamné aux travaux à perpétuité

    La matinée tout entière a été consacrée au réquisitoire prononcé par M. de Andréis, Procureur de la République. Réquisitoire minutieux et clair, implacable, de l'exorde à la conclusion. La voix du ministère public ne s'était pas fait entendre au cours de ces longs et ternes débats. Elle ne s'élève que pour démontrer qu'Ayral, assassin incendiaire et voleur, a mérité le suprême châtiment, et qu'aucune circonstance atténuante ne saurait être admise en sa faveur. Dès une heure et demie de l'après midi, Me Berbié commence sa plaidoirie. La besogne est dure, je l'ai dit. Avec cœur et avec talent, le brillant avocat du barreau d'Albi la poursuit pendant trois heures.

    Le Verdict

    Après une heure et quart de délibération, le jury rapporte le verdict suivant, qui sanctionne de manière étrange le mystère de Graulhet : Ayral est reconnu coupable de vol et d'incendie volontaire. La culpabilité d'assassinat est repoussée. Ayral obtient le bénéfice des circonstances atténuantes. En conséquence, Justin Ayral est condamné aux travaux forcés à perpétuité.

    La partie civile obtient quinze mille francs de dommages intérêts.

    Le brandevinier a sauvé sa tête. C'est sans doute tout ce qu'il désirait.

    L’ŒUVRE DU 8 NOVEMBRE 1924

    Le commissaire Dautel est mort

    Ce matin est mort subitement, à Toulouse. M. Amédée Dautel, commissaire de police mobile, qui eut à s'occuper de quelques affaires retentissantes, entre autres, à Paris, de l'affaire Landru. C'est lui qui procéda à l'arrestation du Barbe-Bleue de Gambais. Dans la région, il fut chargé d'enquêter sur le cas de Justin Ayral, condamné dernièrement aux travaux forcés à perpétuité pour l'incendie de l'hôtel des Postes de Graulhet...

     --------------------------------------

    Quelques années après dans L’ÉCHO DE PARIS DU 26 JANVIER 1932

    Les débats s'ouvrent à deux heures de l’après-midi dans cette même salle froide où nous entendîmes naguère condamner le brandevinier Ayral, incendiaire et assassin, qui, vient, de s'enfuir du bagne….

    Dans son livre "Graulhet 1000 ans d'histoire" Monsieur Georges VERGNES relate ce fait divers et indique que Justin AYRAL a été envoyé au bagne de Cayenne ....La liste des bagnards est consultable en ligne mais la condamnation doit dater de plus de 120 ans, ce qui n'est pas le cas pour cette affaire ...A suivre

    LEXIQUE

    BRANDEVINIER : Celui, celle qui vend du brandevin (Eau de vie de vin) à la troupe, et aussi, dans quelques provinces, celui qui fabrique de l’eau-de-vie - Distillateur itinérant.

    MAILLECHORT : Le maillechort désigne un alliage de cuivre, nickel et zinc, apprécié pour son aspect argenté ou son reflet blanc métallique, et pour cette raison parfois abusivement appelé argentan ou alpacca.

    HENRI SIZAIRE :(un des nombreux avocats de M. AYRAL) né le 11 septembre 1878 à Rieux-Minervois (Aude) et mort le 14 août 1951 à Castres (Tarn), est un homme politique français, membre de la SFIO, avocat au barreau de Castres. Député du Tarn de 1924 à 1932 - Maire de Castres de 1919 à 1940 (révoqué).

    BOUTEILLE DE 3/6 : Nom d’une boisson obtenue en additionnant trois mesures d’alcool à trois mesures d’eau, la proportion du liquide était alors de 3 / 6. On l’appelait également « Preuve de Hollande » et elle titrait 19° Cartier. Il y avait d’autres combinaisons possibles, notamment le Cinq-Six. Toutefois dans la région le Trois-Six c’était l’alcool de vin à 95 / 96°, produit dans les distilleries avec le marc de raisin.

    HOTEL MOULIS : Se trouvait au 34 Place du Jourdain - Auparavant Hôtel-restaurant de la Fontaine 

    COMMISSAIRE DAUTEL : Commissaire de la Sûreté générale - Célèbre car à l'origine de l'enquête et de l'arrestation de LANDRU ! - Meurt subitement à Toulouse en 1924 ( voir coupure de presse )

    MAURICE GARCON : Né le 25 novembre 1889 à Lille et mort le 29 décembre 1967 à Paris, est un avocat, essayiste, parolier, romancier, aquarelliste, polygraphe et historien français. Il est surtout connu pour avoir défendu un grand nombre de causes, tant littéraires que criminelles, notamment celles de Georges Arnaud et de Jean-Jacques Pauvert.

     

     

     

     

     

     

     

     

     


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  •  - Incendie du 25 mars 1862

     

    Dans la nuit du 25 mars 1862, le quartier Saint-Projet était en flammes. Le commissaire de police Antoine Villeneuve a relaté cette catastrophe (reproduite dans quelques publications) qui l'assortit d'un plan, calqué sur le cadastre, et qui, par la numérotation des immeubles détruits, permet de suivre le développement monstrueux de ce gigantesque sinistre- En voici le récit et le plan d'époque et une copie du plan avec des indications actuelles.

    LE PLAN INÉDIT

     - Incendie du 25 mars 1862

    Version annotée par Mémoires de Graulhet
    (cliquez sur l'image)

     - Incendie du 25 mars 1862

    Le 25 mars, à dix heures du soir, nous trouvant dans la rue de Lapeyrade, nous entendîmes crier « Au feu », à la fabrique d’Azémar, dit le Compagnon nous nous rendîmes immédiatement sur les lieux indiqués et nous avons remarqué le feu au premier des n°3 et 4. Le n°3 était plein de sarments de vigne et le n°4 plein de fourrage. M. Bécus, juge de paix était sur les lieux, et M. Marty, adjoint au maire. Nous avons fait former deux chaînes, avec les gens qui arrivaient. Bientôt après, M. Calmettes, secrétaire de la Mairie, est arrivé avec les deux pompes. Le tocsin sonnait l'alarme. Les pompes ont été placées dans la rue de la Ville Haute et cherchaient à empêcher les flammes d'envahir les n° 13 et 50, les n° 5, 6 et 1 étant déjà en feu ; mais le vent d'autan soufflait si fort et avec tant d'impétuosité qu'on aurait dit l'enfer déchaîné ; les pompes purent seulement préserver le n°50 ce qui empêcha encore de plus grands désastres et de plus grands malheurs. Le n° 17 fut enflammé par une flammèche, tandis que le n°13 ne l'était pas encore. Alors tout secours devint impuissant, car le passage de la rue Saint Projet devint impossible à cause de la fumée et de la violence avec laquelle le vent lançait les étincelles contre les maisons de Saint Projet (côté ouest). Bientôt après, une autre flammèche lancée par le vent allumait le couvert du n°37 puis le n° 47 et les étincelles volaient hors ville à un kilomètre, frappant où elles tombaient comme un ouragan de grêlons, et par une nuit des plus obscures.

    De concert avec M. Bécus, juge de paix, et M. Salvan, brigadier, il fut décidé d'envoyer de suite un gendarme à Lavaur et à Gaillac pour demander du secours. Dès ce moment, tout espoir était perdu ; la désolation était partout ; chacun déménageait son mobilier. Avec les autorités présentes nous résolûmes de couper à trois points pour sauver ce que nous pourrions. M Marty faisait toujours maintenir la chaîne pour sauver le N° 50, et la totalité était à leurs maisons pour sauver les meubles.

     
    À une heure, le vent parût s'apaiser un peu et tourner plus du côté du sud. Pour aller d'un côté du feu à l'autre, il fallait contourner la ville, ce que nous avions fait plusieurs fois. Le feu était au n°23 et allait envahir tout le haut de chaque côté de la rue Saint Projet, composé de cinquante maisons parmi lesquelles est la gendarmerie et plusieurs grandes maisons. Nous décidâmes de faire couper le n°26, mais tous les charpentiers étaient absents ou au feu du côté du nord, c'est-à-dire vers la place du Mercadial, et plusieurs occupés à déménager chez les pratiques qu'ils servent.

    La nuit était des plus obscures et le vent des plus violents qui ait existé. Nous dûmes non pas requérir, mais prier pour trouver des personnes pour monter sur le toit, malgré la précaution que nous eussions eu de faire pratiquer une ouverture dans la toiture du n°26 que nous voulions abattre pour couper le feu. Il était alors deux heures et demie et la nuit était longue. Les sieurs Truquet Louis, charron, et Laroque Louis fils se présentèrent et montèrent les premiers. Saulière Hilaire, maçon, les suivit, puis Ségur Charles, Deloustal Charles, Mauriès Paul, maçon, et Barthez Pierre aussi maçon. Dans un instant, les n°26 et 25 n'avaient plus de couvert. A trois heures, le feu arrivant à ce couvert, sans bois ni briques, dût s'arrêter ne trouvant pas d'aliment et fut tenu dans cette position par une pompe placée du côté de l’est et qui donnait sans cesse de l'eau au mur de mitoyenneté des n°25 et 26. Par ce moyen le feu fut circonscrit, sachant fort bien que le n°34 serait livré aux flammes, mais comptant sur le mur du côté du sud et le vide qui venait après. La position fut ainsi gardée jusqu’à cinq heures, luttant avec au-delà de toute épreuve ; heure à laquelle M. le Sous-Préfet de Lavaur arriva. Les sapeurs pompiers de Lavaur et de Gaillac, sous les ordres de leur chef M. Couzy, architecte de la ville de Lavaur, lieutenant commandant la subdivision des sapeurs pompiers de Lavaur, et M. de Vesine Larue, sous-lieutenant de la même compagnie, ont été immédiatement, ainsi que M. Cantelause, sous-lieutenant de la compagnie de Gaillac, prendre possession des quatre postes désignés sous les n°26, 34, 42 et 48, que ces divers officiers ont trouvé bien pris et ont continué l'attaque que nous avions commencée, et sous les ordres de M. Couzy qui a pris le commandement. A partir de ce moment le feu a été circonscrit dans d’étroites limites.

    Nous avons remarqué avec quel zèle et quelle intrépidité infatigable Couzy a dirigé l'action ou le travail sur tous les points, donnant des ordres et les faisant exécuter avec art et intelligence ; partout où le danger était imminent, on était sûr d'y rencontrer cet officier, cherchant à le conjurer ; et habilement secondé par son lieutenant M de Vesine-Larue et le sous-lieutenant de la compagnie de Gaillac, il a pu en quelques heures se rendre maître du feu qui menaçait de réduire en cendres toute la ville. M. Couzy s'est surtout distingué en arrêtant le feu dans la rue du Cardenal n° 48, en se livrant lui-même à une manœuvre aussi habile que dangereuse, et en tenant sur la brèche les hommes que le feu et le vent menaçaient à tout instant de renverser et d’asphyxier. Cet officier dont le courage semblait grandir au fur et à mesure que le danger devenait plus for, alors que le vent et les flammes devenaient plus courroussés, monta à travers une échelle en crochets fixée à un mur isolé et dont les oscillations étaient effrayantes qui formait une barrière contre les opérations entreprises par lui et par les pompiers de Gaillac pour garantir le quartier de la place du Mercadial. Nous devons ajouter qu'un militaire du 68° de ligne, ayant voulu s'aventurer, malgré la défense qui lui en avait été faite, sur un plancher qui a croulé, M. Cousy l'a empêché de se précipiter dans les flammes au moment où il recevait sur la nuque un pan de mur qui le mit tout en sang. M. Cousy a eu la figure brûlée.

    Nous avons dû signaler cet officier le premier comme étant le chef. Mais arrive le tour de son sous-lieutenant, M. de Vésine Larue qui était chargé des deux points 26 et 34. Jeune officier plein de courage et d'intrépidité, nous l’avons toujours vu à son poste, payant de sa personne, combattant l'incendie avec force, et surtout avec une intelligence qui a fait l'admiration de tous. Ainsi vers midi un point de la chapellerie Poujal n°24 menaçait de tout envahir ; cet officier ordonna de se porter à cet endroit ; tout le monde hésite et se refuse, vu le danger ; M. de Vesine prend lui-même la lance et se porte sur ce point, y reste pendant plus de dix minutes, et n'en sort que lorsqu’il sent les murs voisins s'écrouler. Peu d'instants après, voyant que trois hommes étaient à un poste dangereux et que le vent empêchait d'entendre l'ordre de retraite que M. de Vesine s'efforçait de leur donner, il s'élance vers eux et les retire ; il était temps, car le mur sur lequel ils étaient croula aussitôt, miné par l'incendie. M. de Vesine, dans la retraite tomba sur le plancher inférieur, entraînant avec lui une poutrelle qui lui fit des contusions à une jambe et prit même une entorse au genou de la jambe gauche ; cependant cet officier reprit son poste et le garda malgré ses souffrances. Mais il fut contraint d'aller se faire soigner à la pharmacie de M. Frayssé. En outre, sans le secours de M. de Vesine, on aurait eu à déplorer la perte d'une autre maison, car un foyer incandescent la menaçait. Nous devons aussi signaler le sous-lieutenant Cantelause de Gaillac pendant tout le temps qu'a duré l'action, a été d’une activité et d’une énergie à toute épreuve pour faire exécuter les ordres que lui transmettait le chef des pompiers de Lavaur. À une heure sont arrivés les pompiers d'Albi et de Réalmont qui ont aidé ceux déjà sur les lieux du sinistre et ont participé à la concentration du feu dans les limites qui lui avaient été tracées. M. le Préfet du Tarn est arrivé à une heure avec son conseiller, M. le Baron Tridoulat. La présence de ces deux magistrats a ranimé le courage de la population qui a travaillé avec ardeur, malgré la fatigue qu’elle supportait depuis la veille à dix heures du soir. Le nombre des maisons incendiées est de 48. Vingt-sept sont assurées à diverses compagnies. Elles contenaient 160 personnes qui sont sans abri. Les pertes peuvent être évaluées à trois cent mille francs.

    Nous devons signaler M. Bécus, juge de paix, et M. Salvat, brigadier de gendarmerie qui n'ont pas quitté le côté nord de l'incendie, tandis que nous étions du côté sud. M. Marty, adjoint, faisait travailler à la chaîne. M. le Maire Burguère et M. Pinel, adjoint, étaient à leurs maisons, marquées au plan A et B, qui étaient en danger. Nous devons encore signaler M. Ricard, employé des Contributions Indirectes, qui par son intrépidité et son dévouement n'a pas cessé un instant de travailler en se mettant dans l'eau et d'encourager par son exemple ; MM. Truquet Louis, charron, Laroque Louis fils, Saulière Hilaire, Ségur Charles Deloustal Charles, Mauriés Paul et Barthez Pierre signalés plus haut, ainsi que Laroque Louis père, Calvel Philippe, cantonnier chef Voisin Philippe facteur rural, Farenc Joachim, maçon, Escabout Louis, Bécus père et fils, maçons, et Jamme Philippe qui battait le tambour de ville tandis que le facteur Voisin lui sauvait deux enfants en bas âge qui allaient être brûlés.
    Au profit des victimes de l'incendie s'organisèrent dans toutes les villes du département des souscriptions, des concerts, des loteries, etc. Le dimanche de la Passion, à l'initiative de J.-J. M. Eugène, archevêque d'Albi, l'on quêta dans toutes les églises. Et, entre autres manifestations de solidarité, eurent lieu les 1 et 2 juin à Toulouse, au Pré-Catelan, un grand festival et un grand concert donné par des artistes spécialement venus de Paris.


    Dès le 7 avril, le notaire Legros suggéra “de doter les générations à venir d'une place et d'une halle” à l'emplacement des immeubles détruits. Le 6 août, l'idée fut adoptée par le conseil municipal (qui décida aussi de construire un aqueduc sur le ruisseau du Verdaussou pour agrandir la place du Mercadial). La construction de la Halle fut achevée en février 1866 (et démolie en 1981)

     - Incendie du 25 mars 1862

     - Incendie du 25 mars 1862

     

     - Incendie du 25 mars 1862

     


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